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Interdit aux chiens et aux Italiens d' Alain Ughetto

Publié le 14/02/2023 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

De ses mains marquées par des années de bricolage divers et variés, Alain Ughetto narre sa propre histoire familiale, mettant en scène celle-ci au travers d'un film d'une poésie douce, malgré un propos dur et sans concessions.

"Cette histoire, c'est aussi la mienne. En être un des acteurs était donc logique à mon sens, et ces apparitions de mes mains permettent aussi de remettre le côté bricolé au centre du récit. C'est un héritage et une force."

Interdit aux chiens et aux Italiens d' Alain Ughetto

Animé en stop-motion, Interdit aux chiens et aux Italiens oscille ainsi entre fiction et documentaire, tandis que se reconstruit sous nos yeux l'histoire de l'immigration italienne du début du vingtième siècle. Bien moins connue chez nous que les vagues qui suivront la Seconde Guerre mondiale, celle-ci est pétrie de drames familiaux et d'espoirs inachevés, mais aussi d'anecdotes et de moments de bonheur que le cinéaste choisit de représenter pour équilibrer son récit. Pour montrer la résilience qui fut celle de ces familles qui manquaient de tout, sauf d'espoir. Avec comme voix de ce passé presque oublié celle de sa grand-mère Cesira, ressuscitée dans sa belle jeunesse grâce à la magie de l'animation.

Une animation à la fois simple et belle, qui ne s'embarrasse pas d'artifices mais propose néanmoins de belles trouvailles visuelles qui donnent au film ce côté bricolage si cher au cinéaste. Les arbres sont en brocolis, les montagnes en charbon (ou presque), et les maisons de bois sont en carton ondulé. Un univers attendrissant avec lequel Alain Ughetto interagit avec malice, ajoutant une intimité au récit qui en renforce la douceur. Un dialogue entre passé et présent qui se joue avec des échanges de rires, d'objets et de tirades, où l'on sent tout l'amour que le cinéaste a pour ses personnages et leur histoire. Une petite truelle glissée ici, et l'artiste rassure son propre père-enfant, alors que la détresse le submergeait. Une petite fleur offerte- là, et c'est à sa grand-mère qu'il rend hommage.

Et par la musique, en parfaite adéquation avec le récit et apportant un peu plus de cette légèreté nécessaire pour ne pas sombrer dans l'horreur et la misère, Ughetto retrouve les néoréalistes italiens comme Fellini ou De Sica, qui l'inspirent et le portent. Dans la plus pure veine de ce cinéma italien des petites gens, des oubliés de l'Histoire.

Quelle autre technique aurait pu apporter tant de poésie à un tel récit ?  Sans se cantonner au documentaire, Alain Ughetto profite en effet de la stop motion pour universaliser son propos, se jouant des espaces et des temporalités et parcourant ainsi une moitié du vingtième siècle, loin d'être la plus glorieuse de l'histoire européenne. Car derrière ce film, il y aussi la volonté de transmettre un héritage, de préserver ces récits qui sont ceux de nos ancêtres pas si lointains après tout. Ces femmes et ces hommes qui ont fait de l'Europe ce qu'elle est aujourd'hui.

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