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Entrevue avec Paul Fonteyn

Publié le 01/12/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

La Californie des années cinquante. Les époux Fonteyn vont voir dans un drive in Dial M for Murder d'Alfred Hitchcock.

À l'arrière, Paul, trois ans, ouvre l'oeil et le bon de temps à autre, fasciné par les ombres qui s'agitent sur l'écran et représentent la vie bigger than life. C'est le premier film dont il se souvienne. On espère pour lui que la scène où Grace Kelly plante les ciseaux dans le dos de son agresseur payé par son mari pour la tuer lui a échappé. Sinon bonjour les cauchemars ! Aujourd'hui, mort de froid malgré une veste en cuir noir et tout en refusant notre café chaud, Paul Fonteyn, nous conte que, revenu en Belgique, il entame une scolarité classique avec un désir de cinéma d'autant plus vif que ses parents ne considèrent pas celui-ci comme offrant une possibilité d'avenir à leur fils. Bref le septième art est un domaine inaccessible pour Paul.

Paul Fonteyn

 

"Mes parents regardaient avec désapprobation à La Terrasse, un bistrot près de la porte de Tervuren les jeunes gens de l'IAD, affalés aux tables en veste de cuir, les cheveux longs, discutant de cinéma. " Il cligne de l'oeil et poursuit : " J'en rêvais mais comme d'un paradis qui n'était pas pour moi. Le cinéma a toujours été une passion. D'abord honteuse et puis avouée."

Début des années septante, il entame à l'université des études d'économie des pays en développement, sérieux parental oblige, tout en s'occupant d'un ciné-club dirigé à l'époque par Paul Humblet. Devenu professeur à l'ICHEC, on lui demande de faire un doctorat afin de devenir professeur ordinaire. Paul Fonteyn en profite pour se faire envoyer comme boursier doctorant à l'Université de Berkeley (l'Université qui collectionne le plus grand nombre de Prix Nobel au mètre carré). Où ça ? En Californie, de l'autre côté de la baie, au nord-est de San Francisco, of course, merci Alfred ! Putain meuk ! Flon flon les ballons. Plus cool tu meurs.

"Ç'a été l'occasion de m'accorder des libertés que je ne m'étais pas octroyées jusqu'alors", nous dit-il pince sans rire. À l'époque l'économie néo-classique intéresse davantage le département d'économie que le néo-keynésisme défendu par Fonteyn qu'il juge dépassé. Ça tombe bien, (si j'ose dire) : Paul, par un jeu de domino assez subtil, va tomber dans le chaudron contenant la potion magique du cinéma. D'abord convié à un séminaire sur la sémiologie du cinéma (Barthes, Raymond Bellour, Thierry Kuntzer, etc.). "Ce type d'approche n'aidait à la compréhension que pour les films de genre", admet Paul Fonteyn qui enchaîne en faisant connaissance de Tom Luddy, le patron de la Cinémathèque de la Côte Ouest dont le siège était, heureux hasard, à Berkeley.

"On m'a demandé d'organiser une rétrospective de la Nouvelle Vague et de traduire des articles issus des Cahiers du Cinéma, puis d'écrire moi-même sur le cinéma. C'était la première fois qu'une porte s'ouvrait et que je pouvais faire quelque chose dans ce domaine." Suit un bénévolat comme projectionniste qui lui offre un libre accès aux archives des collections. Le paradis, enfin ? Pas tout à fait. Paul pense que le meilleur commentaire d'un film est d'en faire un autre, d'utiliser le même médium pour lui répondre. Il a des discussions sur le sujet avec Tom Luddy. Celui-ci, devenu le bras droit de Coppola à Zoetrope films, comprend que Paul n'a qu'un désir : faire du cinéma. Il le branche donc sur l'usine à rêves : Hollywood.

"Au moment où je suis arrivé là-bas j'ai pris conscience du grotesque de la situation : un petit Belge allant voir un patron de studio pour chercher du boulot. Je dois t'avouer qu'au début, les gars non plus ne croyaient pas qu'un économiste venait pour ça. En général je me faisais éconduire poliment. Et puis miracle, Charles Lippincott m'a suggéré de participer à la compétition annuelle de la guilde des réalisateurs qui a un programme de formation. Je m'y suis inscrit et ai été retenu à ma grande surprise." En 1984, il s'installe à L.A. près de Burbank, versant nord des collines de Hollywood.

"Là, j'ai commencé par faire une gaffe, j'ai refusé mon premier job, en demandant de commencer mon stage en prenant des vacances en Europe (rires). Ils sont restés baba. Au moment même, je n'ai pas pigé. Ce n'est qu'après, sachant le nombre de sollicitations dont ils sont l'objet, que j'ai compris leur stupeur. Mais du coup j'ai eu un job beaucoup plus facile. Je me suis retrouvé sur Falcon Crest, une production tournée en 35mm qui était indifféremment prime time TV et cinéma. J'ai été un stagiaire payé et bien payé ( un "low man on the totem pole") pendant quatre cents jours. C'est très très dur. Tu es en bas de l'échelle, du totem. Six heures après avoir démarré, c'est le lunch et puis six heures plus tard c'est la fin de journée et on commence à casser. Ça, c'est le truc officiel (douze heures de travail par jour, six jours semaine). Au moment de l'appel d'équipe, il faut que tout le monde soit sur le plateau. Toi, tu arrives l'un des premiers pour contrôler que l'éclairage, les lignes téléphoniques, le café et les donughts du matin sont prêts et tu quittes le plateau lorsqu'on te remet les derniers rapports que tu portes à la prod avec la pellicule.

Donc, on travaille entre 15 et 19 heures par jour. Pour moi, venant du milieu protégé de Berkeley, c'était ahurissant, inouï. Tu n'as plus le temps de penser, d'être malade, d'aller chez le coiffeur, etc. Tu fais ton boulot, tu montes dans ta bagnole comme un zombie, tu prends une douche, tu t'endors et quelques heures et après c'est reparti. Je démarrais au coke light dans ma bagnole, une habitude que j'ai gardée. C'est une épreuve d'endurance. Ils veulent voir ceux qui s'accrochent et ceux qui lâchent. Dans un tel système, plus tu montes dans la hiérarchie et mieux tu es payé avec, évidemment, des responsabilités en plus.

Donc, après, je suis devenu "second second" (troisième assistant) puis "key second" (second assistant) sur Ghost (les dernières semaines ont été éprouvantes, il fallait retourner certaines scènes), etc. Comme " first assistant " (premier assistant), j'étais intérieurement terrorisé à l'idée de faire une faute puisque tout reposait sur mes épaules. Sur le plan extérieur ça ne se voyait pas, je souriais de manière décontractée, comme tout un chacun, là-bas. Mais ce n'est qu'apparent, c'est un système où on te dit que tu n'as pas droit à l'erreur.

On employait plusieurs caméras - parfois jusqu'à cinq - pour les scènes d'action sinon on avait fréquemment deux caméras pour avoir des plans larges et serrés en même temps, cela uniquement pour gagner du temps. C'est pour la même raison que les journées étaient aussi longues. Ce qui est important pour eux, dans la structure d'un tournage, c'est de gagner du temps sur le timing des stars qui sont, de très loin, les personnes les mieux payées de la profession. C'est un système immensément éloigné de la démocratie."

Un moment donné, il s'offre des vacances studieuses en devenant le premier assistant sur Marie, le long métrage que Marian Handwerker a tourné avec Marie Gillain. "Marian correspondait tout à fait à l'idée que je me faisais d'un réalisateur-auteur belge avec des cheveux longs, une veste de cuir comme les étudiants de l'IAD de mon adolescence. C'était tellement loin de ce que je vivais à Hollywood que l'idée d'un road movie qui démarre à Bruxelles et se termine à Lisbonne m'enchantait, d'autant que l'équipe était soudée et performante." Puis il retourne à L.A. mais rentre définitivement en Belgique un an plus tard, lors de la naissance de son deuxième enfant. Il entre à Saga Film pour y remplacer Jos Tontlinger qui souhaitait retourner aux études." J'étais censé coordonner des coproductions. Après cinq mois il m'a été demandé de produire et depuis je n'ai pas arrêté.

Il n'y a pas vraiment de répartition fixe entre Hubert et moi à Saga Film, poursuit-il, sauf peut-être la fiction télévisuelle puisque j'ai pratiqué le ciné et la télé à L.A. Ici, j'ai eu la chance de pouvoir faire appel à des réalisateurs comme André Chandelle , Pierre Joassin, Michel Mees et Marian Handwerker. Le choix du réalisateur en télé est aussi une manière de donner à un jeune réalisateur le moyen de faire ses armes avant un long métrage, surtout s'il n'a fait que du court métrage. Cela permet de voir comment il organise une narration sur 90 minutes. J'ai sur la question du film de télévision une position de combat. Si on prend la production cinéma aux États Unis, on se rend compte que pour amortir les salaires il faut cibler une population jeune, cherchant davantage le divertissement ou la sensation forte et que donc le lieu où on l'on peut produire des films plus mûrs - sauf si l'on dispose de stars - est le support télévisuel comme, par exemple, la chaîne câblée HBO. Ce qui signifie qu'aux Etats-Unis, c'est à la télévision qu'on trouve certaines des fictions les plus intéressantes. Et je pense que d'ici quelque temps, chez nous, on va s'approcher de ça. C'est ce que fait déjà Arte en Europe. En ce moment d'ailleurs, j'essaie de convaincre une chaîne belge de monter une collection pour Arte avec des réalisateurs comme Depleschin, Assayas, Limousin, etc. C'est sûr qu'Arte arrive à faire des films magnifiques en télé". On boucle ? Le rêve n'est-il pas en train de se concrétiser. Coming soon.

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