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Dossier Ateliers : Camera enfants admis

Publié le 01/05/2003 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Dossier

L'atelier des projets fous

Parmi tous les ateliers de production que nous vous faisons découvrir mois après mois au fil de cette série, Caméra enfants admis occupe, à plus d'un titre, une place à part. Tout d'abord, il s'adresse de manière privilégiée (mais non exclusive) aux enfants, et de préférence, aux enfants des milieux défavorisés. Ensuite, au suivi de projets individuels, l'association préfère de loin la création collective et le travail en groupe (mais là non plus ce n'est pas exhaustif). Enfin, l'atelier produit exclusivement des films d'animation qui portent sur le monde un regard engagé. Cela ne l'empêche pas de mériter pleinement son statut d'atelier de production.

Leur petit dernier, Un monde pour Tom, superbe animation de poupées réalisée dans le cadre d'un projet sur la communication interculturelle, tourne actuellement en copie 35mm dans les festivals belges et étrangers et recueille un joli succès public et critique. Nous lui avons décerné le prix Cinergie dans le cadre de la compétition Anima 2003, en février. Une raison supplémentaire de s'intéresser au formidable boulot de cet atelier peu ordinaireBien au calme, sur les hauteurs de Liège, un coquet petit pavillon abrite les locaux de Caméra Enfants Admis. Après avoir traversé un petit local aménagé en secrétariat, je suis introduit dans le bureau de Véronique Michel, l'une des deux chevilles ouvrières de l'association. 

Les activités

"Caméra Enfants admis a été fondé en 1979. Jean-Luc Slock était animateur aux jeunesses musicales mais, comme il a aussi une formation graphique, il a eu l'idée de proposer aux écoles d'autres animations que musicales. Au départ, on travaillait exclusivement dans le milieu scolaire mais très vite, on a étendu notre champ d'action pour trouver des moyens supplémentaires. Il y a eu des stages d'été avec les jeunesses musicales, puis d'autres collaborations se sont mises en place." L'atelier a donc petit à petit quitté le préau de l'école pour se tourner graduellement vers des projets en cheville avec le secteur associatif. "On est toujours restés attaché au travail avec l'école, parce que c'était notre idée d'origine, et parce que, à notre avis, c'est le seul endroit où l'on peut toucher tous les enfants, sur un pied d'égalité. Les parents qui inscrivent leurs enfants aux stages que nous organisons ont déjà accompli une démarche culturelle. Si on veut travailler avec des enfants défavorisés, il nous faut aller à eux, dans leur milieu, et la manière la plus appropriée de les rencontrer reste encore et toujours l'école. Mais le travail parascolaire a assez vite cessé d'être subventionné. On a quand même tenu bon, pour les raisons que je viens d'exposer mais, malgré les différents appels à l'aide que nous avons lancés dans les pouvoirs publics, on n'a reçu aucune reconnaissance de notre travail scolaire. En 1999, on s'est retrouvé dans le rouge avec l'obligation de nous restructurer. Il a fallu, la mort dans l'âme, abandonner le scolaire pour se concentrer sur nos collaborations avec le secteur public ou associatif. Ce n'était pas un choix du coeur, mais il s'est avéré pertinent. Financièrement on a pu boucher les trous, et on travaille sur de vraies productions, autour de thématiques, que l'on a le temps de réfléchir, de préparer. C'est une toute autre perspective, autrement valorisante."
En même temps, l'activité de l'atelier s'est fortement diversifiée. "Nous ne travaillons pas exclusivement avec des commanditaires. Nous initions nous-mêmes des projets. Dialogue des cultures, par exemple, dont est issu Un monde pour Tom est un projet pour lequel nous avons développé l'idée, créé le dossier, recherché le financement, "recruté" les enfants etc. Nous l'avons autoporté du début à la fin, y compris la recherche de partenaires. D'autres travaux se font en coproduction, d'autres encore sont des réponses à un appel public. Par exemple, nous travaillons actuellement sur un film dans le cadre de l'année de la personne handicapée, qui est une réaction à un appel du cabinet du Ministre Detienne. Le travail est donc extrêmement varié. Nous souhaitons aussi être disponibles pour répondre à des demandes d'où qu'elles viennent. Plusieurs de nos projets ont ainsi vu le jour dans le cadre de collaborations internationales avec l'Afrique noire, la Bosnie, le Vietnam... Jean-Luc (Slock) revient du Burkina Faso où il a réalisé avec des enfants un film (NdR: L'eau c'est la vie) destiné à sensibiliser la population, et notamment les enfants, aux problèmes des maladies hydriques. Et le film tourne déjà dans tout le pays. Pour d'autres projets, nous jouons davantage le rôle d'un producteur traditionnel. Nous avons commencé en accompagnant les réalisations des élèves de l'Académie des Beaux-Arts de Liège et aujourd'hui, nous produisons deux films réalisés par des élèves de La Cambre. Enfin, l' atelier mène depuis au moins quinze ans un travail avec les adultes en séances à horaire décalé. C'est un aspect de notre travail peut-être moins perceptible, parce que occulté par le nom, mais tout aussi important. Bientôt nous aurons une seconde appellation qui va englober le travail avec les adultes mais tout en gardant le lien avec Caméra Enfants Admis." 

Les objectifs

Malgré ces activités variées, l'atelier reste fidèle au cinéma d'animation. Seules quelques imperceptibles coups de canifs dans le contrat sont venus perturber cette belle harmonie. Il y a à cela des raisons historiques, mais aussi qui tiennent au projet. "Dans le champ scolaire, on se retrouvait dans des classes exiguës, avec un nombre important d'enfants et peu de moyens financiers. D'où, la nécessité d'aller vite pour aboutir à un produit fini, qui constitue quand même la demande des enfants et des commanditaires. Le cinéma d'animation permet de travailler dans ces conditions difficiles, alors qu'un tournage en prises de vues réelles avec 25 enfants ne permettra pas de donner à tous les mêmes chances de travailler. On arrive, on se met dans un petit coin, (en tous cas à l'époque), on travaille avec les 25 jeunes et c'est vraiment du début à la fin un produit collectif qui permet à chacun de trouver sa place. Puis, cela nous paraissait en même temps un outil d'expression qui allait plus loin que la prise de vue réelle. Outre des techniques qui existent des deux cotés (la création du scénario, la manipulation de la caméra, la prise de son, etc.), il y a une dimension graphique qui n'apparaît que dans le film d'animation (je rappelle que Jean-Luc a une formation graphique). Par ailleurs, le cinéma d'animation offre une possibilité d'imagination et de création supérieure. On n'a pas de balises, tout est permis.
Enfin, le monde actuel nous submerge d'images que nous ne sommes pas toujours équipés pour décoder. Nous estimions qu'il était aussi important de sensibiliser les enfants à ce langage de l'image et notre idée était de passer par ce qui les intéresse le plus: les dessins animés. L'éducation aux media était donc également l'un de nos objectifs. Permettre aux enfants d'acquérir un point de vue critique par rapport au monde des images qui les entoure.. En devenant réalisateurs, en développant leurs scénarios, cela leur permet de réfléchir sur le monde qui est le leur et aussi de s'exprimer par rapport à ce monde. C'est comme cela qu'on en arrive à des films comme Un monde pour Tom ou Youssou, l'enfant d'eau qui sont réalisés autour de thématiques d'aujourd'hui et de demain, mais aussi qui permettent à d'autres enfants, à travers des films faits par des enfants, de réfléchir sur ce monde et sur une série de choses qui se passent autour d'eux sur lesquelles ils n'ont pas toujours une parole possible.

La structure

Développer un travail aussi varié doit demander l'implication de nombreuses personnes. "Cela varie",explique Véronique, "Il nous est arrivé de fonctionner sur une base beaucoup plus réduite, notamment sur le plan de l'animation. Actuellement, nous sommes 9, dont des emplois à temps partiel. Il y a une direction bicéphale où  Jean-Luc s'occupe davantage des activités de terrain, supervise les différentes activités de création tandis que je m'occupe plutôt des aspects administratifs : contacts, financement, constitution de dossiers, production, etc... Bien que dans la réalité, tout cela soit beaucoup plus flou. Outre nous deux, il y Carine, notre secrétaire, et Evelyne qui gère tout ce qui est écrit, documents, dossiers etc... Par ailleurs, il y a des animateurs, David, notre technicien audiovisuel et Rosa, la dame qui assure l'intendance et nous offre le plaisir de travailler dans des locaux propres.

Et du point de vue technique? "On a évidemment des caméras, des ordinateurs avec les logiciels d'animation courants, un banc de montage vidéo, et du matériel spécifique, dont certaines pièces, les multiplans par exemple,ont d'ailleurs été fabriquées spécialement par nous. Mais, sur le plan du matériel, nous avons une particularité : nous sommes un atelier itinérant. Or, nous utilisons du matériel professionnel, relativement lourd. Tout est donc monté en flightcases de façon à pouvoir être déplacé facilement. On a une camionnette de la Communauté française qui nous permet de transporter tout cela. Nos animateurs sont donc des animateurs déménageurs, qui portent, montent, câblent. C'est terriblement astreignant, mais pour nous c'est fondamental car nous voulons rester disponibles pour toute demande, même si elle émane de plus loin que la province, ou de personnes qu'il est difficile de déplacer jusque chez nous." 

Le bâtiment est un ancien pavillon du service des plantations de la ville de Liège qui a été aménagé pour l'atelier. "C'est un système de troc qui nous permet d'épargner des liquidités", reprend notre guide tandis qu'elle nous fait faire le tour du propriétaire. "La commune met les locaux à notre disposition et nous participons à des travaux d'animation en collaboration avec des projets soutenus par la ville, comme par exemple avec les élèves de l'Académie des Beaux-Arts. On a du aménager, surtout les caves. En bas, il y a une salle de travail qui est assez inconfortable parce que froide, humide et peu lumineuse. A côté, il y a le studio de montage qui sert à la fois au son et à la vidéo. On a un banc DV qui fonctionne avec Adobe première et les programmes vidéo traditionnels. On aimerait s'équiper en AVID mais ce sera pour plus tard. En général, les enfants ne participent pas au montage mais on travaille sur base du storyboard qu'ils ont élaboré. En animation, il y a une économie d'images inconnues en prises de vues réelles. C'est exceptionnel d'avoir, comme pour Tom, le double de rushes par rapport au temps du film. Le montage se borne généralement à un nettoyage et au montage des scènes telles qu'elles figurent dans le storyboard." Un petit labo photo complète le tableau. 

Le stage

"On est un peu à l'étroit", nous explique Véronique en remontant au rez-de-chaussée. "Cela nous oblige à travailler dans la promiscuité, le mouvement et le bruit, mais l'ambiance de travail, très chaleureuse, le rend aisément supportable." A côté du bureau, dans une grande pièce de travail, une dizaine de fillettes sont rassemblées avec deux animateurs. Autour de Louise-Marie Colon, les enfants "font les bouches", c'est-à-dire qu'ils font parler les personnages en reconstituant le mouvement des lèvres à l'aide de bouches de différentes formes qu'ils superposent aux visages. Dans un autre coin, autour de Mathieu Labeye, on fait le mixage du son et de l'image. Le tout est capturé dans les ordinateurs. A côté, dans une salle polyvalente qui sert à la fois de cuisine, salle de réunion, salle de travail, quelques autres fillettes dessinent les jaquettes qui envelopperont les cassettes du film en préparation. "Cela s'appelle Les vacances du perroquet" m'explique Joëlle (10 ans). "L'histoire se passe dans un magasin de chiques (NdR : bonbon, en liégeois). Il y a un perroquet. Il est parti en vacances avec sa maîtresse mais la voiture dans laquelle il voyage passe dans un trou et sa cage s'ouvre. L'oiseau s'envole et se retrouve dans le magasin parce qu'il y fait la rencontre d'une "perroquette". Notre perroquet connaît les langues étrangères, ce qui fait qu'il peut traduire quand viennent dans le magasin des gens qui ne parlent pas le français et que la dame du magasin ne sait pas comprendre. En plus il dénonce les petits voleurs. Un jour, une petite fille arrive et demande des chiques dans sa langue natale. Dans le magasin, il y a un raciste qui commence à parler haut contre la petite fille disant "Ici, on est en Belgique, on parle français, il faut parler français". Mais le perroquet a traduit, la petite fille a eu ses bonbons et la dame du magasin s'est fâchée sur le raciste lui reprochant que ce n'est pas bien de dire des choses comme cela." 

Le film est réalisé par une dizaine de fillettes du quartier populaire de Ste Marguerite, à Liège, dont la plus âgée a 13 ans. A l'origine, il y a la Maison de la citoyenneté du CPAS de Liège et la coordination Ste Marguerite, une asbl qui se charge de coordonner toutes les initiatives associatives dans le quartier (elle regroupe 13 associations et deux initiatives publiques). "C'est Marylène André, la personne qui m'a précédé qui a voulu réaliser un film sur le quartier avec des jeunes filles qui participent à l'atelier du mercredi après midi", m'explique Almuneda Vaqueriso, animatrice à la maison de la citoyenneté, qui accompagne les enfants. Il s'agit d'ateliers de la maison de la citoyenneté qui sont exclusivement réservés aux filles. " Beaucoup de filles d'origine étrangère ne pourraient pas participer aux activités extrascolaires s'il y avait des garçons. Donc on a créé ce groupe où elles sont entre filles et où les parents sont rassurés. Ils savent qui les encadre, ils reçoivent le programme des activités, etc.  Je trouve ce stage génial pour elles", poursuit Almuneda.
" Parce que c'est un travail sur le long terme et que cela leur permet de créer quelque chose dans la durée en prenant en compte tous les aspects de la création. Le projet a démarré au mois de novembre 2002. Les filles sont venues visiter les locaux et visionner des films déjà réalisés pour voir ce qu'elles pouvaient faire, en matière de films d'animation. Ensuite, elles ont travaillé pendant dix mercredis à la maison de la citoyenneté à faire les décors, les personnages, les dialogues, tout ce qui était nécessaire pour démarrer ce stage d'une semaine. Et actuellement, nous venons tous les jours de 9h à 16h30'. A l'occasion de la fête des mères, il y aura une petite fête à la maison de la citoyenneté où elles pourront montrer le film à leurs mamans et il sera également présenté le 31 mai à la Maison des jeunes à l'occasion de la fête du quartier."

 

Véronique précise "Nous, qui ne sommes pas du coin, ne pourrions pas faire ce stage sans la collaboration des associations locales et d'Almuneda et ses collègues. C'est elles que les parents connaissent, c'est à elles qu'ils font confiance." Et ces enfants, que deviennent-ils une fois le film terminé ? "On met un point d'honneur à assurer le suivi de la production auprès de ceux qui y ont participé: les enfants, mais aussi les commanditaires et les bailleurs de fonds" répond Véronique Michel. "Bien sûr, le travail n'est pas le même pour un stage de vacances de 10 jours que pour des projets comme Youssou l'enfant d'eau ou Tom, qui voyagent beaucoup plus, sont projetés en festivals, etc. Mais dès que le film a une reconnaissance (festivals, prix ...), on écrit une lettre à tous les participants pour les informer, par exemple, quand Un monde pour Tom a reçu le prix Cinergie. Et puis il y a des enfants qui reviennent et deviennent des mordus. Le temps passant, on commence à avoir des jeunes stagiaires de chez nous qui sont devenus professionnels après avoir fait des écoles de cinéma ou d'animation, il y en a même qui maintenant travaillent avec nous. Pour nous, c'est la gratification la plus formidable."



Les vacances du perroquet est réalisé par May, Joëlle, Marie, Marine, Myriam, Fatme, Najoie , Isra, Davina, et Aurélie.

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