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Jean-Benoît Ugeux, comédien et réalisateur

Publié le 23/04/2024 par Malko Douglas Tolley et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Jean-Benoît Ugeux excelle tant devant que derrière la caméra. Comédien polyvalent, il a laissé son empreinte dans de nombreux courts et longs métrages de fiction tels que Mauvaise Lune (2011) et L'Ours noir (2014) de Xavier Seron et Meryl Fortunat-Rossi, Mobile Home (2012) de François Pirot ou encore Partouze (2013) de Matthieu Donck. Son interprétation remarquable d’un retraité de l’industrie du porno dans Krump (2021) de Cédric Bourgeois témoigne de son talent et de sa belgitude.

Parallèlement à sa carrière d'acteur, Ugeux s'est également aventuré dans la réalisation de fictions et de documentaires. Plus récemment, il a proposé une expérience onirique avec Arbres (2023), où il explore la perpétuité des cycles de la nature. Il a également remporté le Prix Scam du Meilleur Auteur pour son documentaire La Petite prison dans la prairie (2023) lors du Festival Millenium de Bruxelles. Son dernier court métrage de fiction, Hiver (2024), a été sélectionné au Love Mons Festival et sera probablement diffusé prochainement dans d’autres festivals.

Cinergie.be a rencontré Jean-Benoît Ugeux dans les locaux de Wrong Men pour une conversation ouverte et spontanée. Cette entrevue, décomplexée et complexe à la fois, à l'image de l'artiste lui-même, a offert une réflexion sincère sur le fonctionnement du cinéma belge ainsi que sur les défis rencontrés par les réalisateurs et comédiens dans l'industrie cinématographique en Belgique francophone.

Cinergie : Que ce soit dans vos documentaires ou vos films de fiction, vous adoptez une approche contemplative du cinéma saupoudrée d’idées fortes et puissantes. Est-ce votre marque de fabrique quand vous portez la casquette de réalisateur?

Jean-Benoît Ugeux: Il faut distinguer mes documentaires et mes fictions. Les documentaires, c’est moi qui les cadre. Cela s’est mis comme ça naturellement. C’est assez compliqué d’avoir quelqu’un de disponible au long court pendant des mois pour un documentaire. J’en ai réalisé un durant le confinement parce que j’étais tout seul. Et pour Arbres (2023), c’était la même chose. J’étais seul au fin fond des forêts ardennaises et c’était plus simple de le faire en solo. Et le dernier, sur les prisons, j’ai également trouvé ça beaucoup plus facile d’être seul. En ce qui concerne les fictions, c’est un peu plus compliqué de travailler seul. Mes documentaires et mes fictions sont vraiment des univers très différents, tant au niveau de l’approche que des dynamiques mises en place.

 

C. : Quelles sont l’approche et l’intention derrière votre dernier court métrage de fiction intitulé Hiver (2023)?

J.-B. :  Hiver (2023) est parti d’une discussion avec une amie. Elle était fille d'une femme de ménage et elle m’a expliqué avoir rencontré des situations compliquées dans sa petite enfance. Elle avait l’impression que sa maman aimait plus ses employeurs qu’elle ne l’aimait elle. Forcément, elle l’a mal vécu. Évidemment, même si l’entente entre sa maman et les maîtres de maison était excellente, il existait malgré tout une relation de servilité entre l’employée, la maman, et son employeur.

Mon idée était de raconter l’histoire d’un gamin qui vivait très mal le fait que sa maman ait une relation particulière avec les gens qui l'emploient. J’ai commencé par regarder énormément de films sur les gens de maison. Dans tous ces films, il y avait toujours une systématique où les domestiques se font toujours remettre en place par les maîtres de la maison. Du genre : “Écoutez Rosa, vous travaillez pour nous, taisez-vous maintenant". Je n’aimais pas du tout cette approche et je voulais l’éviter à tout prix. En discutant avec des personnes qui m’entourent, je me suis rendu compte que la plupart du temps, les choses se déroulent en fait plutôt bien. Si une personne s’adresse correctement à son entrepreneur ou son médecin à domicile, pourquoi n’adopterait-elle pas le même ton poli et courtois envers son ou sa domestique ? C’est ce que j’ai voulu montrer dans mon film. Je voulais que les maîtres de maison parlent très poliment à leur employée.

 

C. : Toujours par rapport à votre dernier court-métrage intitulé Hiver (2023), les décors et paysages de montagnes en pleine station sont contemplatifs. Comment cela se déroule-t-il lorsqu’on réalise un film de fiction dans une station de ski?

J.-B. : On a tourné Hiver (2023) aux Arcs en France. C’est complexe, car il y a plusieurs niveaux en station et ce ne sont pas les mêmes gestionnaires et référents pistes si l’on se situe à 1000, 1500, 1800 ou 2000 mètres. Les régisseurs qui étaient du coin étaient super compétents. Ils avaient déjà bossé sur place aux Arcs et c’est pour cette raison qu’on a tourné là-bas.

Ce fut quand même très difficile, car on n’avait pas beaucoup d’argent pour réaliser ce film et il était impossible de privatiser les lieux. On devait utiliser les pistes avant 9h du matin ou après 16h. Ce n’est pas simple, car on est soit avant le lever du soleil ou après son couché. Soit on a des pistes immaculées le matin, soit de la gadoue le soir. C'était très difficile de tourner dans une station de ski. Le film s'ouvre sur une séquence de télésiège et ce plan, nous n’avons pu le tourner que trois fois au total avec la contrainte de ne rien pouvoir accrocher dans le télésiège. C’est vraiment un décor et un lieu de tournage plus contraignant qu’on ne l’imagine.

 

C. : Pour conclure à propos d’Hiver (2023), comment avez-vous réalisé votre casting ? Où le film a-t-il déjà été projeté?

J.-B. : D’abord, j’ai dû mettre en place le casting des enfants. Je n’en connaissais pas du tout et c’était quelque chose que je n’avais jamais fait auparavant. Je connaissais les adultes, mais j’ai quand même voulu réaliser des castings pour faire mes choix et réfléchir aux rôles de chacun. J'avais un temps réfléchi à l’éventualité que la maîtresse de maison soit aussi quelqu'un d'origine étrangère et mettre en place un dialogue entre deux langues étrangères. Ça ne s’est finalement pas fait. L’important était que ça marche bien entre la mère et les enfants. Pour l’anecdote, dans l’histoire, Balthazar joue le fils de Rosa, une domestique d’origine espagnole. Quand sa mère lui parle en espagnol, il ne comprend rien du tout vu qu’il ne parle pas un mot d’espagnol. Du coup, il lui répond systématiquement en français dans le film. Finalement, artistiquement, je trouvais ça intéressant d’avoir un gamin qui répond dans une langue qui n’est pas censée être sa langue maternelle. Ça avait tendance à renvoyer sa mère à l’écran dans sa position d’immigrée. Vu qu’il ne comprenait rien, on devait lui dire à quel moment il devait réagir et prendre la parole. C’est la magie du montage qui fait que le résultat fonctionne. Sinon Hiver (2023) a déjà été projeté aux Arcs en première diffusion et il a ensuite été projeté dans le cadre du Love International Mons Festival en ce début d’année 2024. Je ne sais pas encore exactement pour la suite, mais je suppose qu’il va également être diffusé dans certains festivals bruxellois. Il a été acheté par Ciné Plus également.

 

C. : La Petite Prison dans la prairie (2023) a gagné un prix Auteur de la Scam lors du festival Millenium 2024. Qu’est-ce qui vous a motivé à entreprendre ce projet de documentaire sur le milieu carcéral?

J.-B. : Il s’agit d’un projet beaucoup plus long à mettre en place. J’habitais à deux pas de la prison, place Van Meenen, et donc je passais tous les jours devant. J’ai un ami qui a fait un séjour à la prison de Mons et qui m’a expliqué comment ça s’était passé pour lui. J’ai trouvé ça intéressant et je me suis dit que ce serait intéressant de filmer le déménagement de la prison. Au départ, ce n’était pas un film politique. Les négociations avec le pouvoir pénitentiaire ont été de longue haleine. Durant ce temps, j’ai rencontré une multitude de gens qui travaillent dans ou aux abords de la prison. Ça m’a permis de charpenter l’idée du film. Il en résulte que j’avais déjà construit un regard et un questionnement plus précis quand j’ai enfin pénétré dans la prison. J’avais la question suivante à l’esprit : “Pourquoi construit-on de nouvelles prisons?” Mais surtout : “Pourquoi construit-on une nouvelle prison avec un partenaire privé?”

 

C. : Et avez-vous finalement trouvé des réponses à vos interrogations?

J.-B. : Mon documentaire interroge les moyens logistiques et techniques de la fermeture d’une prison, mais également sur les conditions d’ouverture d’une nouvelle prison. Il interroge également sur le pourquoi de la construction de nouvelles prisons ainsi que sur les consultations effectuées en amont de ces décisions. Les prisons ultramodernes ont des soucis de jeunesse, mais en même temps les anciennes sont complètement insalubres. J’ai donc essayé d'avoir un maximum d'avis divergents et convergents par rapport à ce problème énorme que constituent les prisons. Le problème carcéral n’intéresse pas 95% de la population qui considère qu’elle n’ira jamais en prison. Il n’en reste néanmoins pas un problème anodin. La prison fabrique des individus dangereux et des monstres. On est tous payants du fait que la prison est mal gérée.

 

C. : Pourquoi ce titre et où a-t-il été diffusé jusqu’à présent?

J.-B. : On avait mis en place un colloque sur le sujet et on a conservé le titre du colloque pour le film. Pour l’instant, il n’a été diffusé qu’au festival Millenium. En fait, il s’agit d’un projet réalisé directement pour la télévision. Il a donc directement été financé par BeTV et la RTBF. Il est actuellement disponible sur BeTV et il le sera sur la RTBF à partir de septembre prochain. Libération Film le diffuse en Belgique et mon souhait est qu’il soit vraiment diffusé au sein du tissu social et associatif afin de susciter des débats et des questions auprès de la population. J’aimerais le diffuser dans les prisons, mais ce n’est pas garanti, car plusieurs prisons n’aiment pas le ton que j’adopte. J’aimerais vraiment qu’on le diffuse dans des écoles et dans d’autres lieux de ce type.

 

C. : On ne parle que de vos films en tant que réalisateur jusqu’à présent. Dans quel contexte avez-vous commencé à revêtir cette casquette de réalisateur ? Existe-t-elle depuis toujours ou s’agit-il d’une suite logique de votre carrière de comédien?

J.-B. : J’ai réalisé un premier film très expérimental en 2012. Ensuite, j’ai fait mon premier court métrage de 15’ qui s’intitule Eastpack (2017). C’était justement chez Wrong Men. Je voulais un film léger, facile à réaliser et avec mes copains (Claude Schmitz, Baptiste Sornin, Catherine Salée, etc.). On a obtenu le soutien en commission du premier coup et on a opté pour un huis clos. Tout le monde était libre et mon parcours m’a permis d’accéder à la réalisation très facilement. Si les bons dieux du calendrier ne s’étaient pas mis d’accord, je n’aurais probablement jamais réalisé en me disant qu’il s’agit d’un processus long et chiant à mettre en place comme c’est le cas 90% du temps. En réalisant Eastpack, j’ai aimé la réalisation, mais le processus restait quand même assez lourd et chiant avec deux caméras, beaucoup de monde, etc. Juste après j’ai réalisé un autre film de fiction qui s’appelle La Musique (2019). C’était beaucoup plus léger avec une personne à l’image, une personne au son et moi. Puis il y a eu Abada (2020), Fratres (2021), et Hiver (2023). Et là je prépare mon long métrage que je m’apprête à tourner dans un mois. J’essaie au maximum de garder une structure très légère où l’on sortira le moins possible du plateau et avec le moins de préparation possible. On devrait être une équipe d’une quinzaine de personnes au maximum. C’est le fait d’avoir un cinéma naturaliste qui me permet de réaliser ce type de projets. Si je voulais réaliser un film d’époque, je ne pourrais pas. À côté de la fiction, je fais des documentaires. Il y a eu Belgium 20 (2021), Arbres (2022) et La Petite Prison dans la prairie (2023). Pour l’instant, je suis également occupé de monter un film sur le 150e anniversaire du pèlerinage de Lourdes où je me suis rendu 3 ou 4 jours pour filmer. C’est un film beaucoup plus méditatif comme le sont mes courts métrages de fiction. Ce sont des objets très à part où je fais ce qui me plaît et je ne vise pas des achats de télévisions. Ça ne marche pas très bien auprès du grand public, mais je m’en fous, c’est comme ça. 

Lien vers le film EASTPACK disponible en accès libre sur VIMÉO : https://vimeo.com/260772360

 

C. : C’est un peu votre manière de vous évader finalement la réalisation des documentaires?

J.-B. : Oui, et ça me convient parfaitement comme ça. Je découvre des gens et ça me permet d’aller en contact avec le monde. Chose que la fiction ne permet pas. C’est beaucoup plus compliqué et on privatise quasi tous les décors. Ce que je veux dire, c’est que quand on fait de la fiction, on est finalement peu en contact avec le monde. Mais après, mon premier métier, que je continue de pratiquer, ça reste celui de comédien. Mais je deviens de plus en plus réalisateur et ça commence à devenir également mon métier maintenant.

 

C : Avant de parler de votre carrière en tant que comédien et vos derniers projets, pouvez-vous en dire plus sur ce premier projet de long métrage de fiction en tant que réalisateur?

J.-B. : Le film s'appelle L'Âge mûr (2024).  Je joue le rôle principal et il s’agit de l'histoire d'un architecte. Il rencontre la famille de sa copine qui a deux filles. Il est en couple avec elle depuis quelques mois. Au départ, ça se passe très mal avec les filles, mais au fur et à mesure une relation se tisse entre eux. Il se sépare finalement assez rapidement de la copine, mais ce sont ses filles qui lui manquent. C’est un film sur la paternité qui n’a pas eu lieu. Le mec se dit qu’il a 50 ans et qu’il a vécu une vie très libre. Il aimerait prolonger la relation avec les filles, mais ce ne sont pas ses enfants et c'est compliqué. Il s’agit d’un drame avec des scènes cocasses. Il y a beaucoup d’humour, mais également beaucoup d’esprit. Il y a une sorte de légèreté qui sous-tend ce film. Il s’agit d’une coproduction avec la France, mais c’est un film belgo-belge de Wrong Men. On tourne dès mi-avril. Il s’agit d’un film réalisé avec un petit budget. Il y a beaucoup de décors, mais peu de comédiens. J’ai une liberté artistique totale et je travaille uniquement avec des comédiens belges. On ne doit pas payer des Thalys ou des hôtels pour faire venir du monde. Tout le monde est libre pour les répétitions, pour la prépa et pour tout. J’arrive finalement à garder le côté vertueux de mes courts-métrages. Je n’arrive pas à maintenir le côté ultra fauché car il y a des décors. On tourne dans l’Atomium, dans des bureaux d’architecte, etc. Mais j’arrive quand même à préserver cet aspect qui me tient à cœur autant que possible.

 

C. : Vous avez également mentionné un nouveau projet de documentaire, qu’en est-il?

J.-B. : J’aimerais réaliser un documentaire où je vais suivre deux classes de rétho. Ce serait a priori un projet qui ne débuterait que dans un an et demi. L’idée est de suivre les classes pendant une année complète. Une classe dans une école à pédagogie nouvelle et une autre dans une école à pédagogie active. L’idée est de voir comment les élèves de deux classes de terminale débutent leurs vies actives et professionnelles et comment ils sont outillés au sortir de l’école.

 

C. : D’où provient cette envie de mettre en lumière certains aspects de la société?

J.-B. : Je ne sais pas trop d’où ça pourrait venir exactement. Je viens d'une famille où ma maman était issue d'une famille assez bourgeoise et riche qui a vécu en Afrique à l’époque. Et soudainement, elle a tout perdu et n’avait plus d’argent. J'ai donc eu une enfance relativement pauvre dans un quartier social plutôt défavorisé. Mais il y avait néanmoins cette culture bourgeoise qui était présente. Il en résulte que j’ai pu traîner dans beaucoup de milieux différents. Je peux vraiment être une anguille. J'ai travaillé dans le bâtiment et je m'entendais très bien avec les ouvriers. Mais je peux également arriver dans une soirée en respectant certains codes si besoin. Plus jeune, je ne m’étais jamais percé les oreilles ni rien car je voulais toujours pouvoir être un caméléon et aller dans tous les milieux.
Comme comédien, j’ai joué dans les abattoirs pour un film et j’ai pu discuter avec les abatteurs. C’était super.  Et j’essaie d’en parler à travers mes films en fait. Dans Hiver (2023), je comprends le point de vue des bourgeois mais également celui de la femme de ménage et des enfants. La réalité est toujours plus complexe que l’image qu’on en a.

Tchekhov est incroyable pour ça. Si l’on prend La Mouette, on peut comprendre le point de vue d’absolument tous les personnages. Absolument tous sont défendables. Que ce soit le vieil écrivain, le jeune, la mère, on peut tous les comprendre. Ce que j’adore chez Tchekhov, c’est qu’il est à mon sens le plus grand auteur de comédie dramatique. Et ce que j’essaie de faire à travers mon cinéma, c'est de ne jamais être engagé dans un sens uniquement. Dans mon documentaire sur la prison, j'essaie également de le faire. Je ne veux pas tomber dans le cliché qui insinue que les bourgeois sont des cons, que les pauvres sont méchants et que les Arabes sont des voleurs. Mon but, c’est qu’on ne porte jamais une seule parole. On me le reproche souvent en commission. On me demande ce que je veux dire et raconter. Je réponds que je ne sais pas. Que j’essaie seulement de montrer que la réalité est complexe. Et là je me fais incendier par tout le monde. On me dit qu’il faut que le réalisateur sache quel est le message ou qu’il ait un point de vue. Ce n’est pas ma vision des choses. 

 

C. : On a pu constater que vous êtes prolixe en tant que réalisateur mais c’est également le cas en tant que comédien. Je vous ai vu au cours des dernières années dans Last Dance (2022), Space Boy (2021) ou encore Krump (2021). Qu’en est-il de votre frénésie de projets et où en est votre carrière en tant que comédien?

J.-B. : J’ai commencé le cinéma il a vraiment très longtemps mais je bossais beaucoup au théâtre. J’ai fait énormément de tournées dans le monde entier. J’ai beaucoup voyagé et j’ai stoppé car j’en avais marre de ne plus jamais être chez moi. Et puis quand on joue un spectacle 30/40/50/100 fois, à un moment, c’est lassant. Et même au niveau écologique, je trouvais ça un peu nul de prendre l’avion tout le temps. J’ai stoppé le théâtre pour me consacrer au cinéma car les gens du cinéma me disaient qu’il ne m’appelait pas car je n’étais jamais là. J’étais en Corée, en Italie ou ailleurs. Krump est un film que j’ai fait avec Cédric Bourgeois mais on avait déjà beaucoup travaillé ensemble auparavant. On avait fait le court métrage La Bête entre les murs (2011) et Monkey (2015). C’est un vieil ami de la bande Xavier Seron et Meryl-Fortunat Rossi. On s’était dit qu’on allait réaliser un film fauché, Krump. On l’a écrit, on l’a tourné et voilà. Last Dance, c’est Delphine Lehericey, avec qui je n’avais jamais travaillé, qui est venue me chercher. On a fait ensuite ensemble une série suisse qui s’appelle Les Indociles (2023). Et là je viens de terminer une grosse série Paramount, Zorro (2024) avec Jean Dujardin. Et sinon je continue ma carrière.

Mais le mercato des comédiens est très difficile. Si tu n’as pas percé à un certain âge, tu continues à bosser un peu pour les copains mais je ne gagne pas ma vie en tant que comédien et si je tourne 20 jours par an, c’est beaucoup. C’est très rare d’avoir plus. C’est pour ça que j’ai commencé à faire mes films et à écrire mes rôles également. Je l’ai fait dans La Musique (2019) et là je vais le refaire dans L’Âge mur. La réalisation me permet d’avoir accès à des rôles auxquels je n’aurais jamais accès. Le confinement est passé par là et désormais, il faut absolument des stars pour monter des films. Je suis très heureux de pouvoir travailler avec Wrong Men qui veut bien réaliser un film avec peu de moyens. La plupart du temps, si tu n’as pas un certain montant, le projet ne débute pas. Et puis les réalisateurs écrivent des scènes compliquées avec beaucoup de nuit ou avec des trucs d'époque. Les films valent de 2 à 4 millions et pour valider les financements, il faut des stars. Et personnellement, je n’entends que des histoires où les choses se passent difficilement. Les stars ne sont pas libres ou elles plantent le réalisateur juste avant le film. En tant que comédien, j'ai une petite place dans le cinéma en Belgique mais je ne tourne pas beaucoup non plus.

 

C. : C’est étonnant car on voit souvent votre visage à l’écran et ça donne l’impression que vous avez des propositions de rôles à foison et que vous ne vous arrêtez jamais.

J.-B. : C'est marrant parce que tout le monde est toujours à me dire : “Toi, Jean-Benoît, tu n'arrêtes pas, tu es toujours actif.” Mais je fais deux jours-là puis un jour ici. On me voit dans des bandes-annonces et du coup les gens pensent que je ne m’arrête jamais. En réalité, je ne tourne pas beaucoup. Là avec ma dernière série j’ai eu un peu plus de 25 jours de tournage. Mais pour Last Dance (2022), je devais avoir sept ou huit jours. Avec Xavier Seron, il y a une sorte de fidélité mais sur son dernier film ça faisait peut-être trois ou quatre jours de tournage. Ce qui est sympa en théâtre, c’est que ton personnage évolue et se modifie au fur et à mesure. Au cinéma, on te propose des rôles très fonctionnels. Tu es le flic qui doit faire un truc précis. Dans Zorro (2024), je suis un gardien et je joue un rôle fonctionnel qui sert à aller interroger tel personnage à ce moment précis. Pour Xavier, je jouais un voisin suicidaire à poil sur un balcon. C’était plutôt marrant. Il y a beaucoup de rôles que je refuse car ce sont des trucs que j’ai déjà faits 25000 fois. On m’appelle souvent pour des rôles un peu fou ou déviant du genre le pédophile qui vit dans une cave. J’accepte encore des rôles si ça se met bien mais j’en refuse également de plus en plus car je n’apprends plus grand-chose dans certaines situations. Très honnêtement, je préfère prendre des risques en écrivant des films, en faisant des fictions, en faisant des documentaires.

 

C. : Quelles sont vos références cinématographiques ? Avez-vous des réalisateurs qui vous inspirent en termes d’approche du cinéma?

J.-B. : Je ne fais pas du tout le même cinéma qu'eux. J'adore Stanley Kubrick mais mon cinéma n’a rien à voir. 2001, L’Odyssée de l’Espace (1968), c'est vraiment un des plus grands chefs-d’oeuvre de l’histoire du cinéma. Sinon dans les cinéastes auxquels je pourrais m’inspirer, il y a Abbas Kiarostami. Le cinéaste dont que je suis assez proche, c'est Claude Sautet. C’est un peu daté mais j’aime vraiment bien les hommes de cette époque-là. C'était complètement un homme de son époque qui racontait les machos années 80. C’est un cinéaste des amitiés. Les amitiés trahies et d’autres choses qui font que c’est vraiment un auteur que je cite pour préparer mon long métrage. Une autre référence, c'est le film Toni Erdmann (2016), de Maren Ade. Ce film manie avec énormément de bagout un thème de société. Enfin plusieurs thèmes de société comme la famille, le travail, les works alcooliques. Et le tout avec une légèreté énorme ainsi que des scènes extrêmement malaisantes. Mais je me méfie d'avoir des maîtres et de m'inspirer d’eux pour ne pas tomber dans la copie. J’essaie d'avoir un cinéma dans lequel je me sens bien. Je ne cherche pas à ce qu’il soit singulier, ni particulier. Je ne veux pas me sentir complètement dirigé. Je découpe très peu parce que je ne sais pas découper. Je fais souvent des plans séquences en me disant à quoi bon! Je privilégie le jeu. Mais parfois ça peut faire un cinéma qui est un peu sec, voire aride. Tout le monde n’accroche pas à mon cinéma. Une chose que je ne ferai jamais, c’est la caméra à l’épaule. Finalement, on fait le cinéma qui nous correspond.

 

C. : Pour conclure cette interview, que pensez-vous de l’état de santé du cinéma actuellement?

J.-B. : Il y a une dynamique dans le cinéma belge qui s’est mise en place l'air de rien. Le fait d'avoir lancé les projets de subventions légères et les films fauchés, ça a quand même apporté une nouvelle fraîcheur au cinéma. Certains projets sont râtés, mais je trouve que dans la manne de films qui ont été réalisés, beaucoup ont été bien produits. On peut citer Fils de plouc d’Harpo et Lenny Guit (2021) qui a beaucoup circulé. C'était assez intelligent et ça a permis de renouveler les productions proposées. Le gros problème, c’est qu’on dépend à 100% de l'industrie française. Il n’y a pas de cinéma belge dans le sens où l’on ne peut pas vivre du cinéma belge en tant que comédien. Ça reste une chose très compliquée. On a beau essayer avec les commissions de mettre les cinémas belges en valeur, l’industrie est très petite. Il existe bien une énergie et une effervescence dans le cinéma belge, mais ça peut également jouer des tours. On a énormément de productions belges. Je fais partie de la commission du cinéma et je vois énormément de courts métrages produits pour la taille de l’industrie. Parfois, ça éclate et sature probablement un peu trop le marché. Il y a au moins 80 à 100 courts métrages belges qui sont produits chaque année. Il y a une super énergie mais pour prendre l’exemple de Krump (2021), il n’est toujours pas diffusé alors que le film a été présenté il y a deux ans. A priori, il sortira en salles au mois de juin mais ce n’est pas sûr. On se retrouve aussi avec des films qui restent sur les armoires.

 

C. : Et pour conclure sur une note positive?

J.-B. : Le positif, c'est que vraiment beaucoup de choses se font. Il y a énormément de gens et de diversité dans les films. Dans le cinéma belge, il y a tellement de métissages qu’on a plus de diversité. Le cinéma belge francophone a cet avantage énorme d'avoir une fraîcheur et une diversité incroyable. Il n’est pas cadenassé par de gros organismes. Il y a une liberté incroyable en Belgique et c’est pour ça que je ne quitterai jamais ce pays, c’est certain.

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