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Elles Tournent – 15 ans

Publié le 22/03/2023 par Fred Arends et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

A l'occasion des 15 ans de Elles Tournent, festival de films réalisés par des femmes, rencontre avec Marie Vermeiren et Hanoulia Salamé, respectivement fondatrice et coordinatrice de l'asbl qui chapeaute le festival ainsi que diverses activités. Avec les nombreux bouleversements qu'a connus le monde en 15 ans, le choc de Metoo# et les nombreux tollés suscités par l'invisibilisation des femmes notamment dans le milieu du cinéma, l'importance d'un festival de films de femmes reste d'autant plus grande que les extrémistes et les réactionnaires sont largement sortis du bois.

Cinergie : Pourquoi, il y a 15 ans, y-a-t-il eu cette envie de créer un festival de films de femmes ?

Marie Vermeiren : Il y a 15 ans, toute une équipe de femmes dans le cinéma a senti qu'il fallait faire quelque chose car la situation devenait intenable. Il fallait monter une structure pour montrer que les femmes faisaient aussi des films. Ça s'est passé en 2008, d'abord au Botanique et c'était une espèce de fête car pour la première fois nous étions inscrites dans l'espace public.

 

C: La situation était intenable en termes d'invisibilité des femmes ?

M.V. : Invisibilité, oui. Plus tous les problèmes que les femmes peuvent rencontrer sur les tournages. Quand tu arrives à faire un film et qu'il ne soit pas montré, c'est inacceptable. Un film est fait pour être montré, pas pour être mis dans un tiroir.

Avoir un festival de films de femmes permet aussi de montrer une situation sociale, de montrer ce qui se passe par rapport aux femmes créatrices. Le nom du festival Elles Tournent, vient de Alice Guy, une grande précurseuse ; elle est la première personne qui a fait un film de fiction. Avant, le cinéma était comme une photographie animée. Et elle s'est dit qu'avec cet outil-là, on peut très bien raconter des histoires. Et en 1914, elle a donné une conférence devant une audience féminine. Elle a expliqué sa situation. Elle a dit : « Je me sens un peu seule. Mesdames, tournez ! ». Et notre réponse, c'est bien : « Elles tournent ». On a la preuve et la preuve, c'est le festival. Et depuis le départ, c'est Elles Tournent aussi dans le monde. Partout, il y a des femmes qui font des films. Et dès le début, il s'agissait de montrer ces films-là : comment les femmes voient le monde ?

 

C : Quelle évolution voyez-vous entre il y a 15 ans et aujourd'hui en termes de films produits, de visibilité ? Elles Tournent est-il encore un festival nécessaire ? 

M.V. : Oui, oui. Sinon on arrête tout de suite ! En fait par rapport à la production et les budgets, cela va mieux mais ce n'est pas encore idéal. Nous allons d'ailleurs sortir de nouveaux chiffres que nous présenterons au festival. Aujourd'hui, dans la suite du mouvement MeToo#, la visibilité est beaucoup plus grande même si de nombreuses difficultés persistent mais la parole est déliée. Les tournages commencent à s'organiser autrement car il n'est toujours pas facile d'être une femme sur un tournage, il n'y a qu'à voir le film sur Jane Campion que nous présentons, elle l'explique très bien.

 

C: Comment procédez-vous à la sélection ? Y-a-t-il une thématique particulière ?

Hanoulia Salamé : Il n'y a pas vraiment de thématique. Cette année, nous avons beaucoup prospecté vers l'extérieur. On va beaucoup en festival pour découvrir des perles rares. Il y a une équipe de programmation de plus ou moins 20 personnes qui visionnent et choisissent les films. On travaille en entonnoir. Au niveau des thématiques, on essaie d'avoir quelque chose de diversifié et qui soit large au niveau du territoire.

M.V. : Et on invite évidemment les réalisatrices pour parler de leur film et du processus créatif qui n'est pas le même. Si on est de Ouagadougou ou de New-York et que le thème est le même, le film sera totalement différent.


C. : Est-ce que vous accordez une attention particulière aux films belges ? Pouvez-vous nous dire quels sont les films belges essentiels cette année et quels sont les événements et autres films importants ?

H.S. : Il y a notamment une table-ronde autour de l'étude réalisée par l'association Elles font des films sur la place des femmes dans le cinéma belge ainsi que des associations française et allemande qui permettront de dresser un constat au niveau européen. Il y aura aussi un panel avec les réalisatrices invitées et qui parleront de leur réalité. Au niveau film, il y a le documentaire génial de Nina Faure, We Are Coming, chronique d'une révolution féministe, qui a comme point de départ cette question : « Pourquoi les femmes ont-elles moins de plaisir au lit ? ». Elle nous emmène dans un voyage féministe où elle souhaite abolir le patriarcat en donnant des outils très intéressants. C'est très riche et très motivant.

Il y a également toute la partie Graines de cinéastes. Il s'agit d'un projet né il y a 3 ans au sein de l'asbl Elles Tournent et qui vise à mettre en avant les réalisatrices qui sortent des écoles. De leur permettre de rentrer dans la vie active, dans le milieu du cinéma. En effet, selon une étude de 2016, il y a 50% de femmes dans les écoles et à la sortie qui disparaissent de la circulation. Ce projet vise à montrer les premiers et deuxièmes films de ces réalisatrices lors du festival mais c'est également un accompagnement durant l'année via des rencontres, des ateliers, des discussions, du speed dating professionnel, de la construction de réseau.

 

C. : Justement, Elles Tournent, ce n'est pas que le festival. Pouvez-nous expliquer ce qui se passe en dehors ?

M.V. : Il y a ce qu'on appelle les « On the Road », des séances que nous organisons toute l'année. Soit à la demande, une organisation nous demande un film sur une thématique et nous lui fournissons. Nous avons également un ciné-club, nous allons dans les écoles pour donner un apprentissage à l'image. Les enfants avalent des images mais aucune image n'est innocente. Toute image est fabriquée et il faut donc apprendre à les décrypter.

H.S. : En fait il y a quatre piliers : le pilier On the Road, le pilier festival, le projet Graines de Cinéastes et tout le travail de réseau, national et international. Nous organisons des échanges de séances avec des festivals étrangers. Cette année, nous présentons une carte blanche d'un festival chilien et l'année prochaine, nous irons au Chili. Il s'agit d'oeuvrer pour que les films et les idées circulent le mieux possible.

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