Avec Interdit aux chiens et aux italiens, Alain Ughetto raconte une tranche oubliée de l’histoire de l’immigration européenne. Bien avant les charbonnages, une génération a forgé les Alpes que nous connaissons aujourd’hui, à coups de pioche et au prix de nombreux sacrifices, souvent méconnus. Grâce à la stop motion, il lève le voile avec tendresse sur la vie de ces familles. Rencontre au détour d’une projection d’Annecy 2022, en attendant la sortie du film en fin d’année sur les écrans belges.
Alain Ughetto - Réalisateur de Interdit aux chiens et aux Italiens
Cinergie : Qu’est-ce qui vous pousse à faire du cinéma ?
Alain Ughetto : Cela me porte. Et puis, je ne sais pas faire autre chose (rires). Mon devoir de père, c’est aussi de transmettre, de raconter une histoire. L’amour que j’ai reçu de mes parents, et celui que je donne à mes enfants, j’ai envie de le rendre. Pour construire ce film, j’ai beaucoup été aidé par le travail de Nuto Revelli et son livre Le monde des vaincus, qui raconte également ces histoires.
C. : Et pourquoi l’animation ?
A.U. : J’aime bricoler. Et la stop motion, c’est un cinéma de bricole, avec des matières que l’on peut toucher, qui peuvent transmettre des émotions. Je n’ai pas eu de formations particulières en cinéma, mais j’y ai toujours gardé un pied. L’animation, cela m’a également permis de travailler seul sur mon film précédent, Jasmine (2012, ndlr). Sur ce projet par contre, avec plus d’ampleur, nous étions une équipe plus large. Mais je tenais à ce que toute l'équipe d'animation ait une vision commune du projet. Et au final, malgré la pandémie et malgré les retards et les reports que cela a impliqué, cela s’est bien passé.
C. : Un film léger malgré un sujet assez dur…
A.U. : C’est certain. Mais cela s’inscrit dans la lignée du cinéma italien que j’aime beaucoup, comme Ettore Scola, comme Rossellini. Et c’est aussi pour cela que j’ai voulu travailler avec un compositeur italien. Il a réussi à insuffler de la poésie, de la douceur et de la nostalgie dans le récit, malgré la difficulté des thèmes et des chapitres du film. Comme la séquence autour de Tripoli, qui est un des meilleurs exemples de cette dualité pour moi.
C. : Des anecdotes de tournage ?
A.U. : Il y en a toujours, surtout lorsque l’on travaille avec des budgets serrés comme ce fut mon cas. Dans les marionnettes par exemple, nous avons dû sacrifier les tailles moyennes. Le personnage passe donc de petit à… adulte ! Et cela devient une blague, “c’est la polenta !” (rires). Ou encore autour des bruitages. Il fallait que les sons soient à échelle humaine, comme les brocolis qui “poppent”, ou le mur de briques qui se construit en son également. On construit autour des contraintes, et c’est cela qui donne du sel au film.
C. : Quels ont été les retours du public ?
A.U. : J’avais un peu d’appréhension vis-à-vis de ma famille, mais mes enfants ont apprécié le film. Concernant le public, c’est un film qui marque. Raconter l’histoire des anciens, c’est important, et les gens peuvent se retrouver dans cette histoire somme toute assez universelle. Interdit aux chiens et aux italiens, c’est aussi l’occasion de faire ressortir des récits, de perpétuer cette mémoire, et de la faire connaître auprès des jeunes générations.