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Entrevue avec Tom Barman pour Any way the wind blows

Publié le 01/07/2003 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue
Entrevue avec Tom Barman pour Any way the wind blows

Mon film est un kaléidoscope

 

Tom Barman est plus connu chez nous comme chanteur de dEUs, le groupe anversois leader de la scène rock belge, que comme cinéaste. Pourtant, l'image est sa passion première. À seize ans, il arrache à sa mère l'autorisation de partir s'installer à Bruxelles pour suivre les cours de Sint Lukas. Le succès surprise de son groupe de rock, et d'autres raisons qu'il qualifie de "stupides", l'empêcheront de mener ses études à terme. Mais comme il le dit lui-même: "Pendant que mes anciens camarades devenaient deuxième, puis premier assistant, j'avais la chance de pouvoir réaliser mes clips (ceux de dEUs mais aussi d'autres chanteurs, dont Arno, soit une quinzaine en dix ans). L'ambiance du plateau ne m'a donc pas trop manqué et, à ma façon, j'ai appris sur le tas." Et toujours le cinéma reste dans un coin de sa tête. Aussi, quand après l'album The Ideal Crash, le plus grand succès commercial du groupe anversois mais aussi son disque le plus sage, Tom ressent le besoin d'un salutaire temps de réflexion, il délaisse dEUs pour un temps, et s'attaque à l'écriture de ce qui deviendra son premier long-métrage. Un accouchement qui durera plus de trois ans car, à son habitude, Tom est loin d'avoir choisi la facilité. Any Way The Wind Blows est un film complexe entremêlant les histoires, les personnages et les détails incongrus. Avec cette oeuvre d'atmosphère plus que de réflexion, tout à la fois tragique, angoissée légère et drôle, Tom Barman, à (presque) l'âge du Christ, a une fois de plus placé très haut la barre de son exigence artistique avec une nonchalance étudiée qui n'appartient qu'à lui. C'est de tout cela qu'on avait envie de parler avec l'homme à la chemise rouge attablé à la terrasse du Métropole, à Bruxelles, un mercredi du mois de juin. Rencontre.

Cinergie : Explique-nous comment se sont passés ces trois ans durant lesquels tu as écrit et préparé Any way the wind blows?
Tom Barman : J'ai commencé à écrire à partir des personnages. Instinctivement j'ai mis sur papier huit personnes et j'ai développé mes histoires en partant d'eux, intuitivement, comme j'écris mes chansons. Dès le début je savais que le film que je cherchais à faire était assez personnel, avec beaucoup d'impressions. Je voulais quelque chose de petit tout en étant assez ambitieux, parce que je souhaitais montrer plein de petites choses. Je savais que le film irait davantage dans la largeur que dans la profondeur. Je l'ai élaboré aussi au départ de manques. Je me suis demandé pourquoi j'ai envie d'aller voir des films danois, ou les films d'Aki Kaurismaki qui me font rire à mort, ou encore Almodovar, alors que, dans le cinéma flamand, je ne retrouve pas les choses que j'aime et qui me parlent dans ces films. J'ai cherché une atmosphère qui me manque dans les films flamands. Un dialecte multilingue, un type d'humour, une sorte de tempo, de structure jazzy qui me correspond. L'humour des films flamands ne me touche pas. J'étais très conscient que ce n'était pas facile de faire un film choral pour un premier film, mais c'est comme cela que je l'avais conçu et ce n'était pas quelque chose que je pouvais mettre en doute ou analyser. Je voulais que ce soit un film qui raconte avec intensité, pêle-mêle, 32 heures dans la vie. Il y a des gens qui ont le vent debout, d'autre qui ont le vent dans le dos. Il s'y passe des choses graves et des banalités. Notre vie est faite de tout cela.

C : Quelle est la place du montage dans un tel film?
T.B. :
Quand on a huit personnages et des histoires entrelacées comme elles le sont ici, on obtient un kaleidoscope qu'il faut reconstruire au montage. Et puis le montage, c'est aussi -et surtout- une affaire de rythme. C'est donc un exercice rigoureux qui a pris du temps.

C : On retrouve la structure, le découpage original?
T. B. :
Le découpage a laissé place a beaucoup d'improvisation. On n'avait pas de descriptif précis. Je travaille depuis dix ans avec Renaat Lambeets, le chef opérateur. On se connaît par coeur et sur les dix semaines de tournage, on a eu peut être une dispute sur une position de caméra. Autrement, on arrivait sur le plateau, on connaissait la scène à tourner, on savait ce qui devait en sortir et on se concertait pour savoir comment on allait faire. On a fait assez bien de plans séquences et de plans moyens, on n'a pas fait trop de champ contrechamp, et le tout, sans storyboard.

C : Il y a quand même des plans qui ont demandé une certaine élaboration, donc préparation? Je pense, par exemple, à celui à la Louma, où Paul Garcin rentre dans l'école. La caméra le suit jusqu'au porche puis là, on cesse de le suivre et la caméra grimpe le long du mur d'enceinte plonge dans la cour et revient à son niveau pour l'action, c'est-à-dire la rencontre entre Garcin et Eyskens junior. Tu ne vas pas me dire que ce n'est pas un plan longuement mûri?
T. B. :
Bien sûr, on savait qu'on disposerait de la grue ce jour là, mais la manière dont le plan a été tourné a été décidée le jour même. Cela ne nous intéresse pas trop d'exécuter à la lettre quelque chose qu'on aurait écrit. J'ai besoin de spontanéité dans mon travail, que ce soit pour le film ou pour la musique. Je ne trouve mon énergie que s'il y a cet élément de spontanéité. Bien sûr au cinéma, ne serait-ce que pour avoir le financement, l'équipe, il faut un minimum de choses écrites, préparées, donc, il faut trouver la bonne balance. Encore une fois, j'avais la chance de travailler avec Renaat qui est quelqu'un de très expérimenté et avec qui je me suis toujours senti en sécurité.

 

C : Le film mélange des comédiens très "capés", comme Dirk Roodhooft ou Nathali Broods et des acteurs amateurs ou occasionnels. C'était voulu?
T. B. : Oui, mais tout le monde a quand même été choisi au départ d'un casting, parce qu'il ne suffit pas de mettre devant une caméra quelqu'un qui a du charme sur une terrasse ou dans une discothèque pour que l'alchimie se produise. Mais il y a effectivement des amis, des connaissances qui n'avaient jamais été devant la caméra. Cette expérience m'intéressait parce que je crois profondément qu'avec un peu de concentration et beaucoup d'enthousiasme, tout le monde peut communiquer quelque chose d'authentique. Cela fait partie de cet élément de spontanéité dont je parlais tout-à-l'heure et dont j'ai besoin. Je recherchais cette inexpérience. Je voulais une sorte de nonchalance, d'absence de technique qui peut donner quelque chose d'autre qu'un acteur charismatique qui fait des poses très étudiées avec sa cigarette. Mais je n'ai pas rejeté cela pour autant. Il y a aussi des acteurs de composition, qui ont besoin d'être constamment dans leur personnage, mais ce qui était intéressant, c'était de les mettre à côté de quelqu'un qui fait les choses comme elles lui viennent. C'était une forme d'énergie que je recherchais, peut être aussi en réaction avec le fait de voir toujours, en Flandre, les mêmes acteurs dans les mêmes films. J'ai beaucoup de respect pour ces comédiens, mais je voulais faire quelque chose d'autre, d'un peu plus "street".

 

C : L'action se passe à Anvers, la ville se fait ambiance et imprègne tout le film. C'est plus qu'un décor. Quel rôle joue exactement la ville dans ton film?
T. B. :
Beaucoup de gens me posent cette question sur la place d'Anvers, et je ne sais pas trop bien quoi leur répondre. Anvers est l'endroit où j'habite, où je suis né, où j'ai tourné. J'espère que la ville sort bien mais je ne peux pas expliciter mon rapport avec elle dans le film. J'ai tourné dans des lieux, comme le quartier de la gare, qui ne sont pas nécessairement les plus beaux mais qui sont mes quartiers préférés et qui signifient quelque chose pour moi, photographiquement. Quant aux panoramas, si tu mets la caméra sur la rive gauche et que tu filmes Anvers, tu as forcément quelque chose de beau. Mais je n'ai pas assez de distance pour te dire comment la vie sort de tout cela.

 

C : En même temps, c'est une certaine Anvers que tu montres. Assez arty, branchée...
T. B. :
J'espère quand même que c'est fait de façon pas trop prétentieuse. Ce danger, je l'ai senti dans le regard des autres. Certaines personnes qui, à la lecture de mon projet se sont dit "Ouh là là! Il va faire un truc artificiel". Mais moi je voulais parler de la vie. Prend Firmin, le galleriste qui est peut être le personnage le plus dans cette veine là. En référence à la peinture, puisqu'il en vend, et aussi en constante référence à Warhol dont il parle et qu'il voit même en rêve. Mais même dans ce personnage, ce que je voulais faire ressortir, c'était l'amour. Celui qu'il porte à tout cela. J'espère quand même qu'on voit que ce n'est pas quelqu'un de faux. C'est quelqu'un qui ressent cela, qui aime regarder les oeuvres.

 

C : Il y a effectivement beaucoup de choses dans ton film. Je dirais même qu'il marque par le sens du détail incongru. Car de ce point de vue on est servi. Il y a le frisbee, le cheval mort, le bébé qui parle, les policiers qui font une collecte pour l'art dans la rue. Ces détails foisonnent à un tel point que cela ne doit pas être facile à intégrer dans les histoires en évitant de les perturber?
T. B. :
Sans doute, mais la raison pour laquelle j'ai fait mon film comme cela, c'est que j'aime beaucoup ces détails, ils me font rire. Une autre raison est que, dans ce film, je parle finalement de choses assez banales. Tu dis que mes personnages sont arty mais ce sont des gens ordinaires, qui ont des problèmes avec leur femme, avec le boulot, avec leurs rêves, avec leur vie. Et ces petites choses que tu appelles incongrues sont un peu le sel de tout cela. Un petit fumet surréaliste qui reflète un peu ma façon de voir la vie. Pour moi, ces choses ne sont pas des détails. Je suis content de les y avoir mises. Elles sont nécessaires pour que mon film ne soit pas seulement constitué d'histoires qui racontent la vie et les problèmes des gens. Depuis tout petit, j'adore regarder des choses ordinaires et y découvrir ce qui n'est pas ordinaire. J'aime la façon dont les gens parlent, les tics qu'ils ont. Tout cela, je l'enregistre dans ma tête et, d'une façon ou d'une autre, cela ressort dans mon travail d'écriture. Ces éléments, c'est un peu l'humanité des choses et des gens. Et c'est de cela que mon film est le reflet, j'espère.

 

C : Il y a un personnage qui fait un peu le lien avec tout le monde, mais dont on ne sait pas grand-chose. Qui est Windman et que fait-il là ?
T.B. : Windman est un personnage que je dessinais quand j'avais 17 ans. Il se reconnaît à ce qu'il apparaît toujours dans le vent, même si le reste du monde autour de lui n'est pas perturbé par un souffle d'air. Je l'appelais le superman des gens avec des petits problèmes. Windman a le don de sentir la tristesse des gens et cette tristesse le renvoie à sa propre mélancolie. Il est donc très malheureux avec son don. Je voulais qu'il soit très humain. Il a mal au dos, il rencontre une copine, etc... Dans le film, c'est le lien. Il provoque des événements, il résout des problèmes.. J'en ai peut-être fait un peu trop d'ailleurs mais si on sent que lui, il passe à travers tout cela comme le souffle du vent et la marque du destin, cela me suffit. Je n'ai pas envie de trop de supputation intellectuelle à son sujet. Pour moi, c'est un peu le courant poétique et aussi le courant fataliste du film. Windman, c'est le vent même, c'est le hasard, c'est le changement.

C : C'est aussi le seul personnage qui tombe amoureux dans ton film.
T.B. :
Oui, le vendredi pour lui est une mauvaise journée. Il a mal, il va chez le docteur, il marche dans la ville. Je voulais que le samedi soit un jour où il se sente mieux. Il est près des éléments qu'il aime : l'eau, le vent, sa petite amie...

 

C : Et à côté de ce bonheur paisible, tu places une histoire de mort assez horrible. C'est le seul vrai malaise que j'ai ressenti dans le film, cette histoire de virus ?
T. B.
: Je suis un enfant des années sida, je n'ai quasiment connu que cela. L'idée du virus est quelque chose qui est présent dans notre culture. Je ne sais pas vraiment d'où cela me vient mais c'est certainement quelque chose d'inconscient, une fascination de la mort. C'est parti du personnage de Chouky, un body artist qui crée avec son corps. Il est fasciné par la mort et il veut donc s'injecter ce virus qu'il est allé dérober à l'institut de médecine tropicale comme une expérience artistique. Et le pire qui pouvait se passer se passe. C'est sa soeur, la seule femme avec qui il a une relation, qui marche sur le tube et se coupe. Ceci dit, c'est une histoire parmi d'autres. D'ailleurs de suite après, on passe à autre chose avec Walter qui est heureux au bord de l'eau avec sa petite fille. Mon film, c'est cela : un kaléidoscope.

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