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Entrevue avec Serge Mirzabekiantz pour Loin des yeux

Publié le 01/05/2004 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Pour Serge Mirzabekiantz, un grand gaillard au physique de joueur de la NBA mais qui parle d'une voix tellement feutrée qu'il faut tendre l'oreille pour écouter ses propos, la découverte du cinéma s'est faite via le petit écran. « Le premier film m'ayant vraiment impressionné était E.T. de Steven Spielberg ». Quelques années plus tard, Le nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud est le premier film qu'il découvre dans la magie d'une salle obscure. Une émotion dont il garde le souvenir. «J'ai même tenu la main d'un des copains de mon frère, tellement j'avais peur » .

 

Vous ne vous étonnerez donc pas si l'on vous dit que le cinéma devient une passion pour Serge qui ne pense cependant pas encore à en faire son métier. D'autant que l'entourage familial l'oriente, après ses humanités, à entreprendre des études de pharmacie à l'UCL. A 18 ans il ne se sent pas suffisamment mûr pour entrer dans une école de cinéma. Ce qu'il fait en 1999 sitôt ses études terminées. Entre-temps il tourne en amateur. "J'avais envie de travailler avec ma caméra, seul, de mon côté."

Si Truffaut et Hitchcock, l'ont marqué avant son entrée à l'IAD, c'est surtout le plaisir de faire des images et du cinéma en général qui lui semblent primordial.  La façon de mettre les choses en place dans un cadre, de jouer sur le hors-champ, en un mot : la mise en scène. C'est ce qu'il aime dans le cinéma d'Alejandro Gonzalez Iñarritu (21 Grams et Amores Perros).

 

"Ce qui me plaît dans le cinéma, c'est de pouvoir faire des choses totalement différentes. Un jour viendra, mon premier film, était une histoire d'amour dont le fil rouge était un enfant qui veut absolument revoir son père et qui se rend compte que celui-ci a refondé une famille. Fragment, mon second film jouait sur la science-fiction, mais sur l'anticipation davantage que sur les effets spéciaux. Il s'agissait de rendre compte d'expériences médicales pratiquées sur des cobayes humains. Loin des Yeux, mon film de fin d'études, aborde une thématique encore différente. C'est un film un peu à part. Avec un scénario où la suggestion est primordiale. Suggérer les choses au cinéma est un de ses pouvoirs qui touche à toutes les émotions : la peur, l'amour, l'angoisse. In the Mood For Love est un film que j'ai regardé avec mon directeur photo avant de tourner Loin des yeux. La façon dont Wong Kar-Wai met le plan en place est intéressante, de même que l'utilisation de longues focales ou encore de son choix de filmer les personnages de dos pour renforcer leur intériorité et susciter l'imagination du spectateur."

 

Lorsque nous lui faisons remarquer qu'il joue, quant à lui, sur une alternance très rythmée sur les plans larges de paysages immobiles et les visages saisis en gros plans, dans toute leur mobilité, il nous rétorque qu'il aime au niveau du tempo, casser la dynamique d'un plan. « C'est ce qui se passe lorsque par exemple, dans la séquence de la jeep, le travelling avance vers le personnage, ensuite on l'arrête comme si on avait envie de se retirer pour laisser ce personnage dans la solitude."

 

Loin des yeux parle de la rencontre de solitaires. Les personnages ont des destins croisés. Il y a, en effet, un couple qui se déshabille mais renonce à faire l'amour. « Je trouvais intéressant d'aller au-delà de la séduction d'une rencontre.  Que se passe-t-il lorsque deux personnes n'ont pas eu le mot qui faut pour se parler? Comment les choses vont-elles évoluer C'est de cela que le film parle? Est-ce que certaines personnes vont s'aimer où ne jamais se revoir ? On laisse le choix de l'interprétation au spectateur. Lorsque je discute du film avec les gens ceux-ci me parlent souvent de choses qui ne sont pas dans le film mais qui sont suggérées. Pour Yannick Renier qui interprète le chanteur, le choix me paraissait clair mais il avait une image de beau garçon un peu trop lisse. D'où l'idée de le rendre barbu. Un travail sur le personnage que nous avons fait en commun. Le choix d'Olivier Massart pour le garde forestier m'a paru évident. C'est un grand comédien belge de théâtre. Je l'avais repéré dans de grandes pièces comme La Reine Margot. Il a un visage que j'avais en tête depuis quelques temps et puis j'avais envie de travailler avec lui. Il correspondait au personnage que je désirais qu'il incarne. Pour choisir l'enfant et Muriel Verhoeven, qui joue la serveuse de l'auberge, on a fait un casting. Ensuite, on a fait plusieurs lectures et on a changé avec chacun des comédiens quelques détails inutiles. On n'a pas besoin de beaucoup de réglages, les comédiens savent ce qu'ils doivent jouer. Surtout lorsqu'on est un jeune réalisateur, on a plus à apprendre d'eux que l'inverse. On est là pour leur suggérer ce qu'on veut. Après se sont eux qui apportent leur savoir- faire et leur corps. Nous, on joue avec cela, évidemment ! »

 

Le peu de dialogues que l'on entend dans Loin des yeux est une façon d'exprimer le non-dit que le corps exprime à travers l'inconscient de chacun. De même Serge est fasciné par le discours que l'on entend sans y prêter attention et dont on ne se souvient que plus tard ainsi que du grain de sable où le coup de dés du hasard qui font basculer une rencontre. À côté des personnages humains, on retrouve la présence mystérieuse d'un loup. Pourquoi? «J'avais besoin d'installer l'histoire dans la nature et d'avoir un côté un petit peu magique, d'avoir une sorte de présence un peu plus bestiale, d'avoir un rapport à l'animal qui est complètement différent par rapport à l'enfant et par rapport à l'adulte. Le loup n'est pas du tout un animal solitaire. Mais, par contre, lorsque qu'on le voit seul, c'est un loup qui a choisi d'être seul. Sa solitude était un choix parce que le filme parle de cela, de comment l'apprivoiser, comment vivre avec elle, comment l'enrichir ou comment l'accepter".

 

Il juge que ses trois expériences au niveau des courts métrages ne sont pas suffisantes. «J'ai encore envie d'essayer des choses au niveau du court métrage. Dans un long métrage on a de plus lourdes contraintes. Je suis en train d'écrire un court. Un long métrage aussi, mais ce n'est pas ma priorité ! Peut-être qu'à un moment cela va s'accélérer".

 

Vitor Pinto et Jean-Michel Vlaeminckx

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