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Je suis partie dans les bois de Marie-Eve de Graeve, en compétition officielle au BAFF

Publié le 16/11/2023 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Le pouvoir des mots

Traductrice, écrivaine, Marie-Eve de Graeve avait, avec son film précédent, réalisé un portrait de l’autrice Grisélidis Réal. À nouveau, avec ce petit film très court, elle scrute le langage verbal et son pouvoir d’évocation. Qu’est-ce qu’un texte ? Qu’est-ce qu’un comédien ? Qu’est-ce que le cinéma ? Que de questions très riches et profondes qu’elle aborde en quelques minutes pour les lancer devant nous en quelques plans. Un coup de dé simple, mais vif. 

Je suis partie dans les bois de Marie-Eve de Graeve, en compétition officielle au BAFF

 

En plan fixe, devant un micro, le célèbre comédien français Denis Lavant répète une phrase désormais célèbre de « Walden ou la vie dans les bois » d’Henry David Thoreau, qui résume toute l’entreprise de l’écrivain américain. Et cette phrase, il la prend à bras le corps, la répète, la malaxe, la fait sienne tandis que la caméra attentivement l’écoute. Et puis la caméra le quitte pour se glisser elle-même dans les bois tandis que les mots de l’auteur dit par le comédien continuent de s’élever, se répéter, se mélanger dans une sorte de montage sonore qui en souligne toute la beauté et la profondeur. On serait donc passé des mots, de leur évocation d’un monde au monde lui-même désormais sous nos yeux, comme convoqués par la parole elle-même. En plans rapprochés, tantôt fixes, tantôt en mouvements, à travers des plans découpés de feuilles, branches, bouts de lacs, ou des plans plus larges d’ensemble, la forêt se livre par segments, éclats, au fur et à mesure que les mots résonnent pour se donner peu à peu à voir, comme un puzzle recomposé. Dans ce passage des mots aux choses qu’ils désignent se dessine toute la question de notre rapport au langage verbal. Car les mots, comme le cinéma, ont ce pouvoir de faire surgir les fantômes, de donner corps à l’immatériel, de rendre l’ailleurs présent. Si le procédé semble un peu illustratif, il a aussi le mérite d’aller à l’essentiel.  Alors, peut-être ce dont parle Thoreau dans ce passage, « la moelle » de la vie, son nerf qu’il va chercher dans les bois, c’est ce que nous ramène ici Marie-Eve de Graeve, « la moelle » du langage, « l’essentiel » du cinéma ?

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