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C’est ça l’amour de Claire Burger

Publié le 25/03/2019 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Léger décroché du coeur

Claire Burger avait frappé fort avec son premier long-métrage co-réalisé avec Marie Amachoukeli et Samuel Theis. Party Girl faisait, en 2014, l’ouverture de la section cannoise Un Certain Regard et quittait la Croisette avec la Caméra d’or. Quatre ans plus tard, C’est ça l’amour frappe à nouveau, mais surtout juste. Quand Armelle décide de prendre de la distance, Mario se retrouve avec ses deux filles dans la maison familiale. L’aînée va fêter ses 18 ans, la cadette découvre l’amour et cela ne va pas de soi. Mario, lui, tente de tenir la barque, de rassurer ses filles, de retrouver sa femme, qui le quitte, pourtant, inexorablement. Prix du meilleur réalisateur aux Journées des Auteurs du Festival de Venise cette année, C’est ça l’amour ne paie pas de mine et c’est là toute sa saveur. Humble et délicat, le film est le portrait gracieux et sensible d’un homme blessé dans la tempête d’une séparation. (Prenez garde, ça va spoiler sec – si tant est que l’intrigue de ce film soit ce qui vous intéresse.)

Le film de Claire Burger s’ouvre sur une scène de spectacle où Mario, qu’interprète Bouli Lanners, le regard vers le plafond, cherche la lumière. Il se clôt sur son regard à la caméra, souriant, dans la campagne. La lumière n’est plus à chercher, elle irradie simplement de lui. C’est ça l’amour raconte le trajet qui mène Mario de l’ombre pas tout à fait sombre à la lumière pas totalement aveuglante. Lentement, à travers un spectacle dans lequel il s’investit pour se rapprocher d’Armelle (les poursuites, dans la salle, c’est elle qui les fait courir sur la scène), Mario va plutôt la laisser partir et se trouver lui-même.
Alors évidemment, on pense au récent film de Guillaume Senez, à ces batailles en question, celles d’un homme qui tenterait de tenir debout sous l’orage. Mais ici, rien de tout cet héroïsme sous-jacent à la Duris, pas de crises de larmes ou de joies. Enfin quelques-unes tout de même, le plus souvent le fait de la cadette de la famille ou quand Mario n’en peut plus de son boulot (et ça donne une scène très drôle où pour empêcher une dispute, il interpose un ficus en pot entre les deux adversaires). Mais ces éclats sont minoritaires. L’approche de Claire Burger est moins spectaculaire, plus feutrée, plus chatoyante aussi. Elle avance tranquillement et tendrement. Et dans la justesse bienveillante que l’écriture du film confère à tous les personnages, même Armelle, si peu présente pourtant, trouve son épaisseur. Centré autour de Mario, le portrait de cette famille banale se construit par petites touches, au fil d’un quotidien qui tente de se maintenir à flot et se réinvente comme il peut. Quelques moments-clés font avancer la narration qu’une fantaisie discrète irrigue d’épisodes légèrement cocasses. Dans cette classe moyenne qui ne paie pas de mine, dans cette histoire banale, les rancœurs et les sentiments ne se déballent pas à corps et à cris. Avec beaucoup de justesse et de pudeur, tout se dit, se joue plutôt aux bords des larmes, des confessions, des énervements. Dans des gestes, des regards, une démarche trop vive, quelques phrases bien senties… C’est que l’amour en question irradie de partout, sans mièvrerie, de ce cœur de père tendre et de mari meurtri, de cette grande sœur protectrice, de ces liens entre les êtres qu’une rupture ne suffira pas à saccager.

Magnifique portrait d’un homme bouleversant de fragilité assumée, C’est ça l’amour est l’histoire d’une mue qui se fait en douceur, malgré la douleur, à tâtons. Film amoureux de ses acteurs, il est servi par ses comédiens brillants : Sarah Henochsberg qui interprète Niki, la fille aînée, à la langue bien pendue, par qui tout se dit ; Justine Lacroix, jeune adolescente taciturne et rêveuse en proie aux affres de l’amour, à la colère, à l’espoir. Et surtout, Bouli Lanners. Tout son personnage ici d’une très grande et très belle fragilité s’exprime avec un minimalisme confondant et réussit à faire passer, en un froncement de sourcil, un changement d’expression, un demi-sourire, des émotions à vous retourner le cœur. Et c’est encore une fois devant la caméra d’une femme, comme chez Jeanne Labrune, comme chez Sólveig Anspach, qu’il donne toute la mesure, immense, de son talent de comédien.

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