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Jean-Paul Comart, comédien

Publié le 01/03/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Tout le monde se souvient du policier dégingandé avec un accent belge à couper au couteau qui marque de son empreinte les scènes d'action de la Balance, le thriller de Bob Swain de 1982. Jean-Paul Comart, qui interprétait ce flic, est toujours aussi efflanqué, volubile, farceur et chaleureux. Depuis qu'il vit en France, Jean-Paul Comart enchaîne les rôles pour Bertrand Tavernier (La Vie et rien d'autreL627L'Appat), Gérard Krawczyck (Je hais les acteurs), Yves Boisset (Le Pantalon), etc. Il est récemment revenu en Belgique, à Bruxelles, pour tourner dans Regarde-moi, le long métrage que monte actuellement Frédéric Sojcher avec lequel il avait tourné en 1985 Karmann Ghia, un premier court métrage. Dans Regarde-moi, il incarne un metteur en scène impliqué dans des événements tragiques qui se sont déroulés en Grèce et qui se sert d'une pièce de théâtre pour découvrir la vérité.

Lorsque votre serviteur lui demande s'il a toujours eu la vocation du spectacle, il pince la anse de sa tasse de café noir - auquel il a ajouté un demi sucre - entre le pouce et l'index, et marque une pause vaguement étonnée. Le genre de surprise qu'un chef d'orchestre éprouve en découvrant un retardataire au beau milieu de la répétition de l'adagio d'un concerto de Mozart !

Depuis l'enfance il a toujours été le bouffon de la famille.

Je me suis découvert ce don tout gamin, explique-t-il. Déjà chez les scouts, au feu de camp, je faisais des sketches, j'improvisais et mettais en scène mes copains qui me donnaient la réplique. Ensuite j'ai continué en grandissant. Puis, j'ai fait des études d'éducation physique et là j'avais un professeur qui enseignait l'expression vocale et corporelle. Elle m'encourageait en voyant que ça me plaisait et amusait mes camarades. J'ai donc continué à faire des imitations de professeurs lors de soirées événementielles. C'était aussi une façon d'exister au sein du groupe, d'être aimé, somme toute, parce que c'est tout ce qu'on cherche, être respecté voire admiré. C'était ma façon à moi d'exister. Je passais à travers tout parce que j'arrivais, par le rire, à séduire. Ça a démarré comme ça. Et je me rappelle, de façon très précise, le moment où j'ai compris à quel point la fiction peut influer sur la réalité. On était en stage de ski à Chamonix et les soirées étaient animées par moi, avec mes sketches, et par d'autres qui chantaient accompagnés de leur guitare.

Un jour, j'ai imité le directeur devant toute l'école, les professeurs et le directeur lui-même. Je me suis permis de me payer sa tête par le biais d'une fiction inspirée de faits réels (il était obsédé par la mixité à l'école). Le lendemain, on avait une soirée libre, et il a refait son discours en faisant des concessions aux élèves suite à mes critiques. Là, je me suis dit que le rire pouvait être un pouvoir. Comme la beauté chez une femme est un pouvoir. " Il poursuit en s'amusant : " J'ai terminé mes études tant bien que mal. J'étais un peu dissipé, lunaire. L'école ne m'a jamais très attiré. Je m'y suis même beaucoup ennuyé, insiste-t-il en vidant sa tasse de café. Je pensais déjà à devenir comédien mais mes parents m'ont dit : termine d'abord tes humanités et après tu feras ce que tu voudras mais fais-le bien. "

Après ses humanités il prépare le concours d'entrée du Conservatoire avec Claude Etienne qu'il a rencontré grâce à sa mère, et termine avec un premier prix. " J'ai été au Conservatoire parce que j'avais lu que tous les comédiens que j'appréciais avaient démarré au théâtre et sur les planches." Une pause. Ses sourcils se haussent. Il revendique le théâtre comme formation essentielle pour un acteur, quel que soit le média pour lequel il se destine.

"Je prétends que le théâtre est la maman de l'acteur. C'est le giron dans lequel on s'essaye. Après il faut techniquement s'adapter pour ne plus être dans le cadre du manteau d'Arlequin mais dans le cadre d'une caméra. "

Sa première apparition à l'écran, il la doit à Marc Lobet qui réalise en 1979 Prune des bois, dans lequel il interprète un professeur de gymnastique (le hasard ressemble à un grand bazar).

J'ai enchaîné avec Meurtres à domicile". Puis, sa nomination au César du meilleur espoir pour la Balance lui ouvre d'autres horizons, à Paris notamment, où il vit. Suivent une série de films de Tavernier : La vie et rien d'autre, L. 627, L'Appât, de Krawczyck : Je hais les acteurs, etc., des téléfilms " mais sans abandonner le théâtre, y revenant toujours ", insiste-t-il.

"Avec Frédéric Sojcher, on a fait Karman Ghia, Fumeurs de charme, Vroum, vroum dans lequel il y avait déjà Claire Nebout comme dans Regarde-moi, son long métrage, s'enflamme-t-il.

"L'intrigue du film se passe en Grèce. C'est une histoire d'amour. Des vacances filmées par un jeune homme qui accompagne son amie sur l'île de Symi, dans le Dodécanès. Elle y a passé son enfance et son père y vit toujours. Il a un énorme pouvoir sur l'île, y possède une entreprise de pêche, des hôtels. C'est un homme puissant. Petit à petit, on va découvrir les causes de certaines blessures intérieures de cette jeune femme. Ça, c'était l'histoire au départ mais elle a été racontée différemment à cause de quelques péripéties dues au tournage. Frédéric a revu la façon de narrer l'histoire. Il m'a demandé de faire le lien entre les séquences et de devenir un oeil extérieur, un metteur en scène de théâtre ayant écrit une histoire, cette histoire-là, pour essayer de comprendre la réalité, ce qui rend le film plus riche. La réalité inspire la fiction et la fiction remet les pendules à l'heure dans la réalité". 

"J'essaie de débrouiller l'intrigue en faisant travailler deux comédiens, étant metteur en scène de théâtre - j'écris une pièce d'après ces faits qui se sont passés dans la réalité, en Grèce. Et dans la pénombre du théâtre, on essaie de trouver sinon la vérité, le pourquoi et le comment du comportement des gens et ce qui les a poussés à poser certains actes. Je deviens l'observateur extérieur et le lien entre ces deux côtés du miroir. Je suis le narrateur tout en étant impliqué dans l'intrigue pour une raison que l'on comprendra à un moment dans le film. Je suis un peu le double et le regard de Frédéric dans la fiction. "

 

Il marque une pause pour se donner le temps de retrouver son inspiration de conteur qui se dépense sans compter. Pour la préparation du rôle j'ai vu  Conservatoire, un film que Jean-Philippe Laroche a consacré à son père et qui se passe dans le même lieu où nous avons tourné la seconde partie de Regarde-moi.

 

Pierre Laroche a été mon professeur, j'ai remarqué qu'il mettait souvent des bretelles. Je m'en suis inspiré pour construire mon personnage. Ce sont des détails mais souvent il y avait une boutade entre Frédéric et moi : " en fait c'est toi qui tient les bretelles du film ". Pour la pipe je me suis inspiré d'un souvenir d'enfance : j'adorais les Histoires complètes contées, chaque semaine, par l'Oncle Paul dans Spirou. Voilà comment on crée un personnage. On dit toujours que ça doit venir de l'intérieur mais on oublie de dire qu'avant, ça vient de l'extérieur. C'est tout ce qui passe à l'extérieur qui vient à l'intérieur, qui est digéré et est retransmis ensuite. C'est Jules-Henri Marchand qui m'a appris au Conservatoire comment on joue un homme saoul : l'homme saoul ne s'amuse pas à perdre son équilibre, il fait tout pour le garder. En réalité il a du mal à le garder, c'est ce qu'il faut jouer. Ce sont de petites choses mais qui sont capitales. "

L'avenir ?

"J'ai le désir de mettre en scène au théâtre. La mise en scène est un dialogue entre les acteurs et le metteur en scène à propos d'un texte écrit. J'ai trouvé un texte superbe dont je veux explorer le propos mais je n'ai pas encore de producteur. Par ailleurs j'aimerais transmettre mon expérience, donner des cours pour essayer de guider plutôt que d'enseigner. Et ça me donne également le désir de réaliser un film. J'ai écrit le scénario d'un court mais je n'ai pas eu l'argent pour le faire. J'en ai écrit deux autres. "

Il a un bref haussement d'épaules.
Quand on lui demande quel est le dernier film qu'il vient de terminer, il répond du tac au tac : " Je viens de terminer Laissez-passer de Bertrand Tavernier. Mon personnage est un résistant qui s'habille en femme pour échapper à la Gestapo. Dans la rue il rencontre Bruno Podalydès, un copain de régiment qui joue Jean Aurenche, le scénariste bien connu. Il ne peut s'empêcher de lui dire bonjour. Son copain est très intrigué de le voir habillé en femme et il lui demande : mais tu es dans la mode ?, etc. et le type ne comprend pas car il ne se rend plus compte qu'il est habillé en femme. La scène est très bien écrite. "
Il en rit intérieurement. Après une profonde inspiration, il se jette sur sa tasse de café et constate qu'elle est vide. The End. 

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