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Blanche-Neige, la suite de Picha

Publié le 12/01/2007 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Il y a quelque chose de pourri au Royaume Enchanté. Blanche Neige mange bio, le Prince Charmant lutine Cendrillon, les Sept Nains ont chopé une sale maladie de peau, la Belle au Bois Dormant se balade en porte-jarretelles et la Bonne Fée s’escrime à pourrir l’existence de son prochain au motif qu’elle veut mettre le grappin sur le Prince. Un vrai capharnaüm. Tout ça parce que Blanche Neige a épousé le Prince Charmant. Il nous l’avait caché, ça, Walt Disney ! Pas fou le ricain ! Picha, lui, une fois le papa de Mickey enfermé à double tour dans son caisson cryogénique n’hésite pas à balancer, en traître ! Normal, Picha adore dézinguer les mythes, chambouler les genres et atomiser les icônes de son coup de crayon ravageur. Ce mec ne respecte rien !

image Blanche-Neige la suite

Dans la grande famille du cinéma (belge ou pas), Picha, c’est un peu le vieil Oncle Joseph. Mais si, vous savez, celui qui raconte des blagues cochonnes et sort son répertoire de chansons paillardes au grand désespoir de vos vieilles tantes offusquées ! Le champion du rire gras et de l’humour de garde-champêtre ! Vous connaissez sa dernière ? : « Savez-vous ce que Blanche-Neige a demandé à Pinocchio après le départ du Prince ?… Mets ton nez entre mes jambes et raconte-moi des mensonges… » Vous situez l’esprit ? Picha, c’est le Larry Flynt de l’animation, le pervers pépère qui sévit à Disneyland, le roi des seins animés, le dézingueur des contes de pets-rôts, le résultat honteux de l’accouplement improbable entre Walt Disney et un Bill Plympton sous acide. Picha, c’est le Larry Flynt de l’animation, le pervers pépère qui sévit à Disneyland, le roi des seins animés, le dézingueur des contes de pets-rôts, le résultat honteux de l’accouplement improbable entre Walt Disney et un Bill Plympton sous acide. Tombé dans la double marmite des revues Hara Kiri (France) et National Lampoon (USA), Picha est celui qui, avec Ralph Bakshi (Fritz the Cat), a démontré au monde entier avec ses manières de petit galopin et son trait simple et attrayant que le monde du dessin animé n’était pas réservé uniquement à vos adorables petites sœurs à couettes mais pouvait regorger de mémorables créatures perverses polymorphes et dans lequel les jeunes héroïnes pucelles ne le restent jamais très longtemps.
Souvenez-vous… Tarzoon, la Honte de la Jungle et son Tarzan de pacotille aux prises avec la terrible Reine Bazoonga (et par ailleurs premiers pas cinématographiques de Bill Murray et John Belushi, excusez du peu ! )… Le Chaînon Manquant, fable préhistorique politiquement incorrecte présentée à Cannes en 1980… Le Big Bang et son héros, pervers de l’espace indigne de Luke Skywalker… Picha, Jean-Paul Walravens pour sa maman, a pris, au cours de sa carrière, un malin plaisir à exploser le monde tranquille des petits Mickeys. Chez lui, ça copule à tout va, ça parodie gaiement dans tous les coins et ça réveille les ardeurs hypocrites des censeurs de tous bords ! Comment ose-t-il ? Heureusement, la paillardise, chez lui, était contrebalancée par un humour ironique et postmoderne inédit pour l’époque, mais surtout par une bonne humeur éclatante et un humour finalement « bon enfant » même si son cinéma est réservé aux parents. Ces trois premiers films ayant rencontré un succès phénoménal, Picha était le roi du monde.
Et pourtant, après le mythique Big Bang en 1986, plus rien ou presque… De la télévision, beaucoup… : Zoolympics, version animalière des jeux olympiques diffusée en primeur sur Canal+, Zoocup en 1993, puis Les Jules… Chienne de vie, en 1997. Du boulot sympathique certes, mais rien de particulièrement mémorable. Du coup, à l’annonce d’un nouveau long métrage estampillé Picha, à Cinergie on se pourléchait mutuellement les babines. 2007, l’année du retour de Lynch ? Coppola ? Wong Kar Wai ? Des amuse-bouches, tout ça ! 2007 sera l’année Picha ou… ne sera pas.
Mais voilà… Le Picha qui nous revient est un Picha qui, malheureusement pour nous est resté coincé en 1986. Et son Blanche-Neige, la Suite, projet de longue date ayant connu bien des avatars et une gestation longue et houleuse nous a laissés un goût amer malgré de très bons moments et un esprit réjouissant. Si tous les ingrédients indispensables à un bon Picha sont bien présents, le réalisateur et son fidèle co-scénariste Tony Hendra (pilier de la célèbre revue National Lampoon ) ont, semble-t-il, commis la lourde erreur de ne pas prendre en compte vingt ans d’évolution du film d’animation. A 64 ans, Picha, pour le meilleur mais surtout pour le pire, n’a pas évolué visuellement ou narrativement. Ce qui en soi n’est pas forcément un mal pour ses fans irréductibles, mais pour ceux qui se sont enquillés vingt longues années de Bill Plympton, de deux Shrek postmodernes en diable, de Hoodwinked (La Véritable Histoire du Petit Chaperon Rouge), de chefs-d’oeuvre de Pixar, de Miyazaki et de japanimation, la pilule sera dure à avaler. Car Blanche-Neige, la suite, malgré ses qualités arrive à la traîne comme si rien n’avait été inventé depuis… Le Big Bang !…  La faute, entre autres, à l’emploi pas très heureux d’un narrateur à la voix agaçante, dont le texte inutile alourdit l’ensemble dès le début du générique. Du coup, malgré les bonnes intentions, c’est souvent la vulgarité (revendiquée mais ici poussée à son paroxysme), le scabreux et la fadeur des dialogues (Cendrillon : « Merde, j’ai encore paumé la godasse ! » ) que l’on retiendra ici. Un peu comme quand l’Oncle Joseph sort une dernière plaisanterie entre la poire et le dessert et que tout le monde autour de lui, gêné, reste muet, par respect pour celui qui autrefois les avait bien fait rire.
Bien évidemment, tout est loin d’être aussi noir. De nos jours, un Picha mineur vaut toujours mieux que les pétards mouillés qui sortent en série de la maison à Mickey. Passons sur la déception évidente pour parler de ce qui nous a « enchantés » dans ce nouveau conte de fées revu et corrigé à l’extrait d’essence de vitriol : les anachronismes, un postmodernisme délirant et une galerie de personnages déjantés qui, comme d’habitude chez ce grand réalisateur malade, nous valent les meilleurs gags. Passage en revue d’une galerie d’hurluberlus hauts en couleur…
Blanche Neige, ersatz d’Amélie Poulain, pucelle naïve et rêvant d’avoir beaucoup d’enfants avec son Charmant Prince par la seule force de la pensée, passe son temps à vocaliser des niaiseries au bord d’une rivière, entourée d’une brouettée de bestioles à l’œil vitreux (lapins, belettes, putois, blaireaux et autres squonces ), aidée vocalement par le talentueux organe de Cécile de France. Ses copains les Sept Nains sont d’horribles négriers, nabots vérolés, sodomites et priapiques exploitant sans vergogne de pauvres petits lutins dans les mines de diamants tout en rêvant de ravir à cette quiche de Blanche-Neige sa précieuse virginité. Et plus si affinités…

extrait Blanche-Neige la suite« On s’est dit qu’on allait faire parler le Prince Charmant. Dans les trois premiers films de Disney, on a l’impression qu’il est toujours le même, il n’a jamais un mot à dire et quand il parle on ne retient pas une phrase de ce qu’il dit »… Merci Picha mais de là à faire du Prince le Stéphane Bern du Pays Enchanté !… Malgré sa prestance et la voix altière de Jean-Paul Rouve, même lancé au galop sur son fidèle destrier, Mr. Charmant a l’air d’avoir avalé son sceptre et les œuvres complètes de Nadine de Rothschild. Raide, il est. De là à ce que toutes les gourgandines du patelin cherchent à savoir jusqu’où va cette majestueuse rigidité, il n’y a qu’un pas (qui sera allègrement franchi). Ras le sceptre d’embrasser les narcoleptiques centenaires et les macchabées mises sous cloche !… La bonne fée quant à elle, 3032 ans au compteur, se reconnaît à son giron. Ample. Très ample. Sorte de créature monstrueuse avec de faux airs de Muriel Robin (c’est vous dire...), elle ne rêve que de déflorer le Prince Charmant, de le culbuter tout cru dans les bégonias et de mettre la main sur les joyeuses de la couronne. Et la mégère a beau être roulée comme une décharge municipale, il va lui bramer de plaisir sur les pustules, ce grand dadais !
Cendrillon, pour ses vingt ans est la plus triste des enfants. Son bel amant a foutu le camp avec la Belle au Bois Dormant. Elle commence à boire, à traîner dans les bars. Emmitouflée dans son cafard, maintenant elle fait le trottoir. Elle part. Jolie petite histoire !…  Les déboires de Cendrillon imaginés par le groupe Téléphone dans leur fameux tube ne sont en effet pas loin de ce que fait vivre Picha à la donzelle éplorée. Ici, Paris Hilton du pauvre, la gourgandine fan de citrouilles rêve de gigoter son 95C vertigineux sous les naseaux frémissants du Prince, charmé.
Ajoutons à cette joyeuse ménagerie une Belle au Bois Dormant nymphomane rêvant de désosser Blanche-Neige et de jongler avec ses abattis. Ou, à défaut, d’avoir son cœur sans rien autour entre les mains. Quant à l’ogre de service, il est trop occupé à soigner ses hémorroïdes et à jouer les voyeurs pour fréquenter tout ce petit monde dégénéré.
Quelques scènes mémorables retiendront notre attention : ainsi, Picha revisite la mort de la maman de Bambi façon Apocalypse Now. Une jolie biche à la croupe appétissante qui figurera au menu du grand bal princier organisé par la Belle au Bois Dormant, la scène la plus réjouissante du film au cours de laquelle nous en apprendrons un peu plus sur les mœurs de la Belle (nymphomane) et la Bête (lubrique), une petite garden party qui va très vite dégénérer en orgie animée pour un gotha joyeusement dépravé. On voit d’ici Jean Cocteau en faire des triples axels dans sa tombe !
Si la déception est présente, Blanche-Neige, la suite ne manque donc pas de nombreuses raisons de se réjouir. La moindre d’entre elles n’est certainement pas la triple performance vocale de cette caméléonne de Cécile de France, doublant non seulement l’héroïne en titre mais aussi Cendrillon et la Belle au Bois Dormant, avec l’humour et le talent qu’on lui connaît et que de nombreuses jeunes actrices françaises devraient lui envier.

image extrait de Blanche-Neige la suite

Dans le registre de la parodie grivoise, on a le droit de préférer le virtuose Meet the Feebles de Peter Jackson, épatante parodie érotico-gore du Muppet Show ou encore le savoureux et délirant Flesh Gordon de Howard Ziehm et Michael Benveniste, nanar cultissime de 1974 dans lequel le valeureux puceau Flesh Gordon doit combattre sur la planète Porno le méchant Docteur E. Jakull, inventeur d’un rayon magique transformant tous les Terriens en bêtes lubriques. Un film à revoir d’urgence et que l’ami Picha a dû visionner quelques fois avant de réaliser son premier film, tant il est frappant de constater que leur esprit et leur manie de déconstruire les grands mythes sont absolument similaires. Que l’on aime ou pas le cru 2007, le cinéma de Picha revient donc à point nommé pour nous rappeler qu’aujourd’hui encore, en cette époque gangrenée par le politiquement correct et la sacro-sainte bienséance, on peut tout se permettre au cinéma. Il était grand temps que quelqu’un nous le rappelle avec une bonne dose de poil à gratter ! Du pain bénit pour l'Oncle Joseph...

 

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