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Cinéma européen et identités culturelles, dirigé par Frédéric Sojcher

Publié le 01/12/1996 / Catégorie: Livre & Publication

L'Europe contre-attaque ?

Enseignant et chercheur à Paris I- Sorbonne, cinéaste, Frédéric Sojcher a récemment dirigé un ouvrage intitulé Cinéma européen et identités culturelles. S'il s'agit de cerner au plus près la nébuleuse cinématographique des quinze à travers de nombreux témoignages de professionnels (cinéaste, historien, sociologue,...), l'auteur esquisse aussi sa propre vision et synthèse de la question. Et en bruit de fond, encore et toujours, le tintinnabulum du tiroir-caisse des Majors hollywoodiens. Deux ans après le GATT et l'exception culturelle, rien n'aurait-il changé?

Cinéma européen et identités culturelles, dirigé par Frédéric Sojcher

Cinergie : Dans ce double mouvement d'identité et de rencontre avec le public, le cinéaste européen est souvent écartelé... 
Frédéric Sojcher : À mon sens l'identité culturelle doit se voir comme une ouverture à l'Autre, se définir soi mais par rapport à l'Autre. L'idée d'un cinéma européen n'est, me semble-t-il, intéressante à developper que sous cet angle là. Denis de Rougemont qui a été un des principaux défenseurs du fédéralisme européen dans les années 50 disait que l'idée de régionalisme ne peut être viable qu'à partir du moment où les régions ont des échanges culturels entre elles. A mon sens, le cinéma, c'est un peu le " Je est un autre " de Rimbaud, c'est-à-dire se situer à la fois dans l'intimité d'un personnage et se confronter au monde.

 

C. : Crise d'identité et crise économique du cinéma européen. Les plans de redressement seraient-ils mal adaptés?
F.S. : Quand les cinéastes allemands d'avant-guerre s'exilent à Hollywood au moment de l'avènement du régime hitlérien, ils continuent à faire des films qui s'apparentent par leurs thèmes à ce qu'ils faisaient en Europe mais, d'un autre côté, modifient sensiblement leur mise en scène. La raison, ou l'une des raisons, est à mon sens imputable à l'organisation du secteur du cinéma américain qui était fondamentalement différente de celle qui existait dans leur pays d'origine. Il y a un vrai lien entre les rouages de l'industrie et le type de films qu'elle produit. Le drame chez nous, c'est que l'organisation reste nationale : il n'y a pas de Major européen et les coproductions sont plus l'addition de financements nationaux que le reflet d'une vraie politique cohérente. Il ne peut y avoir de vrai développement du cinéma européen qu'à travers une politique transnationale qui s'établit dans les faits. Et il y a un fossé entre les déclarations d'intention et la réalité du terrain. 

 

C:Mais, avec l'ambition de constituer une cinématographie européenne économiquement forte, ne risque-t-on pas de quitter une hégémonie pour une autre?
F.S. : Evidemment, il ne faudrait pas que le cinéma français ou allemand s'impose sur toute l'Europe à l'instar du cinéma américain. Il faudrait établir plusieurs pôles de production. Les projets existent mais la difficulté réside dans le fait que très peu de professionnels, hormis les Français, se mobilisent et que certains pays comme l'Angleterre et l'Allemagne sont plutôt hostiles à un développement transnational. 

 

C.: Ce pari fédérateur est-il jouable? 
F.S. : Pourquoi pas? Prenons l'Italie et la France. Dans les années 50, nombre d'acteurs, de Sophia Loren à Gérard Philipe, étaient des stars dans les deux pays. Bien sûr, les films étaient souvent doublés mais les films américains aujourd'hui le sont aussi pour la plupart d'entre eux.
Si en France, le cinéma se porte mieux qu'ailleurs en Europe, ce n'est pas seulement grâce à l'Avance sur recettes mais aussi grâce à l'investisssement des télévisions dans la production cinématographique. Rappelons que Canal +, depuis sa création, est tenue d'investir 12% de son CA dans la production française et européenne. Si la chaîne privée avait eu le choix, sans doute aurait-elle acheté des films américains moins chers puisque déjà amortis. Aujourd'hui, Canal + est devenu le principal financier du cinéma français. Il me semble logique qu'un opérateur privé qui gagne sa vie sur un marché l'alimente en partie. Actuellement aucun pays ne semble vouloir suivre l'exemple français. Trois ans après l'exception culturelle du GATT qui était considérée comme un succès, rien n'a changé.Et devant l'absence de mobilisation et d'élan, Jack Valenti qui était le plus fervent défenseur des Majors hollywoodiens ne craint aujourd'hui plus personne.

 

C. : Bertolucci suggère une contre-attaque européenne plutôt qu'une défensive... 
F.S. : La plupart des analystes du secteur pensent que c'est une vue utopiste. Pourquoi des films qui ne marchent pas en Europe marcheraient-ils aux Etats-Unis?

 

C. : Vous semblez dire que les programmes d'aide publique au cinéma européen ne sont que des baxters...
F.S. : En 1995, Eurimages et Media confondus ne représentaient que 0,7% des flux financiers dans le secteur audiovisuel. Un chiffre d'autant plus dérisoire qu'officiellement la politique de Media I et II a été élaborée en vertu d'objectifs industriels et non culturels. Je ne crois pas qu'avec un tel score on puisse inverser quelle que tendance que ce soit.

 

C. : Votre constat est assez douloureux...
F.S. :
Oui et d'autant plus douloureux que l'on risque de dire un jour que ces programmes n'ont servi à rien alors qu'au départ on ne s'est pas donné les moyens. Or, il y a un véritable enjeu de civilisation. La formule peut paraître disproportionnée mais - sans être bêtement anti-américain ou corporatiste - on peut se demander si l'on ne s'apprête pas à vivre un véritable génocide culturel.


Cinéma européen et identités culturelles, sous la direction de Frédéric Sojcher, Editions de l'Université Libre de Bruxelles. 

 

Renaud Callebaut

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