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25 ans de cinéma français à l’étranger

Publié le 22/02/2021 par Bertrand Gevart / Catégorie: Livre & Publication

À l’heure d’une crise sanitaire nous empêchant de tutoyer les dernières sorties de films, de voir, de revoir, ou de découvrir dans les salles des images que l’on chérira comme des madeleines pendant de longues années, l’ouvrage 25 ans de cinéma français à l’étranger coordonné par Gilles Renouard, et paru aux éditions Hémisphères dans la collection dirigé par Frédéric Sojcher, a le mérite de nous faire voyager dans les images et dans l’Histoire. Avec des contributions diverses (Jean-Christophe Baubiat, Joël Chapron, Isabelle Glachant, Adeline Monzier, Nadine Rothschild, Jérémy Segay et Yoann Ubermulhin), regroupant des études approfondies à partir des chiffres d’Unifrance, l’ouvrage 25 ans de cinéma français à l’étranger offre à la fois un regard rétrospectif sur les traces du cinéma français et son exportation dans le monde et une réflexion sur les possibles du cinéma et ses mutations actuelles.

Cette publication est d’abord une bible précieuse, un objet d’étude, une proposition unique en son genre. Car si on connaît beaucoup des contours du 7e art, en termes de techniques mais aussi de théories, d’histoires et de pratiques, la question de l’exportation à l’international de certains films est un pan des études qui semblent lacunaires. Elle trouve ici des réponses documentées mélangeant cinéma et Histoire, chiffres de sorties de salle et diffusions à l’étranger. Le prologue est, par ailleurs, assez limpide, revenant sur une historiographie cinématographique démontrant une démarche et une volonté d’exportation inhérente à la création du médium même :

« On sait effectivement que les frères Lumière ont envoyé en masse, à la fin du XIXe siècle, leurs opérateurs courir la planète pour à la fois rapporter des images et organiser les premières projections. Avec Pathé et Gaumont, la France a mis rapidement en place le système de distribution des films, construit des salles et lancé des productions à destination d’un public international. »

Un premier postulat en découle, c’est le caractère vagabond, voyageur, du cinéma français, que l’on retrouve partout où des salles de cinéma existent. C’est aussi un des rares qui peut être quantifié en termes de fréquentations depuis plus de 25 ans. Très vite, l’ouvrage aborde alors des questions qui taraudent encore certains penseurs du cinéma.

Qu’est-ce que le cinéma français ? Qu’est-ce qu’un film français ? Et de quel cinéma parle-t-on précisément ? Et pourquoi sur les 25 dernières années ? Quelles œuvres proposer aux pays étranger ? Quels sont les histoires, les talents, les paysages qui peuvent intéresser au-delà du Rhin et jusqu’à Tokyo ?


À ce titre, Gilles Renouard nous éclaire : « Personne en France ni le Centre National de la Cinématographie ni les revues spécialisées n’ont été capables de recenser, durant les cent premières années, les résultats exhaustifs des films hexagonaux hors de nos frontières ». Ce qui nous semble être la clé pertinente pour répondre à ces questions se retrouvent sans doute dans la formulation de l’auteur qui exprime certaines réserves ou prudences à l’égard des chiffres : « Le box-office, le succès, l’échec, les meilleures places dans les tops de l’année ne disent pas tout sur la reconnaissance, la popularité ou la notoriété des films, des personnes, d’une cinématographie… S’il ne faut pas tenir compte que des chiffres, ceux-ci viennent rétablir une hiérarchie autre que celle, importante, des festivals, des prix et des couvertures de magazines.
Ils apportent, parfois de manière surprenante, souvent de manière inédite, un verdict du public, un angle plus populaire qui va aussi avec la réussite économique ». Entre les lignes, demeurent quelques mots qui sous-tendent toute la réflexion : « Les chiffres éclairent le passé et expliquent le présent. » Car il est question de passages, entre passé et présent, entre les chiffres d’hier et ceux d’aujourd’hui pour tisser une réflexion sur le devenir et les futurs du cinéma.


Composé en plusieurs chapitres, l’ouvrage étudie successivement la place du cinéma français dans le monde et son évolution en interrogeant, d’un paradigme à l’autre, les conditions historiques, sociales, externes et endogènes qui conditionnent sa diffusion à l’international. On peut alors lire de très belles pages sur la place du cinéma français pendant la période communiste, jusqu’à la Guerre froide et l’effondrement du bloc soviétique. Les exemples, concrets, nous montrent alors à quel point, en tant que marchandise et produit commercial d’une part, et objet culturel d’autre part, que le cinéma et la circulation des films sont tenus par les mouvements de l’histoire : « Le cinéma est confronté à la marche du monde. » On peut alors établir deux grandes parties au livre, celle qui revient sur les considérations générales et particulières, les conditions géopolitiques, économiques et sociales de la diffusion des films français, comment certains ont pu trouver un avenir à l’étranger alors que d’autres non, découvrir que François Ozon est en tête en Russie devant Luc Besson, mais pas que... Car la deuxième partie offre au lecteur une analyse méthodique des diffusions de films dans plusieurs pays avec des propositions sur les rapports entre le cinéma, sa consommation en salle avec un public vieillissant et les nouvelles plateformes et technologies. Une analyse qui, par ailleurs, revient sur les différentes crises qu’a subies le cinéma et plus particulièrement sur la période s’étalant de 1995 à 2020 et dont sa récente sortie (de crise) est menacée par les séries (…). Mais de la mort du cinéma, il en a toujours été question, depuis sa création. Force est de constater que ce travail de recension montre tout le contraire en termes de productions de films. 
Entrons dans le vif du sujet. La France est le pays qui compte en Europe, le plus de sociétés d’exportation recensées comme telles et qui exportent également les plus grands metteurs en scène étrangers de films d’auteur.

À la page 59, on entre là dans un débat de politique culturelle et terminologique avec la notion « d’agrément » : « L’agrément englobe l’ensemble des films qui peuvent être qualifiés de français, ce qui est bien pratique. Peu de pays peuvent ainsi dresser la liste officielle des films qui relèvent de leur nationalité. La plupart du temps, c’est la participation financière locale, d’où qu’elle provienne (producteurs, subventions, investissement défiscalisé) qui permet d’identifier l’origine nationale des films. » À partir de là, il est donc possible de suivre, de tracer et de comprendre les mécanismes d’exportations et de vies des films français à l’étranger.

Hémisphères Editions

 

L’auteur insiste alors sur deux maillons essentiels qui permettent un tel rayonnement. Il souligne tout d’abord l’importance du distributeur local qui décide que tel film étranger va pouvoir intéresser les spectateurs de son pays. Pourquoi choisir un film français plutôt qu’un autre ? L’hypothèse défendue tient en différents points qui sont les suivants : « Parmi les multiples éléments, qui tiennent tout à la fois l'image du cinéma français, de la notoriété d’un réalisateur où d'une comédienne, de la mise en avant par un festival, d’un coup de cœur de la part de l’acheteur-distributeur, il y a certainement le fait que, parmi les interlocuteurs du distributeur qui vont lui proposer des films, essayer de le convaincre, d’acheter chez eux plutôt qu’ailleurs, se trouvent beaucoup de sociétés françaises ».
Deuxièmement, c’est la figure du vendeur international qui a pris, depuis au moins 15 ans, une place essentielle, « centrale », dans la vie des films. En effet, partant du constat d’une surproduction actuelle, le vendeur international est le négociateur « l’aiguilleur qui va trier les films pour saisir leur potentiel et les orienter vers les salles, les festivals, les plateformes… ou bien les délaisser et les abandonner à une stricte carrière nationale ». D’autres pages restent passionnantes, tant elles ancrent une réflexion critique sur les rapports entre le cinéma et sa consommation (et diffusion) avec l’arrivée des premiers multiplexes jusqu’aux écrans.

Jean-Christophe Baubiat présente un chapitre très intéressant dont le paragraphe sur le cinéma "belge" ne nous a pas échappé. On y apprend d’ailleurs, comme le titre l’indique, que la Belgique est une terre de comédie : « La Belgique et le Luxembourg se caractérisent en effet par une nette domination d’un seul genre, la comédie… La domination des comédies reste très large avec 2 films au-dessus de 300 000 entrées : Supercondriaque et les Tuche 3, mais également Demain tout commence et la Famille Bélier en 26 et 27e position du top 100 des films majoritaires ».

On comprend alors pourquoi un ouvrage comme celui-ci, rigoureux, accessible, documenté et étonnant, à la fois par sa complexité que son objet d’étude, dépasse la sphère cinématographique et bouscule, s’immisce, dans des questions d’une actualité brûlante : « Le cinéma a aussi fait sa révolution numérique, comme le reste de la société. Il est en passe d’intégrer dans son écosystème les plateformes. Elles devaient le phagocyter, elles devraient le ressusciter. Envisagé comme déclinant, passéiste, démodé, le cinéma non seulement survit, mais reste au centre des industries de loisirs ».

C’est peut-être en cela sa force, mourir et renaître, passer entre les mailles des prédictions d’une chronique d’une mort annoncée depuis maintenant 125 ans, il continue de réaffirmer ses spécificités car « comme aucune autre industrie culturelle, il a démontré sa capacité à toucher tous les publics. » Le cinéma français semble encore avoir de beaux jours devant lui, sur le plan national comme sur les tapis rouges et les salles obscures des pays proches et lointains. Par sa diversité de production, ses talents, ses capacités d’investissement, il parviendra encore à montrer sa fabrique d’images, ici ou ailleurs.

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