Cinergie.be

50/50 - Du verbe aimer de Mary Jimenez

Publié le 08/01/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Mary Jiménez est née au Pérou. Elle obtient un graduat en Architecture à Lima-Perou. Amoureuse des images, elle vient en Belgique pour étudier le cinéma à l’Insas. Elle a ensuite donné des cours de réalisation à l’École de cinéma de Cuba, en Suisse et à l’Insas en Belgique. Ses fictions et ses documentaires ont été sélectionnés dans de multiples festivals : Mannheim film-fest, Figuera da Foz, Montreal, San Sebastian, Toronto, Berlin-Forum, Barcelona, Taiwan, Rome, Visions du réel, Cinéma du réel.

Son film Piano Bar a eu le Prix du Cinéma d’art et d’essai, son film L’Air de Rien a gagné le Prix de la mise en scène au festival de Barcelone, Loco Lucho a eu une mention spéciale au festival de Taiwan. Sobre las brasas a gagné le prix du Jury au Fidhoc, le premier prix à Poitiers et le deuxième prix au Festival de Taiwan. Le British Film Institute a présenté une rétrospective de ses films.

 

Anne Feuillère : En quoi Du verbe aimer a-t-il marqué son époque à votre avis ?

Mary Jimenez : Je ne sais pas vraiment. C'est un film que tout le monde aime, qui est régulièrement choisi et montré un peu partout, sur lequel on a beaucoup écrit, sur lequel des étudiants font encore des thèses. Si on fait une rétrospective, c'est celui qu'on met en avant. Oui, j'imagine qu'il a marqué les esprits, puisqu'à chaque fois que l'occasion se présente, c'est celui qui est programmé. C'est le seul de mes films d'ailleurs ! (rires).

Je ne sais pas vraiment pourquoi. Il était au Forum de Berlin, au Nouveau Cinéma de Montréal, puis il a beaucoup circulé, même s'il n'a jamais eu de prix. Sauf qu'à la fin des années 80, la Cinémathèque canadienne m'a dit qu'il avait été choisi parmi les 10 meilleurs films de la décennie...

Peut-être parce qu'au moment où il est sorti, en 1984, il n'y avait pas vraiment de film à la première personne du singulier, pas aussi pointu, nu, sincère. Et il raconte en même temps la naissance d'une vocation de cinéaste. En tout cas, à l'époque, des films comme ça ne se faisaient pas. Peut-être aussi parce que ce que j'ai fait était compliqué techniquement : j'ai utilisé différentes pellicules pour faire des effets de couleurs, des choses qu'on fait aujourd'hui très facilement.

Le film était donc aussi un exploit technique. Et puis, j'abordais quelque chose de très universel depuis une parole très intime. C'est un film réussi, je crois. Il y en a d'autres, mais c'est celui-là qui reste (rires).

 

Du verbe aimer

 

A.F. : Et comment percevez-vous le film avec le recul ?

M.J. : C'est vieux pour moi ! Je l'ai fait il y a plus de trente ans. Mais je trouve très émouvant qu'il touche toujours autant les gens. 

 

A.F. : A-t-il changé quelque chose dans votre façon de travailler ?

M.J. : Pas vraiment. Mais il m'a donné confiance. Le langage du cinéma est très puissant et on l'étouffe souvent avec beaucoup d'idées qui l’aplatissent et le lissent. Il faut parfois savoir lui faire confiance. On peut beaucoup préparer un film ou un plan, mais il s'agit surtout d'arriver à être présent quand on tourne, dans un rapport direct et intuitif aux choses. Il faut une liberté que je n'avais pas quand j'ai commencé à travailler, parce que je suis architecte. Le premier film que j'ai fait était un film extrêmement calculé, très maîtrisé. Du verbe aimer m'a un peu libérée. Je pourrais dire qu'il m'a fait voir la puissance du cinéma. Les images ont un grand pouvoir d'évocation. Une tache, un moment de lumière, peuvent être magiques. 

 

Du verbe aimer

 

A.F.: Son succès a-t-il facilité votre travail par la suite ?

M.J. : Pas particulièrement, non. J'avais déjà fait quelques films, mais essentiellement des films d'école. Professionnellement, j'ai tourné Piano Bar, puis La Moitié de l'amour, que j'ai réalisé en même temps que Du verbe aimer, mon premier documentaire. Mais, pour moi, ce n'était pas un documentaire, c'était un film avant tout. Un documentaire peut éventuellement aider à monter la production d'un autre documentaire mais, pour ma part, j'ai ensuite réalisé des fictions. Ce sont des mondes très différents. Beaucoup de temps a passé avant que je fasse un autre documentaire, Fiestas, qui était d'ailleurs raté, parce que je ne savais pas faire de documentaire à cette époque.

Du verbe aimer a été reçu comme un documentaire, parce qu'il portait sur ma vie, mais je ne l'ai pas pensé ainsi. À ce moment-là, je voulais faire un film sur les fous. J'avais écrit une page que j'ai apportée à la productrice Kathleen de Béthune, au CBA, qui m'a dit : « Mais pourquoi tu ne fais pas un film sur ta relation à la folie ? », je me suis dit : «Pourquoi pas…».

J'ai écrit encore deux ou trois pages, je les lui ai montrées et elle m'a donné son accord. Aujourd'hui, il faut faire une thèse universitaire pour faire un film ! C'était une autre époque. Et puis j'ai réalisé ce film de manière très intuitive. J'ai filmé l'explosion sans savoir que j'allais l'utiliser comme métaphore de la mort de ma mère. J'ai filmé mon oncle qui ouvrait une momie parce que j'avais envie de décrire son travail, mais je ne savais pas que j'allais l'utiliser pour me rapprocher de la mort. Tout cela a été très intuitif. Avec ce film, j'ai appris qu'on porte un film dans nos consciences, mais aussi dans l’inconscient.

 

Du verbe aimer

 

Tout à propos de: