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Bastien Martin, nouveau coordinateur chez Camera-etc

Publié le 18/03/2021 par Constance Pasquier et Nastasja Caneve / Catégorie: Entrevue

Quand une page se tourne au sein d’une asbl vieille de 40 ans, il faut marquer le coup. Après de bons et loyaux services, le charismatique Jean-Luc Slock a quitté le studio qu’il avait créé en 1979 pour céder sa place à Bastien Martin. Camera-etc., c’était d’abord Caméra enfant admis, un atelier de production qui s’adressait uniquement au jeune public. Depuis lors, les missions de l’asbl se sont enrichies et diversifiées.

Aujourd’hui, Camera-etc., c’est un atelier de production qui produit et coproduit des films d’auteurs via quatre appels à projets comme MICROFILM et START. C’est aussi un centre d’expression et de créativité qui organise, seul ou en collaboration avec d’autres structures, des stages pour enfants, des ateliers pour adultes. Camera-etc. est également reconnu comme partenaire privilégié de la Cellule Culture-Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans ce cadre, les animateurs de l’asbl se rendent dans les classes pour réaliser des courts métrages d’animation collectifs. Enfin, Camera-etc., ce sont aussi des animateurs professionnels qui réalisent des films de commande : clips, documentaires, films didactiques, etc.

Et demain ? Bastien Martin, diplômé en Arts du Spectacle à l’Université de Liège, réalisateur d’un documentaire sur Raoul Servais, a travaillé pendant quelques années dans la production cinématographique. C’est avec ce bagage qu’il endosse le rôle de nouveau coordinateur et c’est avec enthousiasme qu’il souhaite poursuivre ces différentes activités tout en ouvrant le champ des possibles, vers, par exemple, le documentaire animé qu’il affectionne particulièrement.

 Cinergie : Que connaissais-tu de Camera-etc. avant de postuler ici ?
Bastien Martin : Je les connaissais de réputation mais aussi parce que j’avais commencé un stage pour adultes chez eux il y a presque dix ans. J’avais apprécié l’équipe, la manière dont les choses fonctionnaient ici.

 

C. : D’où t’es venue l’idée du documentaire sur Raoul Servais ?

B. M. : Au départ, je voulais faire une thèse de doctorat sur le cinéma d’animation en Belgique. En sortant de l’Université de Liège, ce sujet m’intéressait, j’ai rencontré plusieurs réalisateurs dont Raoul. On a sympathisé, il travaillait sur un projet à l’époque, je me suis dit que je pourrais peut-être faire plus qu’une simple interview de lui : un livre, un court-métrage. Finalement, c’est devenu un documentaire que j’ai mis quatre ans à réaliser. Je l’ai terminé en 2017 au moment où sortait un de ses derniers films.

 

C. : Tu l’as réalisé par tes propres moyens ?

B. M. : Au départ, oui. Je travaillais bénévolement avec quelques amis pour suivre Raoul, prendre quelques images parce qu’à l’époque, il travaillait sur son dernier film, Tank, en 2015-2016. J’avais un producteur, on s’est lancé puis nous avons eu le soutien de la RTBF, du WIP, de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le film a pris une ampleur professionnelle à ce moment-là.

 

C. : Pourquoi voulais-tu approfondir le domaine du cinéma d’animation en Belgique ?

B. M. : D’abord, parce que si tu veux faire une thèse de doctorat en Belgique, c’est mieux de travailler sur le cinéma belge. Ensuite, je trouve que le territoire de l’animation est fascinant. C’est un territoire d’expérimentations, un territoire où réel et imaginaire se mélangent, un territoire aux multiples possibilités et il est peu mis en valeur au sein de notre cinéma. On parle souvent du cinéma du réel avec les frères Dardenne, Joachim Lafosse, Bouli Lanners, mais il ne faut pas oublier que nous sommes un vivier du cinéma d’animation. On a eu un des premiers studios européens d’animation ici, à Liège, dans les années 1940 et Belvision dans les années 1960. Il y a toute une histoire, une esthétique du cinéma d’animation belge avec notamment Raoul Servais qui a reçu la première Palme d’Or.

 

Bastien Martin © Constance Pasquier/Cinergie

 

C. : Quels sont les grands axes de travail de chez Camera-etc. ?

B. M. : L'axe le plus connu est celui des ateliers (pour adultes notamment) et les stages qui se déroulent pendant les vacances scolaires (pour enfants de tous âges, de 6 à 12 ans). Camera-etc. est reconnu comme centre d’expression et de créativité. On permet une éducation aux médias et une éducation au langage cinématographique, mais on permet surtout aux gens d’exprimer des idées, un univers, un message, des thématiques qui les intéressent à travers l’animation.

On a aussi l’axe films d’auteurs. Nous avons les réalisateurs historiques tels que Mathieu Labaye, Louise-Marie Colon, Delphine Hermans et, depuis quelques années, il y a de jeunes auteurs qui apparaissent dans le cadre d’appels à projets comme le projet START qu’on fait en partenariat avec Zorobabel mais aussi l’appel à projets MICROFILM dans lequel on a divers réalisateurs et réalisatrices pour lesquels notre équipe apporte une plus-value technique et artistique, elle fait un peu de mentoring à ces jeunes auteurs pour qu’ils puissent se lancer dans le milieu de la réalisation du court-métrage.

 

C. : En quoi consiste l’appel à projets MICROFILM ?

B. M. : C’est vraiment une spécificité de chez Camera-etc., c’est un projet qui fait notre ADN et notre force en tant qu’atelier, c’est-à-dire mettre à disposition à la fois des moyens techniques, souvent coûteux mais dont on bénéficie, et des moyens humains. On a un vivier de réalisateurs, d’animateurs qui sont très expérimentés. On reçoit une série de projets de jeunes auteurs qui font un premier ou un deuxième film de format court, maximum 5 minutes, et on leur apporte une sorte de mentoring. On associe un ou deux réalisateurs à ces jeunes auteurs et on les accompagne dans la réalisation de leur film, on les initie à la question de la réalisation d’un film d’animation, on tente d’éviter les pièges avec eux. Par la suite, on fait un travail de diffusion et d’inscription en festivals, on les suit de A à Z, de l’écriture à l’inscription en festivals en passant par la réalisation.

 

C. : Vous réalisez également des films de commande comme des clips musicaux. Dans le futur, tu voudrais développer cet axe de travail ?

B. M. : On a une sensibilité chez Camera-etc. par rapport à la musique. On fait beaucoup de films de commande, dont des clips. On a souvent des auteurs, des groupes, qui viennent avec des propositions de clips. Dernièrement, le groupe La Valise a proposé à des enfants de faire leur clip pour leur chanson Le Facteur. On a un vivier musical dans la région, on est dans un pays qui adore la musique, il suffit de compter le nombre de festivals qu’on a en Belgique. Et je trouve que l’animation s’y prête assez bien. Il y a un rapport entre animation et musique qui, depuis les premiers cinéastes expérimentaux comme Oskar Fischinger, Len Lye, McLaren qui ont travaillé sur le rapport entre musique et image animée. Je pense qu’on pourrait trouver un territoire à explorer, mettre différents labels et artistes en avant. Je sais que c’est aussi une sensibilité que certains de nos animateurs ont. J’ai envie de tenir compte de leurs envies et de leur savoir-faire pour explorer ces territoires de manière plus approfondie que ce qui a été fait jusqu’à présent.

 

C. : Comment choisissez-vous les privés pour qui vous réalisez ces films? Comment restez-vous fidèles à cette marque de fabrique propre à Camera-etc. ?

B. M. : Parmi les axes de chez Camera-etc., à côté du centre d’expression et de créativité et des films d’auteurs, on réalise aussi des films de commande sur des sujets très variés, tantôt pour de petites associations tantôt pour la Région Wallonne. On tente de faire des films qui sont en lien avec nos idéaux par exemple sur la question du surendettement, celle de la médiation, celle de jeunes enfants qui viennent de guérir du cancer. On ne va pas travailler avec de grosses entreprises pour faire du film vraiment commercial car, d’une part, ce n’est pas notre terrain, notre expertise et, d’autre part, on n’en ressent pas l’envie. Enfin, nous n’aurions aucune chance face à des boîtes qui arrivent avec 45 personnes disponibles pour faire des films très soignés en motion design. Et, c’est un créneau qui ne nous intéresse pas car ce n’est pas notre esthétique. La mode actuelle dans le cinéma d’animation réside dans la 3D. C’est vrai que c’est plus facile, les gens y sont plus habitués via Disney, Pixar mais ce n’est pas notre marque de fabrique et on n’a pas envie de s’y plonger. On veut promouvoir le côté « artisanal » de l’animation, la technique traditionnelle, le papier découpé, les marionnettes. On veut enrichir ce terrain d’expérimentation et c’est aussi notre rôle en tant qu’atelier de ne pas courir vers ce qui va faire des entrées et permettre à des auteurs de pouvoir s’exprimer de manière différente. On restera fidèle à cette ligne éditoriale établie depuis les débuts de chez Camera-etc.

 

Bastien Martin © Constance Pasquier/Cinergie

 

C. : Quelle est cette ligne éditoriale propre à Camera-etc. ?

B. M. : On aime jouer sur le flou entre ce qui est narratif et le cinéma très expérimental. Par exemple, notre animateur Simon Médard est très tourné expérimentation et manipulation. On a envie d’explorer ce territoire et c’est ce qui fait la force de Camera-etc. par rapport à d’autres structures de production. On peut se permettre, en tant qu’atelier, de réaliser ce type de films et de permettre à d’autres auteurs, d’autres techniciens, de réaliser ce type de films aussi dans le marché très serré qui est celui du cinéma d’animation.

 

 C. : Quels sont vos rapports avec les écoles d’animation de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?

B. M. : On a beaucoup de liens avec ces écoles puisque nous accueillons de nombreux stagiaires chaque année. Pour l’instant, on a des étudiants de l’école Albert Jacquard à Namur, de la Cambre. On a aussi une reconnaissance internationale puisqu’on a également des demandes d’étudiants qui viennent de France, du Canada. Il y a une aura autour de Camera-etc. qui s’est construite au fil des années grâce à la visibilité que Jean-Luc Slock a donnée à l’asbl pendant ces quarante dernières années. Il y a une envie de venir chez nous. Dans le futur, on aimerait développer davantage ces partenariats avec les écoles peut-être en leur proposant des animations plus particulières, des collaborations. On en est au stade embryonnaire mais j’aimerais développer cela dans les prochaines années.

 

C. : En tant que nouveau coordinateur, que voudrais-tu développer chez Camera-etc. ?

B. M. : Mon gros challenge, c’est de poursuivre ce qui a été mis en place depuis 40 ans, ce qui n’est pas rien, tout en essayant d’apporter des choses plus personnelles. Je suis très sensible à l’expérimentation en animation, par exemple. Je voudrais sortir de l’idée qui prime depuis plusieurs années qui considère que l’animation peut raconter des histoires qu’on pourrait raconter avec de vraies personnes. J’aime les univers un peu fous qui transgressent le réel, qui profitent pleinement du potentiel de l’animation comme le font des cinéastes comme Bill Plympton, Osamu Tezuka, par exemple en animation un peu expérimentale.

Je suis aussi très intéressé par le mélange entre le réel et l’animation qui existe dans le documentaire animé, domaine qui m’intéresse beaucoup. J’aimerais explorer ces axes avec mon équipe, voir ce qui est possible de faire en termes de partenariat, de coproduction.

Je voudrais aussi trouver notre place dans le monde numérique d'aujourd'hui tout en conservant le côté « artisanal » qui fait notre force (nous n'avons pas du tout l'intention de passer au numérique style « 3D » comme Pixar ou Disney), et maintenir l’importance de Camera-etc. en tant qu’atelier de production de la Fédération Wallonie-Bruxelles et ancré dans un territoire liégeois. 

 

C. : Comment s’est porté Camera-etc., et l’animation en général, pendant le confinement ?

B. M. : Il est vrai que l’animation permet de travailler « seul » face à son écran, l’équipe a pu fonctionner en télétravail et avancer sur les projets en cours. Mais, le cinéma reste un art collectif, quoiqu’il arrive. Il est important de discuter, d’échanger sur les films autour du scénario, du rythme, etc. Ces échanges ont manqué. C’est là que réside la difficulté actuellement : techniquement, les gens peuvent avancer seuls chez eux mais, pour faire un bon film, il faut avancer en groupe. La notion de collectif est primordiale chez Camera-etc. car c’est la seule manière de produire des projets vraiment beaux et intéressants.

 

C. : Est-ce que le cinéma d’animation est assez soutenu pour le moment ?

B. M. : Les subventions en Belgique sont assez difficiles en général. C’est peut-être encore plus compliqué pour le court métrage aujourd’hui, encore plus pour un court métrage d’animation parce que les coûts ne sont pas les mêmes qu’un tournage en prises de vue réelles. Tout le monde sait que l’animation c’est de l’image par image et qu’on ne fait pas dix minutes d’animation en une seule journée. Cela demande beaucoup de travail, d’investissement, des équipes assez importantes. La COVID a eu cet impact que la Fédération Wallonie Bruxelles a majoré certaines aides. C’est bien mais il y aura toujours ce problème de financement pour pouvoir couvrir une bonne partie du budget. Nous, en tant qu’asbl, on n’a pas accès au TaxShelter, ni à Wallimage. Ce qui constitue une difficulté supplémentaire pour nous.

Enfin, il y a ce problème de visibilité. La concurrence est très rude en festivals et, avec la COVID aujourd’hui, on se demande comment les films sont vus. Les films ne sont plus diffusés en télévision, il reste Internet qui n’est pas forcément le terreau préféré des auteurs. À mon sens, il y a un problème de financement mais aussi de visibilité du court-métrage en général et du court-métrage d’animation en particulier.

 

C. : Que pourriez-vous mettre en place pour augmenter cette visibilité ?

B. M. : La question de la visibilité constitue un des gros axes de travail dans les prochaines années avec l’équipe de Camera-etc., en particulier avec notre chargé de diffusion. Il y a beaucoup de choses qui sont possibles aujourd’hui. Le confinement et la COVID nous ont appris à sortir du cadre et à bouger les lignes. En dehors des festivals, il y a de petites projections dans des lieux bien particuliers. On envisage peut-être de mettre en place des sortes de programmes « clé sur porte » pour les centres culturels, les cinémas. On a aussi des expériences sur les réseaux sociaux comme Youtube ou Facebook pour la projection qu’on n’a pas pu faire l’année dernière de nos productions. On a fait 450 vues, ce qui est 4 fois plus que ce que l’on aurait pu faire en salle à l’époque. Il y a des choses à penser et à mettre en place mais il ne faut pas partir dans tous les sens et se précipiter, il faut réfléchir à une stratégie sur le long terme et se demander comment rendre accessible facilement toute une série de films, pas seulement les films de chez Camera-etc. mais aussi d’autres courts métrages belges. On pense à des séances particulières, chez des particuliers. J’aimerais organiser de manière plus régulière des séances d’accompagnement en présence de réalisateurs, d’auteurs. Par exemple, je voudrais organiser des séances de 3-4 films avec 3-4 auteurs comme ce qu’on fait déjà au Jour le plus court. J’aimerais aussi dépasser le cadre local et sortir de la région liégeoise et partir en Fédération Wallonie-Bruxelles voire plus loin si c’est possible.

 

 Le Marcheur de Frédéric Hainaut

 

C. : Quels sont vos projets actuels ?

B. M. : Le dernier film d’auteur sur lequel nous travaillons actuellement est le nouveau film de Frédéric Hainaut, qui avait réalisé Le Marcheur, qui s’intitule Avec tes mondes lointains. C’est un film issu d’un grand voyage que Frédéric et son coauteur, Olivier Croufer ont effectué. Ils ont traversé le Congo à vélo et ils ont rencontré des personnages hauts en couleurs, ils ont vécu des choses émotionnellement, physiquement et le film racontera un des personnages qu’ils ont rencontré avec l’esthétique très particulière et très poétique de Frédéric Hainaut. Ce personnage a un problème avec son moulin dont la courroie lâche et cet incident technique conduit à toute une série de réflexions métaphysiques, intimes, personnelles. Le film devrait être prêt pour fin 2021, début 2022.

À côté des projets personnels des animateurs de chez Camera-etc., je voudrais mettre en place d’autres choses avec des réalisateurs, par forcément issus de l’animation. Par exemple, Mathieu Labaye est en train de travailler sur un documentaire traitant de l’épilepsie constitué de prises de vues réelles et d’animation. Dans les prochains mois, d’autres choses vont se développer pour de nouveaux auteurs, sans doute en accompagnement avec des auteurs qui sont déjà en place chez nous actuellement. Tout cela est à réfléchir pendant les prochains mois, les prochaines années.

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