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Françoise Levie raconte son expérience japonaise

Publié le 01/09/2005 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Événement

Au Japon, un festival de films pas comme les autres

Le Friendship Film Festival

Françoise Levie, choisie parmis les réalisateurs belges francophones, est invitée au Japon pour une étrange aventure. Elle nous la relate avec photos souvenirs à l'appui. "Qui en Belgique a entendu parler du Friendship Film Festival organisé en marge de l’Expo Universelle de Aichi au Japon ?
Très peu de monde… à l’exception des deux heureuses bénéficiaires qui eurent la chance de représenter la Belgique.

Françoise Levie raconte son expérience japonaise

Le concept

 

Vingt et un réalisateurs, dont dix femmes, appartenant à des pays aussi différents que la Turquie, le Nigeria, l’Inde, Cuba, la Lithuanie, le Cambodge, la Jordanie sont invités à participer à un Festival organisé par la préfecture de Aichi, celle-là même qui gère l’Expo universelle de 2005, avec, non pas un film déjà terminé, mais un film à réaliser sur place au Japon avec pour thème général l’Amitié. Tout commence par un e-mail envoyé par l’Ambassade de Belgique à Tokyo relayé par le CGRI à Bruxelles, puis par le WBI. « Recherchons pour représenter la Belgique un réalisateur domicilié à Waterloo ou dans le Brabant Wallon... » Habitant Nivelles, j’envoie plusieurs de mes documentaires. Très vite, un courriel m’apprend que ma candidature a été retenue. Au fil des mois, les informations se précisent. Chaque réalisateur est invité avec un collaborateur de son choix, assistant ou cameraman. J’en parle à Anne Christophe, la monteuse avec qui je travaille. Elle est partante elle aussi.

 

A l’aéroport de Chubu Centrair flambant neuf, terminé juste à temps pour l’Expo Universelle, nous sommes accueillies par une des productrices du Friendship Film Festival, Kumi Sato, qui en route nous révèle l’ensemble du projet. Chaque équipe de deux personnes est prise en charge par une des 19 villes situées dans la province d’Aichi où se déroule l’Expo. Notre ville à nous, c’est Nagakute, jumelée depuis 1992 à Waterloo, une ville de 40.000 mille habitants qui partage avec Waterloo la fierté de posséder un champ de bataille célèbre, celui de Komaki. Ces souvenirs guerriers ne sont pas le seul point commun entre les deux villes. Nagakute est une petite ville agréable, plutôt résidentielle, au passé agricole, que la plupart des habitants quittent chaque matin pour aller travailler à Nagoya, la troisième ville du Japon après Tokyo et Osaka.

 

Sans nous donner le temps de nous rafraîchir ou de poser nos bagages, on nous mène droit à la Mairie de Nagakute où nous rencontrons Tanaka Kenji, l’adjoint du maire qui s’occupera de nous. L’heure est aux formalités. Nous commençons par signer un contrat de réalisation et de garantie de bonne fin du film, ainsi qu’une assurance santé ! Avec une rigueur toute japonaise et un souci du détail, Kumi Sato nous remet notre défraiement ainsi que la moitié de notre salaire. Le solde, nous le toucherons à la fin du film. Puis c’est au tour du matériel. Nous recevons en prêt une camera Sony PD 170, un trépied, une torche sur batterie, 15 cassettes DVCam de 40 minutes… Un banc de montage Final Cut Pro est, paraît-il, déjà installé dans ma chambre.
Nous faisons aussi la connaissance de Yusuhe Haga, un étudiant de l’Université de Nagoya, futur ingénieur du son qui nous assistera et prendra en charge le montage son et le mixage.

 

Un vrai défi

Pour Anne et moi, l’aventure tient à la fois de la découverte d’un pays, (c’est notre premier voyage au Japon), d’une prouesse technique (Anne est plutôt habituée à travailler sur Avid ou Lightworks et je n’ai jamais tenu la camera auparavant), d’un défi créatif et d’un challenge temps. Vingt et un jours pour réaliser un film de trente minutes, c’est à dire repérer, écrire un scénario, filmer, monter… Gageure qui n’est possible aujourd’hui que grâce au digital. Quant au contenu, il est relativement souple, à l’exception d’un élément incontournable devant impérativement figurer dans le film, la Fête Nationale de chaque pays, célébrée à l’Expo Universelle, avec dans le cas de la Belgique la visite du prince Philippe.

 

Les familles d’accueil

 

Autre élément imposé, notre logement chez des habitants de Nagakute qui se sont portés volontaires, il y a plusieurs mois déjà. Anne loge chez les Takahashi, dont le chef de famille, Toshi, travaille pour Toyota, tandis que sa femme, Shoko, est hôtesse de l’air quelques jours par mois pour Japan Airlines. La famille Takahashi a vécu plusieurs années aux Pays-Bas et est plus internationale que « ma » famille qui a toujours vécu à Nagakute et dont l’anglais est très approximatif ! La grande particularité de la famille Mizuno, chez qui je loge, est son magasin de vélos situé sur Green Road, le boulevard principal de Nagakute. Comment résister à un magasin de vélos quand on est Belges? C’est en bicyclettes que nous ferons une partie de notre film ! « L’idée m’est venue à la suite du séjour d’une équipe de foot venue du Cameroun qui a été logée dans des familles japonaises, explique Junji Kimata, le directeur du Friendship Film Festival. Cela s’est tellement bien passé que j’ai eu envie de renouveler l’expérience dans un autre domaine… » Rien n’est laissé au hasard. Un bataillon d’interprètes et un roulement de chauffeurs, tous volontaires, est mis en place pour nous emmener sur les lieux de tournage. Il s’agit d’une véritable coproduction entre les villes d’accueil, qui offrent par l’intermédiaire de ses habitants interprètes et logement, tandis que les municipalités assurent véhicule et chauffeur. L’organisation centrale, le Friendship Film Festival, fournit l’infrastructure, le matériel technique et la partie financière. Une fois l’opération terminée, le Friendship Film Festival disposera de 21 films qui montreront chacun une facette de l’Expo Universelle d’Aichi ainsi qu’une interprétation personnelle des liens amicaux qui se sont tissés entre le pays invité et le Japon. Ces films seront projetés au mois de septembre dans un des pavillons de l’Expo 2005. Ils seront ensuite diffusés sur la NHK (la chaîne nationale japonaise).

 

Vision de Nagakute

 

Nous découvrons pêle-mêle les champs de bataille dont il ne reste pas grand chose, la cérémonie du thé, le goût de l’octopus cru, les mangas érotiques, les pâtes au sarrazin, le thé vert en bouteille. Nous filmons un jardin d’enfants, une vieille dame qui fabrique des oligami, des objets en papier plié, la vie quotidienne du magasin de vélos, une cérémonie boudhiste, les rizières sous la pluie. Nous découvrons trop tard, quand le film est déjà en montage, que Nagakute est la résidence d’été des sumos de Nagoya. Ce sera notre seul regret.

 

Deux Européennes en kimono

Mon intérêt et ma quête d’un Japon traditionnel dans la vie d’aujourd’hui donne à Miyuki, mon hôtesse, l’idée de nous faire essayer le kimono. Dans un grand déballage de papiers de soie et d’odeur de naphtaline, nous quittons jeans et tee-shirts pour revêtir chacune à notre tour les sous-vêtements de coton, les soquettes blanches à orteils, le premier kimono d’un ton plus pâle, et enfin le second, d’une couleur plus soutenue. Miyuki noue avec peine autour de nos tailles les liens qui retiennent chaque pièce de tissu. Nous en comptons au moins une quinzaine ! Le moment le plus délicat est la pose du obi, cette haute ceinture colorée, façonnée en nœud à l’arrière, qui donne à la silhouette ce maintien si caractéristique. Une fois le travail terminé, nous osons à peine nous regarder ! Nous nous filmons méthodiquement chacune à notre tour, impressionnées par la rigueur et le rituel de l’habillage.

 

Le Pavillon de la peinture belge

À l’Expo Universelle d’Aichi, notre première visite est pour le Pavillon belge. L’ensemble est grandiose, 100 mètres de long, huit mètres de haut… « Le thème principal de l’Expo étant la Sagesse de la Nature, nous avons cherché à raconter une histoire à partir de la manière dont certains peintres belges ont décrit la nature », nous ont expliqué François Schuiten et Alexandre Obolensky avant notre départ. Les tableaux agrandis ont parfois été découpés sur plusieurs plans et, dans le cas de Knopff et de Delvaux, des images animées sont projetées en boucles sur des tulles. Une véritable scénographie pictoriale et lumineuse qu’accompagne la musique originale du compositeur Bruno Letord. Un rideau d’arbres d’Emile Claus se mêle à un paysage à la de Gouve de Nunques. Une lumière d’orage éclate sur un arbre au tronc doré, en hommage à Constant Montald. Sur une dune verte apparaissent successivement les sept femmes de Memories tenant une raquette à la main. Illusion ? La première tourne la tête, regarde un bref instant vers les visiteurs, se détourne. Plus loin, une grève de Spillaert se fond dans l’Empire des Lumières de Magritte. Le vaste panorama s’achève sur un jardin de Paul Delvaux. Quatre femmes immatérielles surgissent à tour de rôle. Les visiteurs affluent, marchent les yeux vissés sur l’énorme toile peinte. Le clin d’œil d’une des héroïnes de Knopff retient l’attention. Des jeunes filles s’exclament, tentent de saisir sur leur téléphone portable une des héroïnes de Delvaux.

 

La Fête Nationale belge

Dans l’immense espace de l’Expo Dome, 800 enfants des écoles de Nagakute accueillent en chantant le Prince Philippe et une délégation d’hommes d’affaires belges. La cérémonie est impressionante. Les drapeaux nationaux, belge et japonais, sont hissés, tandis que l’orchestre philarmonique de Nagakute joue les hymnes nationaux. A la sortie du prince, des milliers de drapeaux belges et japonais claquent dans l’air. Le lendemain, nous filmons le prince Philippe, particulièrement détendu et souriant, qui est reçu officiellement par le maire de la ville de Nagakute, Mr Kato Umeo, à qui il remet le Grand Ordre de Léopold. Au moment de quitter la pièce, le Prince est rejoint par un Japonais d’âge mûr qui, très cérémonieusement, lui tend sa carte de visite.

 

Post-production

Pendant une semaine, nous ne quittons pas ma chambre du Mizuno Bicycle Shop où Anne monte le film tout en découvrant les différences de Final Cut Pro. De temps à autre, histoire de nous changer les idées, nous filons en face, chez Denny’s, pour un café glacé ou des Tempura de légumes. Nous ne sortirons que pour enregistrer le commentaire du film à l’Université de Nagoya qui possède un studio. Et, inévitablement, nous comparons notre situation à celle des candidats du Concours Reine Elizabeth répétant dans leurs maisons d’accueil…

 

D’autres équipes

Dans un restaurant hawaien de Nagoya, nous rencontrons d’autres réalisateurs et leurs équipes qui sont au Japon en même temps que nous. Les Tunisiens, à court de temps pour terminer leur montage, ont décliné l’invitation. Le Vénézuela est représenté par deux jeunes femmes qui achèvent un Master en cinéma à l’Université Nihon de Tokyo. Elles séjournent à Toyohashi City depuis quelques jours et sont stupéfaites de la qualité de vie de leur ville d’accueil en comparaison du rythme de Tokyo. George Bleam est un réalisateur camerounais. Il s’est fait faire de superbes cartes de visite à l’effigie de l’Expo d’Aichi et de sa ville d’accueil, Tsushima. N’ayant pu venir avec un cameraman de son pays, il travaille avec un opérateur japonais. Bounkeut Vongxaya travaille comme réalisateur pour la télévision nationale laotienne. Il ne tarit pas d’éloges sur la ville de Tahara et la gentillesse de ses habitants. Il rentre à Vientiane demain matin et dans le flash des appareils digitaux, remet solennellement à Junji Kimata, le directeur du Festival, la cassette de son film terminé.

 

Si personne ne révèle le contenu exact de son film, chacun semble avoir été touché par la grâce japonaise et par la chaleur de l’accueil des habitants d’Aichi. Chaque équipe paraît certaine aussi de remporter le premier prix… Le résultat de l’opération Friendship Film Festival réside sans doute là, dans cette découverte individuelle de la culture japonaise et dans la conviction de chacun d’avoir touché l’âme même du Japon. Les vingt et un films seront projetés les 13, 14 et 15 septembre dans un des pavillons de l’Expo d’Aichi. Un jury, composé d’acteurs de cinéma, de réalisateurs et de critiques attribueront alors les trois prix de l’Amitié. Qui l’emportera ? La Suisse et la ville de Shinshiro ? Cuba et la ville de Iwakura ? La Pologne et la ville de Gamagori ? L’Inde et la ville de Kariya ? Ou encore la Belgique et la ville de Nagakute ?"

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