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Entrevue avec Matthieu Frances

Publié le 01/04/2005 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

À la question rituelle du premier film l’ayant marqué petit, Matthieu Frances nous parle de La Belle et la Bête de Jean Cocteau.

 

« Ayant eu la chance d’avoir des parents qui étaient très cinéphiles, j’ai pu regarder des tas de films qui n’étaient pas faits pour moi, comme Les Diaboliques de Clouzot, La Prisonnière du désert de John Ford, Le roi et l’oiseau de Paul Grimault.  Plus tard lorsque j’ai essayé de comprendre la technique, La Belle et la Bête m’a appris qu’on pouvait faire passer des idées poétiques avec un simple matériau humain sans effets spéciaux. J’ai été marqué par cette séquence où Belle rentre dans le Château de la Bête devant des chandeliers tenus par des bras qui lui ouvrent un passage. La puissance que génère cette scène est extraordinaire. »

 

Il se destine à une carrière de comédien, fait du théâtre à l’Académie et trouve très amusant et libérateur de jouer. Adolescent, il fait partie de plusieurs troupes amateurs.

 

« J’essayais de jouer un maximum. »  En même temps au Collège, on nous montrait les grands classiques du cinéma, les films d’Orson Welles, de De Palma, notamment Blow Out. » Le film le met K.O. « Je me suis dit qu’il devait être amusant de mettre en scène, d’imaginer plutôt que d’interpréter. C’est plus fort comme émotion. Les plans de Blow Out sont totalement gratuits  et totalement justifiés. (1) Je n’imaginais pas faire autre chose que la réalisation. Je suis donc entré à l’IAD. »

Entrevue avec Matthieu Frances

Nous en venons à Paradis Express, son film de fin d’études que vous pourrez voir le 12 avril dans Tout Court, l’émission de Renaud Gilles sur ladeux/RTBF.

« Au départ il s’agit de deux histoires dont l’une m’est très personnelle. Celle de la femme qui a un début de maladie d’Alzheimer et l’autre des références cinématographiques, ce qui rétrospectivement n’est pas une bonne chose. Le jumelage des deux a donné ce film. Comment rendre cela cohérent, Je me suis inspiré du cinéma japonais. Parce que leurs cinéastes mettent du sens dans leur découpage, du sens dans leur montage. Le film est donc nettement référencé à Kitano. Comment fait-il pour faire du gunficht tout en n’ayant pas de budget ? On se rabat sur la poésie que j ‘adore ce qui m’a permis de facilement trouver des échappatoires fournissant une réponse au jeu de flingues et de leur donner la place accessoire qui est la leur. C’est presque un leurre qui permet de raconter la vraie histoire du film. »

 

Ce qui le passionne dans le cinéma japonais c’est sa stylisation avec ses moments de vérités. Un cinéma où le naturalisme est banni. Pour Matthieu Frances le cinéma est de l’ordre de la reconstitution de la réalité. Ce qui importe c’est la capture de la vérité de ce qui est montré. En un mot l’écran n’est pas le monde même s’il entend le reconstituer à l’aide d’éléments visuels et d’éléments sonores.

 

« En Belgique il y a souvent l’idée que capturer la réalité à l’écran va donner quelque chose de fort ce qui est une façon de renier le travail du réalisateur, qui pourtant est présent, y compris dans le documentaire. »

 

C’est d’ailleurs ce qui frappe dans Paradis express, un parti pris de mise en scène. Des plans qui hors de la narration donnent une respiration au récit. Les images mentales d’une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer.

 

« Elles ne sont pas assez longues, c’est ma grande frustration dans le film. Raison pour laquelle je ne me sens pas à l’aise dans le court métrage. C’est à nouveau une histoire belge. On veut, ici, que les jeunes réalisent un court métrage pour prouver qu’ils peuvent faire un long. Mais tout comme la nouvelle par rapport au roman, les deux techniques sont différentes. Cela ne me convient pas car j’aime jouer sur la durée des plans. J’ai été frappé, l’autre jour, en voyant Nobody Knows de Kore-Eda, de voir un film très stylisé et qui respirait. Le réalisateur n’hésite pas à filmer la nature, à capturer ce qu’il y a de plus infime dans chaque personnage. Et c’est un film qui s’étend sur deux années le temps du récit. Mais on sent les saisons grâce à la lumière, aux feuilles sur les arbres, etc. »

 

Le numérique, l’intérresse-t-il ? Oui, pour autant que ce soit par choix esthétique, à la base et non pas purement économique.

 

« Ordinary Man le film de Vincent Lanoo a été pensé en vidéo. Par contre, je ne pense pas que la vidéo remplacera jamais la pellicule. Ceci étant, par rapport à l’Amérique, on a un complexe d’infériorité en Europe face à ce genre de nouvelles technologies qu’on ne maîtrise pas. C’est dommage. »

 

Dans l’immédiat Matthieu Frances prépare un court métrage qui est né d’un pari.

« Je suis assez navré que la plupart des courts métrages soient des blagues filmées qui ne reposent que sur un effet comique à la fin, un effet de cymbale qui fait rire. Est-il possible de réaliser un court métrage très court, dramatique et qui ne repose que sur une seule idée. J’ai pensé à une situation extrême. Quelqu’un doit annoncer à une famille la mort d’un de leur proches. Le tout se passe dans un village mangé par le brouillard. C’est fascinant le brouillard c’est de l’antimatière. Quand on avance dedans on a l’impression de faire du sur place. Ensuite, j’ai des projets de longs métrages, un film à sketches et un film fantastique. Il y a longtemps que j’ai envie de m’attaquer au genre. Sinon dans l’immédiat je fais des clips. C’est chouette parce que l’image se plie à la musique. Je n’essaie pas de comprendre les paroles. Il faut que l’image soit captivante par rapport à la musique. C’est un exercice de style. C’est mieux qu’à l’IAD qui est une école pour apprendre à faire de la télé et pas du cinéma. »

 

Lorsqu’on lui demande si dans le fantastique il louche plutôt vers le gore, le slasher ou la suggestion façon Kyoshi Kurosawa (Cure, Séance) ou Hideo Nakata (Ringu), il répond sans hésiter « pour le style japonais mais avec une forte entité belge. Je le réaliserais en  Ardenne. »

 

Le genre lui permet de rebondir et de piquer une colère qui ne nous surprend pas puisque depuis deux ans on n’entend que de jeunes réalisateurs furieux des choix de la Commission de Sélection (peut-elle faire autre chose avec les moyens financiers dont elle dispose ?) et du peu de crédit que celle-ci accorde au cinéma de genre. Or celui-ci non seulement n’a jamais empêché les auteurs de s’exprimer (Hitchcock, Kitano, Scorsese, Ford, Wong Kar-Wai, etc) mais peut être un atout vers un public qui réagit davantage aux films de genre qu’au films d’auteur (il faut s’appeler Kubrick  pour être un label à soi tout seul.) On risque une explication : le cinéma de genre européen n’a pas créé que des chefs d’uvre (si on excepte Sergio Leone ou actuellement Aménabar). Néanmoins pourquoi ne pas prendre de risques puisque aussi bien nos budgets ne nous permettrons jamais d’aller dans le spectaculaire trashy? De toute façon, représentatif d’une nouvelle génération, le genre va devenir, dans l’avenir, une composante du spectre de notre cinéma. Matthieu Frances, quant à lui pense que nous avons peut-être l’esprit trop cartésien.

 

« On parlait du cinéma japonais, leurs réalisateurs ont une naïveté et une humilité qu’on a plus du tout ici. Nos films ne sont plus assez naïfs, assez frais. »

 

Paradis express, le 12 avril sur laDeux, dans « Tout Court » de Renaud Gilles.


(1) Son audace formelle et ses outrances (la multiplication des simulacres, la réalité et son double) tout concourre a faire de Brian De Palma, l’un des cinéastes cultes des jeunes générations. Qui plus est, son coté politiquement incorrect face à la société américaine et à la normalisation esthétique générale ne fait qu’amplifier son impact.

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