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Benjamin d'Aoust, réalisateur de Mur

Publié le 01/04/2008 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Attiré par l’universel, le passé industriel, l’analyse, l’épure, le contrepoint et Rimbaud, Benjamin d’Aoust explore, dans son premier court métrage, Mur, une histoire dénuée de mots, mais non d'atmosphères sonores et visuelles. En voici  l’intrigue : un enfant lance une balle contre un mur; subitement, la sonorité se fait autre, et le jeu se transforme en apprentissage. En avril, ce film curieux, diffusé en parallèle au Festival du Film Fantastique, fera l’actualité de L’Envers du court, sur la Deux.

Le déclic.

Benjamin D'Aoust, réalisateur

L’analyse. L’envie.

« Le premier film qui m’a donné envie de faire du cinéma, c’est Les Affranchis de Martin Scorsese. C’est un de mes préférés de Scorsese, car il raconte une histoire ample, dans un style qui mélange quelque chose de brut et de construit. Dans un autre registre, je me rappelle aussi de ma première séance de cinéma avec mes parents, Top Gun. Par la suite, en humanités, j’ai eu un prof, Mr Deffense, qui donnait des cours de poésie. On analysait des films avec lui; c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que le cinéma était quelque chose d’intéressant.On cherchait à décoder le langage en travaillant à partir de films mais aussi de poésies et de paroles de chansons. L’analyse me plaisait, je sentais que j’avais envie de faire du cinéma, mais je me sentais un peu vide. 
En sortant des études, je n'étais pas attiré par une école comme l'IAD ou l'INSAS. Je me suis donc tourné vers l’ULB : j’hésitais entre la philosophie, la psychologie et le journalisme. J’ai finalement choisi la dernière option, car je me suis dit que ça allait me permettre d’écrire. »

De la section de Journalisme à ELICIT.
« Je voulais devenir critique de cinéma et essayer de transmettre l’intérêt que j’avais. En journalisme, j’ai appris à structurer mon écriture comme à construire une idée, un article. Mais je sentais que je n’étais pas vraiment passionné par mes études : je regardais plein de films au lieu d’aller aux cours. N’ayant pas fait d’école de cinéma, je voulais quand même apprendre. Et puis, j’avais l’impression de perdre ce que j’avais gagné dans mon adolescence. Lors de mes cours d’analyse en humanités, j’avais développé un rapport très sensitif aux films; en journalisme, cet aspect était mis de côté. À la fin de ces quatre ans, je me suis demandé si j’allais tenter l’INSAS ou l’IAD. Je ne l’ai pas fait, probablement parce que j’avais déjà pris toutes mes options en ELICIT et que ça m’avait plu. J’ai choisi de m’inscrire dans cette section parce qu’elle permettait d’avoir une vision globale du cinéma. Elle m’a permis de formaliser toutes les connaissances que j’avais et celles que je n’avais pas du tout. C’est sûr qu’en arrivant à ELICIT, tout le cinéma précédant les années 70 m’était complètement inconnu. Je ne connaissais quasiment rien, à part quelques films importants comme Metropolis. Je voulais toujours devenir critique, mais dès qu’on a eu notre premier atelier de scénario, j’ai senti que c’était ça qui m’intéressait vraiment. »

Jean-Jacques Andrien. Les prémices de Mur.« En ELICIT, il y avait un séminaire de scénario à Rossignol, à l’Est de la Belgique. On devait tous arriver avec une idée de base, l’objectif étant de construire une histoire. J’ai écrit le scénario de Mur là-bas.  L’idée, c’est celle d’un enfant qui joue avec une balle contre un mur et qui essaye de le casser. Il n’y arrive pas parce que de l’autre côté, un autre enfant joue exactement de la même manière que lui. Donc la force d’équilibre des deux balles qui ricochent empêche le mur de tomber. Mais pour passer d’un côté à l’autre, il me fallait une histoire. Je me rendais compte que cette idée n’était pas un film. La caméra ne pouvait pas juste quitter le premier enfant pour passer de l’autre côté du mur. Jean-Jacques Andrien m’a alors dit qu’il fallait que je réfléchisse au son pour introduire la présence de cet autre. En fait, le film était déjà extrêmement basé sur le son du fait de la rythmique de la balle, à la limite de l’hypnotique. J’ai alors pensé qu’il fallait que ces sons se perturbent et qu’ils soient entendus de l’autre côté de ce mur. C’est cela qui allait permettre au film de se développer. »

Du cours au court.
« Une fois que j’ai fini mes études, j’ai créé Lemurian Productions avec Laurent Hanon, rencontré à ELICIT. Il avait vraiment envie de se lancer dans la production et moi, dans la réalisation. On est tombé d’accord pour que le premier projet soit Le Mur qui s’est mué ensuite en Mur. On voulait tenter l’aventure, avoir un retour des professionnels, mais quand on a déposé le scénario, on ne savait pas du tout comment fonctionnait la Commission. Tout s’est lancé très rapidement : on a créé l’asbl en novembre 2004, on a déposé un dossier début janvier 2005 et le 25 février, le projet a été accepté par la Commission. »

L’altérité. Rimbaud.
« En haut de ce mur, il y a un trou noir qui symbolise l’autre côté. C’est une sorte d’espace surréel, un peu marqué, très brut, et en même temps, très construit. Je pense que les gens peuvent mettre ce qu’ils veulent dans cet espace noir. Par exemple, est-ce qu’il y a un autre enfant de l’autre côté du mur ou pas ?  Est-ce que l’enfant entend ces sons ? Que représentent d’ailleurs ces sons ? Le film est vraiment basé sur la possibilité de l’autre. Dans le scénario d’origine, il y avait d’ailleurs l’aphorisme de Rimbaud, « je est un autre », que je voulais apposer sur un pan du mur. J’ai abandonné cette idée car la phrase aurait dénaturé le film en lui conférant une interprétation, ce que je voulais éviter à tout prix car je cherchais à atteindre l’épure. Rimbaud est vraiment un auteur important dans mon travail. En ELICIT, mon mémoire était déjà le scénario d’une adaptation de Les garçons de Xavier Deutsch, l’histoire d’un enfant nommé Arthur Rimbaud qui fait un blocage complet à l’adolescence par rapport à son nom de famille et qui va partir dans des expériences « rimbaldiennes ». Le « je est un autre », c’est une figure centrale pour moi. Je pense que la création artistique participe vraiment de ce principe-là. Quand on écrit un film, peint un tableau, invente une musique, on se projette dans un autre, mais on reste nous-même. Ça me travaille, ce rapport entre soi et l’autre. »

Archibald d’Aoust.
« Quand j’ai écrit le scénario de Mur, j’avais tout de suite en tête Archi, mon neveu, pour le rôle de l’enfant. Je lui ai proposé l’idée, il était très content d’y participer. Je lui ai expliqué simplement l’histoire. On sentait qu’il l’avait intégrée parce que quand on était sur le plateau, à certains moments, il faisait des remarques, des jeux d’esprit. Par exemple, il voyait passer un enfant dans la cour et il disait : "c’est l’autre, c’est lui qui joue de l’autre côté !"».

Les murs. Le mur.
« Au départ, je pensais situer le mur de mon film dans un port pour avoir une certaine ambiance. Je suis allé à Bruges, Ostende, Zeebrugge, Anvers, mais je ne trouvais rien. Je cherchais un mur complètement lisse, en béton armé, absolument froid avec juste un énorme trou en hauteur. 

Je voulais absolument tourner en décor naturel parce que c’était très important dans ma démarche de travailler avec un passé existant qui avait été complètement rejeté, mais que moi, je trouvais très beau. Tous les week-ends, on était plusieurs à sillonner la Belgique à la recherche de ce lieu. Le mur de Genval, celui du film, je l’ai trouvé au dernier moment. Le mur avait une vraie présence et il était rempli d’histoire. La cour était un vrai hangar dans lequel des gens travaillaient encore cinq ans avant que je ne tourne. C’est exactement le type d’endroit que je trouve magnifique. J’ai une grande passion pour les zones industrielles. Pour moi, ce sont des cathédrales humaines désacralisées. »

Virgine Surdej et l’image.
« C’est quelqu’un qui a cinquante idées à la seconde. Virginie a un univers visuel extrêmement riche et elle s’intéresse à un cinéma que j’aime particulièrement. Ça a tout de suite collé entre nous : on avait les mêmes envies d’images. Je l’ai rencontrée quatre mois avant le tournage, on a commencé à regarder des bouts de films ensemble. Elle me demandait quel genre d’images je voulais, mais je ne possédais pas les mots précis pour formuler ma réponse alors, je lui montrais les films que j’aimais et elle faisait de même. Il y a eu des films communs comme Le retour d’Andreï Zviaguintsev, Stalker de Ta

 

rkovski, L’ami américain de Wim Wenders. Elle m’a appris, au fur et à mesure, à m’exprimer en termes d’images. Pour Mur, je voulais de la frontalité, des plans longs et un jeu de rupture entre des plans larges et des gros plans. Le principe du film, c’était d’éviter le plan intermédiaire, américain, télé. À la place, je voulais créer des ruptures entre le très grand et le très petit. Etre dans le choc. »

Benjamin Daoust, réalisateur

Aline Huber et la musicalité.
« Une fois qu’on a tourné le film, on a commencé à travailler le son. Avec Aline Huber, j’avais déjà réfléchi en amont : on avait aussi fait des essais sons, on s’était demandé où on allait enregistrer les échos, comment on allait les placer, …. Sur le plateau, on a fait uniquement des sons directs dont on a peut-être gardé 5% au final. Il y a eu un énorme travail autour du son, notamment pour celui de la balle : il est composé de 8 sons différents superposés, mixés ensemble. D’ailleurs, on devenait fous en montage en écoutant des sons de balle ! Ça devenait une obsession. Même pendant la nuit, on entendait des balles faire « poum-poum-poum-poum-poum-poum » ! Sinon, ce qui a été le plus dur à créer, ça a été les perturbations du son. Comment faire comprendre que les sons sont unis au départ et s’écartent par la suite et comment à la fin, reconstruire l’inverse à savoir que les sons sont écartés au départ et se réunissent après ? Pour y arriver, on utilisait un micro quadri-directionnel qui donnait une sensation de vertige très perturbante. Je me suis rendu compte que le son avait quelque chose de moins concret que l’image. D’ailleurs, si on y réfléchit, il y a un nombre de mots dans le vocabulaire pour définir la vision (je vois, j’aperçois, je regarde, je visualise …) et très peu pour le son (j’entends, j’écoute, …). »

Après Mur.
« Mur était un film radical, ce n’était pas très facile de le laisser partir. Je m’étais énormément investi dans ce projet qui était aussi mon premier film. Je l’ai beaucoup porté, une fois terminé. Actuellement, je suis en train d’écrire le scénario d’un film que j’espère déposer à la Commission au mois d’avril. Tout ce que je peux en dire à ce stade, c’est que c’est l’histoire d’un homme qui croit croiser son double. C’est toujours lié au thème "je est un autre". Je n’abandonne pas Rimbaud. »

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