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Bouli Lanners, C'est ça l'amour

Publié le 27/03/2019 par Anne Feuillère et / Catégorie: Entrevue

Sur le front


Interviews, plateaux de télévision, rencontres, Q&A…, cela fait plus d’un mois et demi que Bouli Lanners parcourt la France pour promouvoir C’est ça l’amour, le nouveau film de Claire Burger. Il y tient le premier rôle, celui de Mario, un homme que sa femme vient de quitter, un père blessé, fragile et maladroit. Si les autres comédiennes sont épatantes, lui, de presque de tous les plans, est magistral. Le film sort sur les écrans belges ce mercredi 27 mars, et la tournée reprend. « C'est intense », dit-il. D’autant plus intense qu’il manifeste ces derniers jours devant la rue de la Loi, engagé sur la question climatique. Alors, la fatigue se fait sentir, sans doute. Mais peu importe, quand il s’agit de ce qui lui tient à coeur, Lanners est sur le front, avec générosité et humour, comme toujours.

Cinergie : Tu sembles t’être beaucoup investi dans la promotion de ce film. Pourquoi ?
Bouli Lanners : Parce que je l'aime bien. Je sens que c’est un film important pour moi. On ne m’a pas souvent donné l’occasion de jouer un tel rôle, aussi dense, un premier rôle, celui d’un personnage aussi beau, qui suscite beaucoup d'empathie et émeut les gens. C'est aussi très agréable d'aller au devant d'un public ému par ce que tu fais. Il ne faut pas rater ces moments-là sinon on ne sait plus pourquoi on fait du cinéma. Dans ce métier, on a très peu de contact avec le public. Les avant-premières sont les seuls moments où l'on rencontre le public, le vrai. On a des retours à travers la presse, les professionnels mais la vraie onde de choc vient du public qui sort de la projection et te donne directement son ressenti. Ça, c'est vraiment important. Et avec ce film, ce n'est que du miel ! Ce personnage suscite beaucoup de compassion. Les gens se dévoilent avec une grande charge émotionnelle, des mecs de 50 ans qui se livrent parce qu’ils trouvent en Mario un alter ego qu'ils ne voient jamais représenter au cinéma. Ça arrive en général en fin de rencontre et c'est souvent le moment le plus fort des débats. Et effectivement, ce type très féminin, hyper fragile, mis en lumière par une femme, c'est quelque chose que les hommes qui ont vécu la même chose ne voient pas au cinéma.

C. : Le film prend le contre-pied d'autres films réalisés par des hommes où les hommes restent en quelque sorte des héros du quotidien. Ici, rien que des fêlures et des fragilités qui le rendent très émouvant.
B.L. : C'est différent, je pense, parce qu’ici, c’est un regard de femme. C’est un regard féminin sur la féminité d'un homme, sa fragilité. Et c'était ce que Claire avait envie d'exprimer. Elle ne voulait jamais, par exemple, que je défende mon personnage. Parfois, dans des moments où il est un peu humilié, je voulais le rendre plus sympathique. Elle me disait "non, non". Elle voulait toujours le garder au bord du précipice, toujours prêt à craquer. Elle me maintenait dans cet espèce d'état en permanence. Le tournage était très dur physiquement et émotionnellement, avec des journées hyper longues, des horaires très changeants, des récupérations de nuits en jours, etc. J'étais toujours dans le personnage. On tournait dans la maison du papa de Claire, en immersion permanente dans son vécu. Il n'y avait pas de déco dans cette maison. Tu ouvrais un tiroir, c’était la vraie vie. Niki jouait dans la chambre à coucher de la grande sœur de Claire, Justine dans celle de Claire. Son papa était très présent même si Claire lui avait demandé de partir. On tournait à Forbach, dans leur ville… C’est une immersion totale et permanente. Rester toujours dans le personnage est plus facile mais beaucoup plus fatiguant. En tant que comédien, tu vas chercher en toi de quoi nourrir le personnage. Tu te mets dans un état de tristesse. Et les larmes viennent naturellement. Tu ne joues plus le texte, tu l'incarnes. Devoir faire ça dix fois de suite est épuisant. Ça a été un tournage super dur mais c'est pas parce que c'est dur que c'est pas bien, hein ! C'était un tournage avec des comédiens merveilleux. Nous sentions que nous étions en train de faire quelque chose de vraiment bien. Et, en tous cas, hors du commun en terme de protocole de tournage.

C'est çà l'amour de Claire Burger avec Bouli LannersC. : Le film raconte l'histoire de la réalisatrice ?
B.L. : Oui, sa mère les a quittés quand elle était adolescente. Elle s'est retrouvée seule avec sa sœur face à ce père qui ressemble à Mario, avec une sorte d'enfance encore très présente en lui, maladroit et parfois un peu dur. Sa relation avec lui était très conflictuelle, d’autant plus qu’elle se découvrait homosexuelle... Ce n'est pas un film autobiographique, elle fait une fiction mais elle est allée chercher dans des choses très personnelles de quoi écrire et nourrir le film. Et ce qu’il y a de formidable, je trouve, c'est qu'elle ne juge pas cette mère qui s’en va. Pour elle, sa mère a eu un acte très courageux, en décidant de quitter le cocon familial, quitte à abandonner ses enfants, parce qu'elle avait envie de reprendre sa vie de femme. C'est un geste politique très fort, je trouve. Claire arrive à la faire exister à travers très peu de choses et sans jamais la juger. Et Mario ne la juge pas non plus. On comprend aussi pourquoi elle s'en est allée. Le film n'est pas du tout manichéen. Personne ne juge personne et dès qu’on se met à la place de l’autre, on le comprend.

C. : Mais n'est-ce pas ça, justement, l'amour ?
B.L. : Ah si ! C'est ça l'amour ! L'amour, c’est aussi permettre à l'autre qu'on aime toujours de partir tout en sachant que ça va générer en soi de la souffrance. Toutes ces mosaïques de petites relations entre tous ces personnages depuis des points de vue différents est une forme de réponse à ce titre s'il était une question. Ce sont ces liens, ces renoncements, ces « malgré tout », qui font qu'on essaie de recoller avec de l'amour des relations fissurées. Parce qu'il y a de l'amour entre tous les personnages. Beaucoup d'amour.

C. : Tu es bouleversant dans ce film. Mais tu l'étais déjà dans le film de Solveigh Anspach et aussi particulièrement touchant dans le film de Jeanne Labrune...
B.L. : Mais ce sont des films de femmes… Les femmes m'ont donné de plus beaux rôles que les mecs, c'est sûr. Merci les femmes ! J’espère que ça va continuer ! J'ai tourné avec beaucoup de femmes, je viens de terminer un film avec Valérie Donzelli, je vais tourner certainement avec Elodie Lélu, son premier long-métrage de fiction, avec Delphine Noëls, la réalisatrice de Post Partum. J'ai beaucoup d'amies cinéastes, je connais bien la bande à Corsini... J'aime bien tourner avec des femmes parce qu'effectivement, elles mettent à jour quelque chose que les mecs n'ont jamais mis en lumière. Je suis très content de faire les méchants dans les films de mecs, je m’amuse beaucoup en jouant dans Tueurs ou des trucs un peu radicaux comme Chien, à faire les loosers magnifiques dans les films de Delépine, ou les branleurs... Mais j'ai besoin d’avoir aussi des rôles qui vont chercher dans l'émotion, d'un cinéma plus réalité qui joue sur le fil des sentiments. En tout cas, pour moi, tout ça est complémentaire et je suis content de faire les deux.

C'est çà l'amour de Claire Burger avec Bouli LannersC. : Y a t-il un moment dans ta carrière de comédien où tu as eu l'impression d'avoir passé un cap ? Tu es arrivé dans ce métier par des chemins...
B.L. : ...de traverses, oui, clairement. J'ai été technicien, accessoiriste de plateau, j'ai eu une cantine, j'étais régisseur, j'ai fait tous les métiers, un peu de production, artificier, j'ai tâté à tout... Et je suis arrivé par une forme d'opportunisme, par mon physique pas par mon talent. Je me rappelle à propos de l'un des premiers téléfilms, pas un bon truc, une coproduction avec France 2, avoir croisé une fille que je connaissais qui m'a dit : "Ah j'ai vu un film à la télé dans lequel tu as joué. Qu'est ce que tu es mauvais !" Et elle avait raison ! (rires). Je me suis dit que si je voulais continuer dans cette voie, il allait falloir travailler un peu. Aujourd’hui, je prends beaucoup de plaisir à jouer. Et ce syndrome d'imposture que j'ai toujours eu s'amenuise un petit peu grâce à des films comme celui de Claire Burger.

C. : Et quels films ont été charnières à ton avis ?
B.L. : Le premier, je crois, c'était Les Convoyeurs attendent. Pour la première fois, j'avais un véritable rôle dans un vrai long-métrage de cinéma qui était en plus sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs et qui a eu un gros succès. Et puis, il y a eu le combiné Louise Michel - Eldorado la même année, qui m'a identifié sur le marché français. Les deux films sont sortis simultanément et ont bien marché. Après, ce sera celui-ci, je crois.

C. : Et quels sont les rôles dont tu as envie aujourd'hui ?
B.L. : J'ai envie de beaux rôles, moi... En même temps, j'aimerais bien faire un méchant dans un film. J'ai eu beaucoup de plaisir à jouer dans Tueurs, ce rôle de commissaire crapule. Deux mois après, je jouais dans Chien où je suis simplement un psychopathe. En terme de jeu, c'était super jouissif ! Après, j'aimerais bien faire un jour un film de chevalier, avoir une armure et me mettre sur la gueule à grand coup d'épée comme dans Game of Thrones. Et un western ! Un film hyper taiseux, à la Iñárritu, The Revenant ! Un film hyper physique, dans les bois, les éléments, où le jeu n'est pas verbal, un truc de survivalisme dans la nature... Oh oui ! Ça j'aimerais ! Il y a plein de trucs que je n’ai pas encore fait que je voudrais faire !

C. : Est-ce que tous ces réalisateurs avec qui tu as travaillé nourrissent ta propre pratique de réalisateur ?
B.L. : Pas particulièrement, non. Mais je retiens de tout ça qu'il n'y a pas de règles et que tous les principes sont explosés. Chacun travaille comme il veut, chacun a un protocole de tournage différent, parfois à l'opposé d'un autre. Il n’y a pas de recette pour faire un bon film. Il faut simplement trouver tes trucs pour arriver à toucher à ta vérité et tous les moyens sont bons. Il y a plein de façons de faire du cinéma et surtout qu'on ne vienne pas me casser les couilles en me disant : "Il faut faire comme ça !" Non. Tu fais comme c'est le mieux pour toi. Ce qui est chouette aussi, en tant que metteur en scène, dans le fait d’être aussi comédien, c’est que cela me permet d'être sur des plateaux régulièrement. En tant que metteur en scène, on fait un plateau tous les 3/4 ans... Moi, j'en fais 2 ou 3 par an. J'entretiens ainsi cette mécanique du tournage, de la relation humaine. Et du fait d'être prof à l'INSAS où j'encadre deux courts-métrages de fin d'étude, je suis aussi dans la mécanique du découpage... Je suis dans le cinéma tout le temps.

C. : Et tu arrives à te consacrer un peu à ton autre activité, la peinture ?
B.L. : Oh, non, pas le temps ! Entre les films à jouer, mes activités militantes, mon jardin, mes randonnées, mes voyages en Écosse, j'ai vraiment pas le temps.

C. : L’Écosse ?
B.L. : Oui, j'ai passé 5 mois l'année dernière sur l'île de Lewis. Je tourne mon prochain film là-bas. Si le Brexit le permet, on commencera la préparation à la fin de l'été pour un tournage à l'automne.

C. : Un film de chevalier ?
B.L. : Non, un film d'amour !

C. : Un film d'époque alors ?!
B.L. : Presque ! Si je tourne sur l'île de Lewis, c'est parce que c'est une île presbytérienne, où la religion est très présente et influence beaucoup la vie sociale. Les femmes s'habillent en noir, avec des chapeaux, des gants, pour aller à l'église. D'un point de vue visuel, c'est très beau. Le dimanche, quand ces femmes sont dans la lande, tu as l'impression d'évoluer dans l'univers des sœurs Bronté. C'est un film d'époque parce que ça se passe là-bas, mais ça se passe aujourd'hui ! C’est l’histoire d'une femme de 60 ans qui décide de mettre sa morale de côté, de mentir une fois dans sa vie pour se faire aimer, une fois dans sa vie, tout en sachant que ce mensonge ne peut durer qu'un temps limité.

C'est çà l'amour de Claire Burger avec Bouli LannersC. : Mais tu attaques quelque chose de très différent de ce que tu as fait jusqu'à présent, non ?
B.L. : J'ai jamais trouvé ça très confortable, faire un film, mais là, je sors clairement de ma zone de confort. J'essaie autre chose. J’ai l'âge où il faut tenter des trucs qu'on n’a pas encore fait en essayant de ne pas se planter, évidemment ! J’ai ensuite une comédie en préparation.

C. : Tu vas enchaîner tous ces projets ?
B.L. : Ben, tu sais, je ne rajeunis pas ! Si je ne fais pas mes films maintenant, je ne les ferai jamais ! Dans le métier, on vieillit vite et entre les films, c'est dur. Les medias changent, les plateformes arrivent, il faut s'adapter, c'est bien d'avoir des choses prêtes.

C. : Il y a quelques années, tu disais que tu voulais faire des films populaires, non seulement pour le plaisir mais aussi pour ramener tes films vers un public un peu moins habitué à ton cinéma. As-tu le sentiment d'être un acteur populaire aujourd'hui ?
B.L. : Je ne sais pas trop ce que je voulais dire par là. Je ne sais pas bien si je suis populaire, mais j'ai le sentiment d'être un acteur identifié. Oui… Surtout à Liège (rires). Aujourd'hui, comme le media change beaucoup, je ne sais pas s'il faut encore faire des films populaires. J'ai l'impression que tout est devenu populaire. Je me demande si ce n’est pas mieux de continuer à faire des films d'auteurs pour se démarquer quitte à exister peut-être d'une façon moins évidente auprès du grand public. Mais tant pis, puisque de toute façon les films se font et que de toute façon je continue à jouer et que de toute façon je suis devenu un peu plus populaire comme comédien. Je ne crois pas que je dois être dans une réflexion motivée par ça. Je crois que je dois faire le film le plus sincère possible et puis c'est tout. Mais il m'a fallu quelques années de réflexion pour en arriver là aujourd'hui.

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