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Entrevue par Inès Rabadan

Publié le 01/05/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Il pleut des cordes, en ce matin d'avril au ciel plombé où nous nous rendons chez Inès Rabadan, rue Jourdan, près de la Porte de Hal. Au rez-de-chaussée d'une ancienne maison de maître, trois pièces en enfilade dominent une arrière-cour qui donne sur un jardin à l'herbe mouillée. Cabinet de travail assez sombre avec une bibliothèque remplie de livres du sol au plafond derrière un bureau où les dossiers qui s'empilent laissent entrevoir l'écran d'un Mac, cuisine et salon véranda où nous nous installons sur un canapé recouvert de tissu. Inès, pantalon de velours marron et pull de laine gris boutonné sur le devant, est coincée chez elle par le rhume qui oppresse Elsa, sa petite fille d'un an, laquelle tempête jusqu'à ce que votre serviteur lui prête attention.

Ines Rabadan, Réalisatrice

 

Lorsque nous faisons le clown devant elle, pendant qu'Inès nous prépare un café, elle se fend d'un sourire épanoui et tente, en vain, de sortir de son parc en bois pour toucher le zigomar qui joue à Palomar.
" Je me souviens de la première fois que j'ai été au cinéma mais ce n'était pas la première fois que je voyais un film, nous dit Inès en nous apportant une tasse de café bien noir et en surveillant du coin de l'oeil Elsa, puisque j'avais la télé. J'avais six ans lorsque j'ai vu Jonathan Livingstone, le goéland (sa voix descend de deux octaves et elle est secouée d'un rire qui ne manque pas d'intéresser Elsa). Mon père était assez cinéphile, je me souviens de Charlot mais à la télé, en tout cas avant l'adolescence. Un des premiers films qui m'a marqué c'est la Dolce Vita, qu'ont suivi d'autres films de Fellini. Mais l'amour que mon père portait à ces films a dû jouer. Par rapport à la puissance du cinéma, Fellini est l'un de ces réalisateurs qui m'a ébloui. Sinon, j'ai vu plein de films aux ciné-clubs de FR3 et Antenne2 que mon père nous encourageait à voir malgré l'heure tardive ".
Elsa, se sentant exclue du dialogue, arrive à se blottir sur la poitrine de sa mère tout en regardant votre serviteur avec curiosité : kicéçuila ?
J'étais décidée à devenir réalisatrice de cinéma, poursuit Inès, mais je me disais que j'avais bien le temps, j'avais envie de réfléchir, je n'étais pas très pressée et j'ai donc entrepris des études de philologie romane à l'ULB. Lorsque je suis arrivée à l'IAD, après l'université, c'était atroce, violent, imagine huit heures de cours non-stop. En plus j'étais hyper-cinéphile, j'avais consacré mon mémoire à Robbe-Grillet, assimilé la théorie et l'écriture cinématographique. Surtout, il ne fallait plus commenter mais réaliser, faire. C'est pourquoi je ne regrette pas du tout l'IAD. J'y ai rencontré plein de gens, notamment Denis Delcampe, producteur et ami. J'ai fait un documentaire comme travail de fin d'études et je n'en ferai plus avant un certain temps. Je trouve le documentaire plus dur que la fiction. La réalité se dérobe, elle est plus forte que toi, tu ne la maîtrises pas. Je trouve ça super-dur. La vraie difficulté c'est que le réel t'échappe"
Comment signifier un réel qui s'impose malgré nous ? Aaaatchiiii. Elsa éternue. Vivante et bien réelle, merci docteur L. Lorsque nous lui parlons de l'écriture cinématographique chez des documentaristes comme Flaherty, Alain Resnais, Edmond Bernhard ou Thierry Knauff ; elle nous précise :
Ines Rabadan, Réalisatrice

 

"Bien sur, je ne parle pas ici de reportage télévisuel, ni de capter la réalité comme un flux qui t'est donné, en un mot du naturalisme. Je pense à Chris Marker pour lequel j'ai une grande admiration et ça me donne le sentiment qu'il faut une maturité que je n'ai peut être pas encore.
"Étant encore à l'IAD, j'ai déposé à l'AJC le projet d'une fiction un peu loufoque. Anouchka De Warichet nous a reçu avec Yves Hanchar et tous deux semblaient enthousiasmés par le projet. Ils ne nous ont jamais rappelés et nous non plus. Des années plus tard, Anouchka nous a dit : on a jamais compris pourquoi vous n'êtes jamais revenu (rires). Sortant de l'école, j'ai recroisé Anouchka et je lui ai confié le projet de Vacance que l'AJC a produit. Ensuite, je suis partie à Rome, comme stagiaire à la RAI... La vérité, c'est que j'avais très envie d'habiter Rome. J'ai suivi des tournages de films italiens parce qu'à la RAI c'était le chaos total. Le jour où je suis arrivée à Rome, Fellini entrait à l'hôpital, on ne parlait que de ça. Quinze jours après, il est mort et on a tous été au grand Studio 5 de Cinecittà défiler devant son cercueil."
En rentrant à Bruxelles, Inès s'investit à l'AJC, au comité de lecture, à l'atelier d'écriture, de vidéo et à la présidence. Elle écrit le Jour du miroir, un scénario de long métrage qu'elle ne tourne pas, réalise Surveillez les tortues, écrit pour Brigitte Dedry et Arno Hintjes et qui fait sensation au Festival de Clermont-Ferrand, et lance Need Productions.
Savoir, au départ pour qui on écrit, c'est l'idéal", précise-t-elle tandis qu'Elsa a une quinte de toux qui brouille la bande son. Inès lui tapote le dos. Elle vient d'achever la réalisation de Maintenant, un court métrage dont nous vous parlons longuement par ailleurs à la rubrique tournages de ce webzine. Puis, elle écrit Belhorizon, scénario de long métrage qu'elle pense approfondir avec le concours de Laurent Brandebourger.
Il y a quelques centaines de pages qui attendent d'être relues et retravaillées".

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