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By the name of Tania de Mary Jiménez et Bénédicte Liénard

Publié le 14/10/2019 par Ruben Thomas / Catégorie: Critique

Fruit d'une troisième collaboration des deux réalisatrices (après Sobre las brasas et Le chant des hommes), By the name of Tania était présenté en compétition officielle lors du 34ème FIFF (prix spécial du Jury). Successivement sélectionné à la Berlinale, prix du meilleur long métrage international au Festival Raindance, le projet connaît des débuts plus que prometteurs.

Le film retrace le destin de Tania. Attirée par des promesses de travail, la jeune fille est contrainte à se prostituer dans la région des mines d'or du Pérou. Sous le joug d'un trafiquant, elle comprend rapidement que le piège s'est refermé sur elle et que la résignation sera sa seule possibilité de survie. Tout au long du film, la voix de Tania nous guide à travers sa progressive perte d'identité. Son départ pour un avenir meilleur, son enlèvement, sa captivité, la violence. Or Tania n'existe pas, ou du moins, pas vraiment. C'est là l'une des particularités évidentes du film, qui tient dans sa construction hybride, entre documentaire et fiction, particularité qui traverse toute l’œuvre tant sur le fond que la forme. Tissé à partir de nombreux témoignages, le personnage de Tania est une somme de récits, additionnés par les réalisatrices et par l'actrice (Tanit Lidia Coquiche Cenepo), elle-même victime de violences sexuelles dans son enfance.

A l'issue d'une projection, les deux réalisatrices se confiaient sur la genèse du film. Le point de départ, le récit d'un journaliste péruvien, anciennement chercheur d'or. Adolescent, il décide de quitter cette région faites d'illusions. Epris d'une jeune prostituée, il lui propose de s'enfuir avec lui, mais celle-ci refuse de le suivre, condamnée à rembourser la dette qu'elle a sur la tête. Intéressées par cette histoire, les deux réalisatrices décident d'approfondir le sujet. Un policier de la région, héro local reconnu pour son aide auprès des jeunes filles victimes du trafic sexuel leur fournit des heures et des heures de dépositions. Ces filles qu’il a sauvées personnellement et qui se confient face à lui. Commence alors à se dessiner le personnage de Tania, mosaïque de témoignages, nouveau visage d'une souffrance bien réelle. Les aller retour entre le réel et la fiction se multiplient, le film se nourrit de Lidia et son histoire, tandis que la jeune fille, à travers le projet, exorcise le mal qui l'habite. « Ce n'est pas un film sur Lidia, mais avec Lidia », insistaient les deux cinéastes.

« Ce n'est plus mon corps, ce n'est plus moi. Peu importe. Je me suis toujours habitué à tout ».

Visuellement très beau, By the name of Tania alterne séquences intimes du quotidien de la jeune fille et longs plans de la nature Amazonienne, à la fois belle et inquiétante. Des corps en souffrance, aussi meurtris que les paysages qui les emprisonnent. La voix de Tania se confond délicatement aux images soignées, lentes et quelque peu contemplatives. Du film émane une certaine poésie qui n'est pas sans rappeler le cinéma de Terrence Malick. La photographie est signée Virginie Surdej (Magritte de la meilleure image pour Insyriated en 2018 et meilleure photographie lors de cette édition du FIFF). Les deux réalisatrices ont mis en avant la dimension créatrice du rôle occupé par la chef op, qui, à travers l'objectif, occupait peu à peu l'intimité de son sujet, de manière instinctive et profondément ancrée dans l'instant, frôlant même (peut-être) l'impudeur à certain moments. Mais By the name of Tania est un film des corps, un film sensoriel, comme le rappelle d'ailleurs les deux cinéastes. Si bien que la caméra épouse les formes au plus près des corps, dessinant les courbes en détails, s'engouffrant dans les plis. On pense notamment à la séquence où Tania et son amie, allongées sur le lit, chattent avec un jeune homme, via la caméra de leur téléphone. Une intimité partagée avec l'objectif, de l'ordre de la confiance. A contrario, l'intimité de Tania, volée par ces hommes, la caméra la raconte mais ne la montre jamais. La violence est perceptible à chaque instant mais elle est latente, toujours hors champs.

A travers le personnage de Ruben, le film fait également écho à ces hommes qui courent après la pépite qui changera leur vie. Autre promesse d'un lendemain meilleur, autre illusion. Une séquence suffocante met en scène un chercheur d'or plongeant sans relâche dans cette eau boueuse, se noyant littéralement dans ces chimères. Analogie frappante d'un système capitaliste qui submerge chaque âme qui s'y abandonne.

Loin des cases à cocher, le film emprunte une démarche innovante, à la fois préparée et instinctive. Un parti pris audacieux, celui d'une narration faisant fi des frontières entre le documentaire et la fiction. Un sujet vaste, aussi fascinant qu'épineux. Si bien que le film pourrait surprendre comme fâcher. Les puristes y verront peut-être une quête de sensationnalisme, les autres un projet original et intriguant. Reconnues dans le documentaire comme dans la fiction, les deux réalisatrices délaissent volontairement les contraintes qu'impliquent le choix d'un format ou de l'autre. Et c'est peut-être là le réel atout de ce film, car sans trahir la cause qu'il met en lumière, il donne à voir une perception nouvelle, une création unique, façonnée au fil des rencontres, des sensations. Pour toutes ces raisons, By the name of Tania est un film audacieux et atypique, qui mérite qu'on s'y attarde.

Tania n’est certes pas réelle, mais elle est la voix de celles dont on a tu le nom, elle est à la fois personne et tout le monde. Elle est un millier de voix et de visages, un millier de destins.

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