Lorsqu'on monte les quatre étages - en ahanant, à chaque palier - qui mène à l'antre du Minotaure électronique de Cinergie.be, on a la tête qui bourdonne, les oreilles qui sifflent mais on sait presque toujours sur qui on va tomber : Dimitra Bouras, notre webmaster ou webmistress (les féministes et les grammairiens trancheront) et votre serviteur, les cheveux gris d'une longueur qui n'est pas sans rappeler l'époque des sixties. En revanche, on ne sait pas toujours ce qu'on va y faire. Se faire tirer le portrait (au polaroïd ou en négatif ?), se faire conter fleurette ? (la séduction des comédien(nes), jouer au carte ou aux dés ? (le poker menteur) ou plus simplement deviser dans l'espoir de passer une heure fructueuse, sans petits fours mais avec une tasse de café, destinée à alimenter l'actualité cinématographique ? Tout cela, nous le lisons dans les yeux de Damien Chemin, jeune homme à l'allure sage, vêtu d'un pull de laine mauve à col roulé et d'une veste en cuir noir.
Entrevue avec Damien Chemin
"Le premier souvenir qui s'est gravé dans ma mémoire est le Kid de Charlie Chaplin. Je devais avoir 6 ou 7 ans. je l'ai vu en salle à Bruxelles. J'habitais à Beauvechain, donc pour moi c'était une grande expédition. J'y ai été avec mon père. Je n'ai aucun souvenir de la salle mais du film. Puis les premières images à me parvenir ont été celles de la télévision. On avait reçu le vieux poste de nos parents qui venaient de s'en acheter une nouvelle, plus performante. Le premier soir qu'on l'a branchée et on a regardé Superman. Très frustrant car après vingt minutes elle s'est arrêtée définitivement ! Après cette expérience, il a fallu un certain temps avant que nous arrivions à avoir un autre poste de télévision."
Adolescent, Damien n'allait pas trop au cinéma. Il lui préférait le théâtre. D'autant que son père était comédien, de même que sa mère pendant une certaine période. Il nous avoue avoir souvent servi de public test avant que les spectacles ne soient représentés. Ce qui ne l'empêche pas, grâce aux copains, d'aller au cinéma pour y voir des blockbusters américains genre Ghostbusters et d'autres succès du hit parade cinématographique où, comme chacun sait, les premières places sont occupées par les films hollywoodiens. "Comme je n'étais pas beaucoup confronté à la magie du cinéma, j'étais surtout impressionné par des effets spéciaux, des histoires brillantes avec des décors magnifiques, en un mot par ce qui fait le charme du cinéma américain. Peut-être en raison d'une certaine résistance des mes parents vis-à-vis du cinéma. Les premiers films qui m'ont donné envie de faire du cinéma sont les films d'Akira Kurosawa. J'ai vu les Sept Samouraïs, assez jeune. Tout en gardant le côté spectaculaire du cinéma américain, le film m'a vraiment touché. J'ai voulu découvrir l'univers de Kurosawa. J'aimais tous ses films. Il a une sensibilité très forte. Ce qui me plaît, c'est l'équilibre assez juste entre une sorte de sentimentalisme, d'humanité des personnages comme dans Barberousse ou Rashomon, qui n'exclut pas les scènes plus spectaculaires."
Lorsque nous lui citons Hitchcock qui réunit également grand public et cinéphile, il nous avoue moins bien le connaître. Retour à Kurosawa-san. "Ce qui me fascine particulièrement chez Kurosawa, c'est également une esthétique. L'attention est portée à tous les détails du début à la fin. Ce que j'aimerais parvenir à faire, c'est raconter des histoires par le biais du cinéma. Car ce sont ces films-là qui me touchent le plus : ceux qui racontent une destinée en jouant sur les tous les ressorts de l'écriture cinématographique."
Malgré le métier exercé par ses parents, Damien n'a jamais eu envie de devenir comédien. "J'étais dans une option artistique dans le secondaire. C'est plutôt dans cette voie-là que je m'orientais au départ. Puis peu à peu les choses se sont modifiées et il y a deux choses qui m'ont amené au cinéma : c'est l'image animée et l'envie de faire un travail artistique qui se déroule de façon collective. La perspective de me trouver seul devant mes crayons et mes pinceaux ne m'intéressait pas. Par contre l'idée de collaborer avec une équipe me plaisait. Ce n'est donc pas une vocation qui est née du jour au lendemain ! D'ailleurs la première chose vers laquelle je me suis dirigé dans mes études de cinéma est l'image car je trouvais important de maîtriser une technique. Et puis, j'ai toujours aimé l'image. Avant cela, j'avais fait une candidature en l'histoire de l'art à l'ULB. Ce qui m'a fasciné dans la peinture, c'était la variété des conventions, c'est-à-dire qu'en fonction des cultures des époques, des conditions sociologiques, les conventions de représentation de la réalité sont très différentes. Je continue à trouver cela intéressant. La notion même de perspective est liée à des notions philosophiques. Ceci est aussi très vrai au cinéma. Un film d'histoire d'amour égyptienne n'est pas raconté comme un film français !".
Le pinceau de Damien se transformant en caméra, il travaille le cadre, la lumière, la composition. "D'ailleurs, dans Comptine, j'ai cadré moi-même. Actuellement, je me sens plus à l'aise en prise de vue qu'en réalisation. Je pense que la lumière et le cadre ne sont pas séparables. On les sépare pour des raisons matérielles, car c'est plus à facile à gérer, mais je ne pense pas que se soit réellement séparable. L'idéal serait de pouvoir faire les deux."Il ajoute : "Le plus important est de travailler sur des projets qui nous passionne quelle que soit la position où l'on se trouve. Dès que la collaboration est bonne, l'expérience l'est aussi. J'avais le désir de faire l'image et réaliser un court métrage. J'ai essayé de voir quelle idée était réalisable étant donné que j'avais zéro moyen ! Finalement j'ai opté pour l'idée d'un personnage confronté à un autre invisible. Au départ, c'était fort bricolé. J'ai réuni une équipe à partir de gens que je connaissais. On a tourné six jours en rassemblant un maximum de matériel prêté. J'en suis arrivé au stade des rushes qu'il fallait monter. Mais je n'avais plus du tout de moyens. C'est à ce moment que j'ai fait une demande d'aide à la finition, en association avec Transat Film. Christian Thomas a vu les rushes et on a travaillé ensemble. J'ai toujours beaucoup de projets que je mène en même temps. Pour le moment, je travaille au développement d'un documentaire. C'est un documentaire qui a un aspect fictionnel car c'est une histoire fantastique que je vais tourner dans un cadre documentaire. J'envisage aussi de refaire de la fiction. J'ai déjà pensé au long. C'est même un problème que j'ai actuellement : mes idées sont plutôt pour des longs métrages. Mais je ne me fais pas d'illusion sur l'impossibilité de réaliser tout de suite un long. Je reste dans des projets plus modestes."
Comptine passe à la RTBF dans l'émission TéLéCiNéMa le 19 mars 2002.