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Inver Invest : Jacques-Henri Bronckart

Publié le 08/03/2007 par Thierry Horguelin / Catégorie: Dossier

Fondé en 1999 par Jacques-Henri et Olivier Bronckart, Versus Production n’est déjà plus « la petite boîte qui monte ». En sept ans d’activité, cette société de production établie à Liège s’est affirmée comme le fer de lance d’une nouvelle génération de cinéastes - où l’on retrouve Bouli Lanners, Micha Wald, Olivier Masset-Depasse, Delphine Noels et Virginie Gourmel, tous porteurs d’univers singuliers qui ont su trouver leur public. Les frères Bronckart ont su faire grandir Versus à son rythme, étape par étape, en restant fidèles à quelques principes : ne jamais se mettre en situation d’avoir à produire pour produire, parier sur la continuité en suivant des auteurs auxquels ils croient depuis le court jusqu’au long métrage, opérer des prises de risque réfléchies, accorder les moyens aux fins, l’économie financière à l’économie esthétique et narrative des projets dans une bonne intelligence de la personnalité de leurs auteurs. Dès le départ également, la maison s'est associée à des coproductions, dont la dernière en date est Indigènes de Rachid Bouchareb. Enfin, Versus a créé en 2005 sa propre société de tax shelter, Inver Invest. Cinergie s’était entretenu l’année dernière avec Jacques-Henri Bronckart. Aujourd’hui, il tire pour nous le bilan provisoire du tax shelter, de ses avantages et de ses possibles dérives.

Inver Invest : Jacques-Henri Bronckart

Jacques-Henri Bronckart : Le tax shelter est devenu un élément fondamental dans le financement des films. Le nombre de films produits a augmenté, et le mécanisme finance le cinéma d’auteur et pas uniquement les grosses productions, ce qu’on craignait au départ et qui ne s’est pas vérifié. Cela dit, il s’agit d’un mécanisme très complexe relevant de l’ingénierie fiscale et pour ma part, je plaide pour la mise en place d’une procédure automatique simplifiée, sur le modèle du système luxembourgeois, qui est plus pratique à cet égard. Mais surtout, mon sentiment aujourd’hui est que le tax shelter est une usine à gaz dont les producteurs ne recueillent que des miettes.

Revenons à la base. Le tax shelter est un mode de financement très particulier puisqu’il s’agit d’un financement de gré à gré. Il faut donc aller chercher les investisseurs un à un et signer une convention avec chacun d’entre eux. C’est donc un travail en soi, qui implique des rapports très différents de ceux qu’on a avec un partenaire de financement traditionnel (distributeur, chaîne de télé ou fonds d’aide). Ces investisseurs n’ont pas la même culture économique et cela implique un autre discours, car le cinéma en général, et le cinéma belge en particulier, n’est pas d’emblée un type d’investissement qui les rassure.

Dès le départ donc, se sont créées des structures faisant office d’intermédiaires entre les producteurs et les investisseurs ; et de notre point de vue à l’époque, ça paraissait une bonne chose. Le cœur de  l’activité d’un producteur, au-delà du financement des films, c’est de développer des projets et de les suivre avec leurs auteurs, et on se voyait mal commencer à démarcher les investisseurs. C’est encore une fois un métier à part entière qui demande énormément de temps et d’énergie.

Nous avons financé Ultranova de Bouli Lanners avec une société intermédiaire et rien à dire, ils ont trouvé les fonds qu’on avait prévus et dans un bon timing. Du côté des Films du Fleuve, ils ont financé Le Couperet et L’enfant, et tout s’est bien passé. De plus, cette société appliquait un principe que je trouvais assez judicieux, et qui était de dire : nous prenons 15% de commission, mais nous mettons notre rémunération en garantie pour couvrir le risque de l’investisseur. La production d’un film implique un risque financier, nous escomptons des recettes, mais si nous nous sommes trompés dans notre expertise, c’est nous qui allons vous dédommager. En première garantie c’est le producteur mais si le producteur décline cette garantie, c’est l’intermédiaire qui est tenu de la couvrir.

Très rapidement, le succès aidant, les conditions ont évolué et se sont radicalisées. C’est d’abord devenu : on va vous trouver de l’argent, mais vous devez garantir notre rémunération, puis garantir le risque de l’investisseur, et puis lui offrir un rendement garanti et lui donner 200 % du pro rata de son investissement. Et progressivement, on s’est aperçu qu’il y avait une déperdition d’argent très importante et qu’entre les apports bruts et les apports nets, l’écart devenait énorme. Au bout du compte, ces nouvelles exigences reviennent à neutraliser le risque de l’investisseur. L’intermédiaire n’assume plus vraiment sa fonction, il ne pense qu’au rendement et devient un simple revendeur d’argent, et qui revend de l’argent très cher.

Enfin, on s’est rendu compte que certaines de ces sociétés intermédiaires en arrivaient à se présenter comme des producteurs, en se disant : pourquoi passer par un producteur alors que nous pouvons le faire en direct ? Sauf que, dans les faits, ils n’assument que la production exécutive, et non l’aspect créatif de la production. Or produire, même avec le tax shelter, même en étant minoritaire, ce n’est pas s’occuper uniquement de la gestion des dépenses.

On se retrouve donc face à une situation de distorsion de concurrence de la part des intermédiaires, et à un problème de légitimité et de confiance. Il est impossible de savoir dans quelle mesure ces sociétés font passer leurs propres projets avant ceux des producteurs qui font appel à leurs services. Il y a eu pas mal de discussions à ce sujet au sein de l’UPFF, et avec mon frère Olivier nous avons beaucoup réfléchi et nous en sommes arrivés à la conclusion qu’il devenait nécessaire de mettre sur pied notre propre structure de tax shelter pour ne pas se retrouver à la traîne. Les projets des Films du Fleuve et les projets Versus présentaient une diversité suffisante, nous avions une bonne connaissance du mécanisme, la chose était donc possible.

Inver Invest a été lancé en novembre 2005, pour compléter le financement de Cages d’Olivier Masset-Depasse. Depuis, on a effectué le financement de Voleurs de chevaux de Micha Wald, d’Où est la main de l’homme sans tête de Stéphane et Guillaume Malandrin, des Sapins bleus et de Mon colonel, deux coproductions des films du Fleuve. D’autres films sont en préparation. Nous avons atteint l’objectif qu’on s’était fixé : financer correctement nos projets, en faisant en sorte que le maximum des fonds recueillis soit réellement affecté aux films.

Aujourd’hui, si l’on fait le bilan, on peut distinguer trois manières d’envisager le tax shelter : les producteurs qui le font en direct, les sociétés intermédiaires ou de conseil qui sont liées au secteur et qui ont été mises en place pour renforcer ce secteur, et enfin les sociétés purement financières qui ont vu le jour lors de l’avènement du tax shelter et dont l’unique but est d’engranger le maximum de bénéfices.

Le but du tax shelter n’est pas d’enrichir les intermédiaires mais de faire tourner l’économie du cinéma et d’en consolider l’industrie. Le risque, si le mécanisme continue à dériver, c’est de voir le système imploser dans deux ou trois ans. Or, le tax shelter est devenu une nécessité, puisqu’il représente 30 à 35 % du financement de nos films. Sa disparition serait un cataclysme pour notre économie, pour la vitalité et la créativité de notre cinéma. Enfin, n’oublions pas que tous nos voisins ont réagi très rapidement à notre tax shelter en développant des mécanismes protectionnistes de relocalisation des tournages et des post-productions (comme en France) ou en ouvrant et en adaptant leurs systèmes pour être plus compétitifs (comme le Luxembourg). Aujourd’hui, nous devons nous mobiliser pour sensibiliser les politiques à l’importance de ce dossier et le faire évoluer vers une simplification du système tout en lui assurant une réelle pérennité.

 

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