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Cinéma en Université dirigé par Frédéric Sojcher et Serge le Péron

Publié le 27/04/2020 par Bertrand Gevart / Catégorie: Livre & Publication

Le regard et le geste 

Détourner le regard vers un « autre possible » du cinéma et apprendre le geste. Cette ambition se trouve au cœur de l’ouvrage collectif dirigé par Frédéric Sojcher et Serge le Péron. Leur ouvrage Le Cinéma à l’université, le regard et le geste témoigne d’une remarquable richesse et d’une approche hétéroclite des enseignements de la pratique et de la théorie du cinéma dans les pays francophones et surtout en France. En Belgique, au sein des universités, il n’existe aucune formation en licence (bachelier). L’origine de ce livre s’ancre doublement dans une nécessité: premièrement, telle une continuité du manifeste et, enfin, telle une défense de l’enseignement du cinéma tout en le questionnant et en s’appuyant sur l’expérience de nombreux contributeurs comme des théoriciens, des cinéastes, des historiens, tous passeurs et penseurs d’images, tels qu’Alain Bergala, Henri-Francois Imbert, Antoine de Baecque, Guy Chapouillé, Dominique Willoughby, plus d’une trentaine apportant leur regard passionné afin de « lier le penser et le faire, le regard et le geste ».

Quels sont les enjeux de transmission, comment apprendre un regard et un geste, penser et faire du cinéma ?

Comme le reprend Frédéric Sojcher dans l’introduction, Alain Bergala fut parmi les premiers en France à penser combien l’enseignement du cinéma et les ateliers de réalisation pouvaient, dès l’école primaire « être formateurs d’un esprit citoyen, car faire un film permet de poser un regard ».

Cinéma en Université dirigé par Frédéric Sojcher et Serge le Péron

Dans sa démarche d’enseignement du cinéma à l’université, au sein du master qu’il coordonne, Frédéric Sojcher propose aux étudiants une réflexion sur le documentaire afin de « trouver une manière de s’accaparer leur sujet, d’affirmer par leur choix leur personnalité ». Par le biais de cet atelier, les étudiants sont donc amenés à osciller entre « maîtrise et lâcher prise ». L’idée défendue par Frédéric Sojcher repose sur une question de visée et de finalité. Selon l’auteur, les universités ne doivent pas former des scénaristes ou des réalisateurs, mais doivent œuvrer dans leurs enseignements afin d’accompagner les étudiants dans leurs dévoilements, c’est-à-dire l’étudiant dans le monde et face au médium cinématographique.

« Les ateliers de réalisation et d’écriture présents dans nombre d’universités sont autant de lieux d’échanges et de créations propices à l’invention formelle et au questionnement des technologies, libres qu’ils sont de toute dépendance au marché. L’école doit amener à un savoir-faire, l’université à un savoir-penser ». Sojcher reprend les termes de Michel Marie qui, en 2006, publia un guide des études cinématographiques et visuelles. Ce guide compare les différents effectifs et objectifs entre l’université et l’école.

Le livre collectif offre une vision synoptique du sujet. Dès l’introduction, Serge Le Péron et Frédéric Sojcher s’appuient sur un manifeste signé par 70 universitaires enseignants et chercheurs en études cinématographiques qui font le constat que la transmission du cinéma ne doit pas être que théorique. Nous retrouvons ce débat d’idées au fil du livre : « La seule question qui vaille, quand on parle d’enseignement du cinéma, est de savoir si l’on souhaite ou pas parler de création… la théorie et la pratique du cinéma peuvent toutes deux, de manière différente mais complémentaire, cerner ce qui fait le film… Mais il y a aussi d’autres manières d’enseigner le cinéma : en se servant des films… ». Ils soulignent la puissance et l’importance du médium cinématographique en dépassant son inchoativité première, et replacent l’image dans l’espace du geste; écrire le monde avec une caméra. C’est tout à la fois depuis l’image en mouvement et par l’image en mouvement que l’on peut « faire de la philosophie, de la psychanalyse, des études culturelles ou des gender studies ».

Le livre Le Cinéma à l’université, le regard et le geste propose donc d’entrer dans l’enseignement du cinéma par une dialectique entre le geste de filmer ( mais aussi le geste filmé ), le geste de recevoir un film ( espace communicationnel ) et les réponses à ces gestes. En ce sens, chaque contributeur nous fait part de son expérience partagée avec les étudiants, ses approches d’enseignement. Dans sa contribution « Regarder le film du point de vue du faire », Eugénie Zvonkine revient sur son propre parcours, son apprentissage du cinéma à Nantes et à l’Université Paris 8. Elle propose dans sa réflexion une véritable « circulation entre le faire et le penser ».

En ce sens, elle souligne le postulat selon lequel pour pouvoir penser des films de façon théorique, il faut avoir essayé d’en faire. Les qualités, la nécessité, les caractéristiques de l’enseignement du cinéma à l’Université sont pointées avec force et vigueur. Cependant, des apories se dessinent, parfois indépassables, contre lesquelles les enseignants tentent de trouver des solutions : c’est l’université comme lieu de l’économie de moyens. En effet, à travers les différentes contributions se logent aussi des enseignants qui doivent faire face au manque de matériels. Cependant, tous tentent de trouver des solutions, de faire un cinéma « sous la main ».

Certains organisent des master classes, d’autres font appel à des professionnels ou à des étudiants d’écoles de cinéma qui viennent se faire la main sur des tournages d’étudiants en Université, d’autres encore passent par des rencontres-projections. C’est le cas de Henri François Imbert pour qui : « L’initiation aux pratiques et techniques, si elle n’est pas simplement l’application de préceptes, n’est donc pas que l’acquisition de savoir-faire mais une voie utile pour appréhender effectivement le cinéma dans sa substance matérielle et sensible ». Il propose, en ce sens, une réflexion qui permettrait un consensus : un cinéma de recherche. C’est-à-dire un cinéma qui englobe l’histoire du cinéma et travaille à son actualisation et à son prolongement par la reconnaissance et l’invention de formes nouvelles.

Alors que pour certains, la création n’a pas lieu de citer en Université, les différentes contributions défendent une transmission du cinéma conjuguant pratiques et analyse filmique. Leurs riches réflexions permettent de remettre la question de la création au cœur de l’enseignement du cinéma. Les enjeux sont multiples et font tous l’objet, si ce n’est de résolutions formelles, au moins de propositions rigoureuses par les différents contributeurs.

Les questions de la transmission, des moyens, du cadre et de la place de l’enseignement au sein de l’Université sont abordées au fil des différentes parties qui composent l’ouvrage collectif. Car comme le suggèrent les auteurs, le cinéma et plus généralement, l’image en mouvement se retrouve aux confins de nos vies sous toutes ses formes, bien au-delà des salles de projection. La force de l’ouvrage, portée par l’ensemble des contributeurs émérites, repose sur la conviction de passer un savoir d’images, dans lequel l’échange entre filmeur, filmé, spectateur et étudiant fait circuler les regards autour du geste. Il s’agit aussi pour les universités de garder la possibilité d’effectuer des recherches-créations et d’avoir ainsi un corps enseignant ayant une double capacité: théorique et pratique.

Finalement, de cet appel, de cet état des lieux, surgit un plaidoyer qui conjugue recherche théorique et expérimentation pratique afin d’envisager les études cinématographiques au sein de l’université comme un lieu générateur de gestes et de regards.

 

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