“Un pseudonyme, ça vous colle à la peau”. Dès les premières phrases, Picha esquisse par la magie de l’archive ce que sera ce documentaire, création centrée sur l’artiste et son œuvre plurielle. Un parcours à travers l’histoire de l’art, du cinéma et de la satire, et un dialogue entre passé et présent pour rappeler à celles et ceux qui l’auraient oublié qui a été Picha, et qui est Jean-Paul Walravens aujourd’hui.
Picha envers et contre tout - Luc Jabon - 2025

Cartooniste, cinéaste, scénariste, peintre, Picha a traversé les décennies d’un siècle mouvementé, lui qui se souvient d’avoir vécu sous les bombes alliées à l’âge d’à peine trois ans. Une image qui traverse son œuvre, de même que la volonté de faire exploser les barrières et les normes.
Par les nombreux·ses intervenant·es qu’il convoque, Luc Jabon – à qui l’on doit de nombreux portraits d’artistes et de lieux belges, dont le mythique Mirano – remet en lumière cet artiste belge de renommée internationale, pourtant oublié chez nous.
Pourquoi ce manque de reconnaissance? La réponse tient peut-être dans son art, acide et cinglant depuis ses premières caricatures. Des revues Hara-Kiri (1960-1989) à National Lampoon (1970-1998) et au New York Times, Picha se forge une identité, un nom et une renommée, avec ses coups de crayon tantôt violents, tantôt comiques, singeant cette société qui le cadenasse.
“Nous avions des comptes à régler vis-à-vis de cette éducation”, explique un des intervenants face au cinéaste. Un esprit revanchard qui, chez Picha, s’exprime d’abord par le crayon, puis par l’animation.
Dans un monde où Disney dicte ses lois, et où en Belgique, l’animation de long métrage est dominée par les studios Belvision, Picha déboule et rue dans les brancards, s’attirant au passage les foudres des ayants droit de Tarzan avec La Honte de la jungle.
Un succès international, un brûlot de cinéma d’animation post-68, contemporain des transgressifs Fritz le Chat américain et des nouvelles vagues européennes.
Infaisable aujourd’hui? Certainement. Inmontrable? C’est autre chose.
Avec un étonnant aplomb plus que bienvenu, Luc Jabon s’éloigne de l’hagiographie et met Picha, octogénaire désormais à des lieues du cinéma d’animation, face à de jeunes réalisatrices qui questionnent sans filtres son œuvre et ses positionnements, difficilement compréhensibles au prisme de nos réalités actuelles.
Et c’est cela qui mérite d’être abordé, et que le cinéaste documentaire crée par ce portrait multiple et étalé, nuancé et aux avis contrastants.
À l’heure où l’on comptait sur les doigts de la main les films d’animation pour adultes, et où la société était – certes pour les femmes, mais également pour une certaine catégorie de la population masculine – encore très cadenassée, Picha s’attaquait aux normes et détricotait les codes de la virilité, à l’aide d’artistes et de technicien·nes aux compétences merveilleuses.
Car il y a du merveilleux à redécouvrir ces rangées de tables où se dessinent les celluloïds, à l’heure du tout numérique. Et ces autres temps, de même que ces autres mœurs, Luc Jabon les remet en avant sans les encenser, sans les renier. En offrant une pluralité des points de vue et un contexte, pour que cette histoire – qui fait celle de notre société – ne disparaisse pas. Un travail essentiel.
Picha, envers et contre tout fera sa première belge au Festival Anima, lundi 3 mars. En mars, dans le cadre du festival Offscreen, sept films de Picha et de son contemporain et co-auteur Boris Szulzinger – récemment restaurés par la CINEMATEK – seront présentés en salles.