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Entrevue avec Hubert Toint à propos de Saga Film

Publié le 01/12/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Hubert Toint, la moustache en bataille, sur-booké, entre deux rendez-vous, nous parle de son métier de producteur du cinéma en Communauté française et de Saga Film qu'il dirige avec Paul Fonteyn, auquel par ailleurs nous consacrons dans ce même numéro un Gros Plan (En La Puta Vida, production majoritaire belge, en coproduction notamment avec l'Uruguay et qui vient d'être sélectionné par l'Uruguay pour concourir à la course à l'Oscar du meilleur film étranger).

Entrevue avec Hubert Toint à propos de Saga Film

Refusant la caféine de votre serviteur pour l'eau pure que nous procure Evian, il se débarrasse de son habituelle veste coupe-vent et pose sur la table à coté de l'enregistreur un agenda qui à l'épaisseur d'une bible.
Hubert Toint pense que la professionnalisation du cinéma ne date pas d'aujourd'hui. Simplement, nous dit-il la moustache frémissante, il y a plus de monde.

Les écoles ont formé davantage de réalisateurs, d'auteurs, de techniciens compétents et talentueux, de plus en plus de projets, de mieux en mieux ficelés, qui tiennent davantage compte du fait qu'un film doit trouver un public. L'argent n'a pas augmenté, au contraire. Les difficultés de montage financier, tant au niveau national qu'international, se sont accentuées ainsi que la technicité. Le producteur aujourd'hui doit être tout à la fois, chef d'équipe, script doctor, comptable, expert fiscal et financier. Toutes choses qui auparavant n'étaient pas nécessaires.

 

Wallimages et Bruxellimage

Je suis convaincu que c'est un plus pour la production, dans son sens large, tous les professionnels qui participent à la fabrication d'un film : les producteurs, les réalisateurs, les auteurs, les techniciens, les comédiens, les industries techniques. Le problème de la production, c'est le manque d'accès à des moyens d'une part, et le manque d'accès à une diffusion, une distribution, d'autre part. Les deux choses étant liées puisque la distribution est censée financer la production. Donc, tout ce qui est apport nouveau d'argent est essentiel pour la survie de la production en Belgique. On est régulièrement dans des goulots d'étranglement. On ne parle pas de luxe, on parle de survie.

Wallimages a une orientation plus économique mais ça profite à l'ensemble de la production. C'est un apport de cent millions d'argent frais par an dans la production belge. C'est un acquis formidable. De même en ce qui concerne l'annonce d'un Bruxellimage, dont Marion Lesmesre annonce la création. Le fonds wallon a comme fonction de développer une véritable industrie de production (sociétés de production, sociétés de services, etc.), choses qui existaient peu ou pas du tout en région wallonne alors qu'en région bruxelloise ces sociétés existent. J'imagine que sa fonction sera de complémentariser toute la chaîne de la production et de la renforcer parce que lorsqu'on renforce un maillon c'est l'ensemble qui en bénéficie. Si la région bruxelloise pouvait aider au développement et à la distribution des films belges - et je pense que beaucoup de professionnels seraient d'accord -, cela permettrait de jouer la complémentarité et de renforcer la chaîne de notre cinéma dans deux de ses maillons les plus faibles. Cela pourrait se concrétiser par des moyens mis à la disposition des distributeurs qui leur permettent de faire des minimum garantis avec le cinéma belge. Ce qui aurait des retombées économiques immédiates en termes d'emploi, d'industrie technique, etc.

 

DVD et VOD

Les choses ne sont pas roses en ce qui concerne la distribution des films belges qui est souvent problématique. C'est d'abord un problème d'écrans et, conséquemment, un problème de distributeur. Ceux-ci ont beaucoup de mal à simplement subsister parce qu'il leur faut simplement des écrans pour placer les films et assurer des recettes. La disparition du Kladaradasch a cristallisé cette situation de pénurie. C'est une situation qui ne peut pas durer. Si une vraie politique doit s'élaborer, elle devra tenir compte de cette nécessité et développer les moyens qui rendent possible l'existence de nouvelles salles ou la reconversion en cinémas de salles existantes ou d'autres possibilités encore...

Tu me parlais de l'existence d'un marché DVD - notamment en France dans l'enseignement du cinéma : il faut savoir que les coûts de mastérisation du DVD sont assez élevés. Donc, ce n'est pas évident. Et puis, est-ce que c'est ça qu'on veut, qu'avec le home cinéma les gens restent chez eux ? Est-ce l'avenir par rapport aux relations citoyennes ? Ou alors le DVD aura la même fonction que les cassettes VHS aujourd'hui dont le marché est dominé par les Jean-Claude Van Damme, pour rester belge ! (rires). Les films d'art et d'essai fonctionnent moins dans ce circuit-là que les blockbusters.
Cela étant, on voit débarquer une autre technique de diffusion, qui risque de changer pas mal de choses, c'est le V.O.D. (vidéo on demand). C'est totalement différent du home cinéma. C'est une production unique pour un destinataire unique. Tu choisis un film sur catalogue et on te l'envoie, en ligne, sur ton écran. Tu le télécharges. Tu peux le visionner comme tu l'entends, avec ralenti, etc., et, après vingt-quatre heures, il s'efface. Tu captes une émission unique dans la grille horaire de ton choix. La différence, c'est que ce n'est pas seulement une émission unique, c'est aussi une réception unique.

Tous ces systèmes doivent se complémentariser mais pour ça il faut renouveler l'offre et le cadre de l'offre. Il y a de la place pour de nouveaux écrans en Belgique, autres que ceux qui existent en bordure de villes. Il y a de la place pour des multiplexes qui soient en ville, liés au tissu urbain, et qui donnent l'envie de sortir, à condition de s'adapter. Il ne faut plus faire de l'exploitation comme il y a vingt ans, il faut animer, créer des événements. Les salles ne sont pas condamnées mais peuvent vivre parallèlement et de façon complémentaire avec tous ces nouveaux moyens de diffusion dont on parle.
D'ailleurs, pour que les films existent en vidéo, en DVD, en télé, ils ont besoin d'avoir une exposition en salles qui leur sert de première vitrine. S'il n'y a pas un peu de visibilité dans la première vitrine il y a de la chance pour qu'il n'y en ait pas dans les suivantes. Et c'est vrai des films en salles qui sortent en Belgique pour leur exportation dans d'autres pays. 

Promotion

Tu me redis que les dossiers de presse, photos et autre matériel promotionnel sont insuffisants en Belgique [j'avoue que c'est devenu l'une des scies de votre serviteur], c'est vrai. Mais c'est le travail du distributeur de faire connaître le film dont il a acquis les droits. À sa décharge, je te répéterai qu'il faut davantage d'écrans dans le pays. Je sais bien qu'en Belgique les journalistes s'adressent souvent aux producteurs faute de mieux mais ceux-ci ne sont pas équipés pour ça. On essaie de pallier une carence, tant bien que mal, avec plus ou moins de bonheur, mais ce n'est pas notre rôle. C'est celui du distributeur. Tu me parles des films américains ou français mais vous n'avez jamais affaire au producteur. La communauté française intervient - et c'est capital - à la fois dans la promotion des festivals et des sorties en salles. Sans ça, on serait dans la préhistoire du cinéma belge. Il faut travailler sur l'ensemble de la chaîne - au risque de me répéter - parce que c'est en travaillant sur la chaîne qu'on peut la renforcer.
C'est à travers les images qui sont diffusées qu'on véhicule une culture, son identité. Comment on est, quelle relation a-t-on au monde etc. C'est essentiel. De plus en plus on prend conscience qu'on apprend à penser à travers des modes d'expression qui, au départ, ne sont pas les nôtres. L'intervention européenne est essentielle avec tous les outils dont elle peut disposer, économiques ou culturels. C'est indispensable et qu'on ne nous resserve pas la sauce de la saine concurrence pour supprimer les aides. C'est complètement hypocrite. Dans le monde entier, le cinéma américain est le plus aidé et le cinéma européen ne doit surtout pas l'oublier et surtout pas les hommes politiques, c'est de leurs propres électeurs qu'il s'agit.

 

Saga film

Nous sommes deux à partager les aventures de Saga Film, ses vicissitudes et ses grandeurs : Paul Fonteyn et moi. Le téléfilm tel que nous le produisons à Saga Film n'a pas seulement une existence économique. Bien sûr, ça fait tourner la boîte, selon l'expression consacrée. Bien sûr, ça fait travailler l'entreprise, ce qui ne nous est pas indifférent d'autant que ça fait travailler des gens, c'est important à souligner. On a permis à quelques réalisateurs de faire leur première fiction. Je pense notamment à André Chandelle, Frédéric Roullier-Gall. Cela a permis de remettre le pied à l'étrier à Michel Mees et Marian Handwerker. Glauber Rocha disait : Un bon réalisateur est un réalisateur qui réalise. Il y a d'ailleurs des téléfilms qui se singularisent dans la production courante et sont des vrais films de télévision comme les Hirondelles d'hiver d'André Chandelle.

Le documentaire, c'est une ouverture sur le monde, certains sujets doivent être produits de par l'importance du sujet traité. Une structure comme Saga ne peut pas vivre en ne tournant que du documentaire. Mais on le fait et j'assume le fait que certains de nos documentaires sont des films de combat. Que ce soit le combat culturel ou humain, tout simplement. On a produit un film sur la pauvreté en Belgique. C'est un choix. En ce moment, je développe le projet d'un doc sur le lac Victoria réalisé par un Autrichien, qui rassemble la problématique du rapport Nord-Sud de manière forte et symbolique. En ce moment, Paul produit un film sur Hubert Nyssen (poète et fondateur de la maison d'édition Actes Sud).

Pour les trois longs métrages que nous avons terminés, puisque tu me poses la question, ils vont tous les trois sortir en salles dans le courant de l'année prochaine, y compris Au-delà de Gibraltar de Taylan Barman et Mourad Boucif. S'il a été tourné en Beta-digital, c'est pour des raisons de mise en scène, il a été kinescopé en 35mm. Le 3° Oeil de Christophe Fraipont a été tourné en super 16 et En la puta vida en 35mm. Le support de production n'étant pas nécessairement le support de diffusion.

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