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Julie Van Der Kar – Festival Alimenterre du 13 au 17/09/2022

Publié le 09/09/2022 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Le festival Alimenterre, organisé par SOS Faim, se déroule à Bruxelles et en Wallonie du 13 au 17 septembre 2022. Depuis bientôt 15 ans, ce rendez-vous annuel sensibilise les citoyens aux défis de l’agriculture paysanne et de l’alimentation saine. L’Organisation des Nations unies (ONU) a rappelé cet été que la lutte contre la malnutrition perd du terrain depuis la pandémie, un peu plus de 29% de la population mondiale serait actuellement en situation d’insécurité alimentaire. À travers le prisme du cinéma, il s’agit d’aborder de nombreuses problématiques universelles en offrant un espace de rencontres et de discussions unique à Bruxelles. Parfois complètement déjantée, parfois plus sérieuse, la sélection 2022 offre son lot de surprises en visant un public plus large et diversifié que par le passé. L’équipe de Cinergie est allée à la rencontre de Julie Van Der Kar, la coordinatrice du festival.

Cinergie : Qu’est-ce que le Festival Alimenterre ?

Julie Van Der Kar : Le festival Alimenterre est un festival de films qui traitent des enjeux d’agriculture, d’alimentation, de la manière de cultiver la terre, d’habiter le monde. Il s’agit du rapport au vivant par des films, par des rencontres, par des ateliers, par des moments festifs à Bruxelles, en Wallonie et dans certains pays d’Afrique.

 

C. : Où s’organise le festival Alimenterre vu le chantier du SEE-U qui, malgré la non-fermeture du Kinograph, n’était plus idéal pour accueillir votre événement ?

JV : Cette année, le festival a lieu au cinéma Galeries pendant cinq jours, mais on a aussi envie de décentraliser un maximum le festival. Comme on le fait également en Wallonie avec des partenaires qui ont la charge de la programmation locale, on a envie de décentraliser et de travailler dans les quartiers. Pourquoi des décentralisations ? Pour sortir justement des salles de cinéma et aller vers des publics plus éloignés des lieux culturels. On organise des décentralisations à Molenbeek et à Laeken. Ce phénomène va s’amplifier à l’avenir. Le festival est également organisé en République Démocratique du Congo, au Sénégal, au Burkina Faso et prochainement au Mali.

 

C. : Quel est le lien entre SOS Faim et le festival Alimenterre ?

JV : Le Festival Alimenterre est organisé par SOS Faim avec de nombreuses organisations partenaires. Des associations plutôt issues des milieux culturels, académiques ou associatifs. SOS Faim est une ONG de développement active dans la lutte contre la pauvreté et la faim en milieu rural en Afrique et en Amérique latine. Sa mission principale est de lutter contre le paradoxe de la faim. Il faut savoir que 900 millions de personnes souffrent de la faim. Parmi celles-ci, deux tiers sont des paysans, des éleveurs, des gens qui nous nourrissent.

 

C. : Quelle est la grande nouveauté de l’édition 2022 au niveau de la programmation ?

JV : Cette année, on avait envie de diversifier les genres cinématographiques et de mettre la science-fiction à l’honneur. On a un partenariat avec le BIFFF qui nous a proposé le film Soleil Vert (1966) et une sélection de courts métrages. C’est une autre façon de sensibiliser et de poser ces enjeux d’alimentation et d’agriculture. On parlera cette année de la question de la surpêche en Afrique. On évoquera les questions de décolonisation. On discutera de l’avenir, de nos enjeux d’agriculture et d’alimentation. Avec Soleil Vert, c’est l’occasion de parler de l’avenir de nos systèmes alimentaires. On parlera de nos manières d’habiter le monde au sens large. On parlera de comment éviter l’exode rural et réinvestir nos campagnes. On parlera du rôle des femmes aussi dans l’agriculture.

 

C. : Quels sont les films belges mis à l’affiche du festival 2022 ? En quoi ces films sont-ils importants pour prendre conscience de ces problématiques ?

JV : Il y a quelques films belges cette année, notamment le film Z.U.T. – Zone Urgente à Transformer (2021), de François de Saint Georges, en avant-première. Ce film traite de la question des pesticides en région montoise. Il s’agit de l’histoire de citoyens qui se mobilisent et résistent à l’implantation de la consommation et de la production d’engrais chimiques. Cela fait écho à notre campagne de sensibilisation sur les pesticides comme obstacle à la transition écologique.

Il y a aussi Mauvaise Graine (2021), un court-métrage belge (de Nadège Herrygers), qui fait partie de la collection « On s’adapte », co-produite par Canal+. Mauvaise Graine traite de la question de l’appropriation du vivant et du trafic des graines. Donc, un film d’anticipation sur l’avenir du commerce du vivant.

Il y a Dremmwel qui est un film de Pierre Vanneste sur la question de la surpêche en Afrique et en Bretagne. C’est un très beau film en noir et blanc de 24 minutes évoquant l’exploitation des ressources halieutiques (nb : les réserves halieutiques identifient le nombre de poissons en taille et âge de se reproduire sans menacer l'équilibre biologique de l'espèce en tombant en dessous d'un seuil).

 

C. : Quels sont les grands moments de rencontres et de partages de cette édition 2022 ?

JV : Il y a deux rencontres cette année qui font écho avec l’actualité. La première, c’est une rencontre en collaboration avec le festival Nourrir Bruxelles. Elle traite de la guerre en Ukraine et des solutions à mettre en place face à la crise alimentaire. À savoir la promotion de l’agroécologie, au niveau belge comme international. La solution n’est pas de produire plus mais de produire autrement.

La deuxième grande rencontre intéressante traite de la question de la relocalisation, ces enjeux dont on parle beaucoup qui sont aujourd’hui récupérés par l’extrême-droite. Comment parler de la relocalisation sans nourrir l’extrême-droite et sans être récupéré par des mouvements d’extrême-droite ?

 

C.: Comment se compose le jury du festival Alimenterre ? Quel est l’objectif des prix remis par SOS Faim ? Comment faire pour diffuser soi-même un film sélectionné au festival ?

JV : Le jury de cette année est composé de quatre personnes issues du monde médiatique, culturel et cinématographique. Parmi ceux-ci, Frank B.Mweze, un producteur, réalisateur et promoteur culturel bien connu en RDC. C’est important pour rester fidèle à nos valeurs de croiser les regards du Nord et du Sud. Il y a également Alexander Weiss, producteur chez Fox the Fox Production (cinéma de fiction et documentaire). Anne Feuillère, journaliste et programmatrice au Cinéma Nova, intègre également ce jury en compagnie de la journaliste Gwenaëlle Dekegeleer. L’objectif des prix est de valoriser certains films en leur offrant une caisse de résonance supplémentaire et motiver nos nombreux partenaires à les diffuser à leur public par la suite. Des kits de projection Alimenterre sont mis à disposition pour pouvoir diffuser soi-même un film sélectionné au festival. Que vous soyez une association, un groupe de citoyens ou un professeur, on peut vous épauler dans votre démarche de sensibilisation.

 

C. : D’ailleurs, la sélection des films est totalement originale au festival Alimenterre ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus de sélection mis en place par SOS Faim ?

JV : Il faut savoir que le festival est organisé et soutenu par de nombreux volontaires. Les bénévoles font partie intégrante du processus de sélection du festival. Chaque année, on sélectionne une trentaine de films et documentaires parmi une multitude de projets qui nous sont proposés. Ensuite, chaque participant au processus de sélection visionne l’ensemble des films et une réunion débat va permettre de définir la programmation finale du festival. En plus de membres de l’équipe de SOS Faim, les bénévoles et une poignée de professionnels du cinéma votent pour élire les films de manière collégiale. Toute l’originalité de la démarche réside dans la démarche collégiale du choix de la programmation.

 

C. : Plusieurs films belges ont marqué le festival et les esprits par le passé ? Lequel vous revient spontanément en mémoire ?

JV : Si je dois en citer un, comme ça, c’est le film Sur le Champs, réalisé par Michaël Antoine, Nicolas Bier et Jean Simon Gérard. Il s’agit d’une co-production entre la Belgique, le Burkina Faso et Madagascar qui traite des alternatives à l’agro-industrie et qui promeut l’agriculture familiale durable. C’est rare de voir des films qui ne font pas que dénoncer mais qui proposent également des alternatives viables et réalisables.

 

C. : Il y a un ovni venu des Pays-Bas dans la programmation 2022. Il s’agit de White Cube (2021), de Renzo Martens. Comment faut-il appréhender ce film ?

JV : White Cube est un film particulier qui nécessite une bonne dose de second degré. Il s’agit d’un vrai-faux documentaire sur les questions de décolonisation qui teste l’esprit critique des citoyens. Ce projet renverse les rapports de force entre le Nord et le Sud. C’est une démarche singulière où le réalisateur demande aux paysans congolais s’ils préfèrent être agriculteurs ou devenir des artistes pour gagner leur vie. De fil en aiguille, il encourage les agriculteurs à créer des sculptures en 3D et à les reproduire en chocolat afin de les vendre. Les participants finissent par vendre leurs créations à New-York à des prix exorbitants afin de récupérer les terres volées par l’agro-industrie aux éleveurs. C’est un film qui secoue, qui peut être mal compris mais qui soulève plein de bonnes questions.

Le site du festival Alimenterre 

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