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Rencontre avec Zoé Wittock et Noémie Merlant sur le film "Jumbo"

Publié le 01/07/2020 par Constance Pasquier et Grégory Cavinato / Catégorie: Entrevue

Cinergie : Pouvez-vous, en quelques mots, nous résumer votre parcours ? 

Zoé Wittock : Je suis Belge, née à Bruxelles de parents diplomates, donc j’ai beaucoup voyagé. Et mon parcours cinématographique est un peu à l’image de ces voyages. J’ai d’abord fait un bachelor de cinéma dans une école internationale à Paris et ensuite, je suis partie aux États-Unis où j’ai fait un master en cinéma à l’American Film Institute (AFI), qui est une très bonne école. A partir de là, j’ai commencé à travailler dans le cinéma, sur des tournages, en assistanat réalisation, en attendant de pouvoir écrire et développer mes propres projets. J’ai fait quelques courts-métrages et Jumbo est donc mon premier long.

 

Cinergie : Dans ce premier film, avec ce thème de la fusion entre l’humain et la machine, on retrouve des influences du cinéma de genre, notamment du cinéma d’animation japonais. Êtes-vous une cinéaste cinéphile ?
Zoé Wittock : Cinéphile, si ça veut dire que j’adore le cinéma, évidemment, puisque j’en ai fait mon métier ! J’aime me faire porter par les découvertes, mais je ne suis pas attirée par un cinéma en particulier, j’aime aller voir un film par ci par là, que ce soit du cinéma japonais, coréen, hollywoodien, belge, français, anglais… J’aime chercher des coups de cœur dans des films de différentes cultures, que ce soit dans le dessin animé, dans le film de genre ou dans les films d’auteurs. Je marche plutôt au thème et à l’histoire, en fait. Et il y a certains réalisateurs que je suis et dont j’essaie de ne jamais louper les films. 

 

C. : David Cronenberg, peut-être ? L’influence thématique et visuelle de son cinéma me semble évidente dans Jumbo. 

ZW : C’est marrant, parce que Cronenberg est un réalisateur que j’aime beaucoup, mais qui ne faisait pas partie de mes références. Mais vous n’êtes pas le premier à me parler, par exemple, de Crash, un film que je ne connaissais pas. C’est ma productrice qui m’a dit qu’il fallait absolument que je regarde Crash ! Mais j’avais déjà écrit Jumbo depuis deux ou trois ans quand je l’ai découvert. J’essaie de ne surtout pas aller chercher des références ou d’aller revoir des films par rapport à une thématique particulière, parce qu’on est déjà très influencé inconsciemment et que je ne voulais pas m’influencer consciemment. Cronenberg va explorer la folie chez des personnages en marge, notamment dans Crash, où il est aussi question de fétichisme, et ses personnages vont se perdre dans leur folie, alors qu’ici, notre personnage, Jeanne, au contraire, se découvre grâce à sa différence.

 

C. : Pourquoi un manège ? Pourquoi pas une moissonneuse-batteuse, une cloche à fromage ou une sucette géante? Vous ne vous facilitez pas la tâche parce qu’un manège a des proportions énormes et il n’y a pas vraiment d’anthropomorphisme possible… 

ZW : Justement, parce que je ne voulais pas aller dans la facilité, par exemple, d’un robot ou de quelque chose qui parle, comme dans Her, de Spike Jonze. Dans le film de Spike Jonze, on est dans l’intelligence artificielle, dans le dialogue, même si le film sort des sentiers battus. Mon inspiration principale, c’était Erika Eiffel, cette femme qui est tombée amoureuse de la Tour Eiffel et qui l’a « épousée ». La Tour Eiffel, c’est quelque chose de très statique, donc, à part pour le côté phallique, il est difficile d’imaginer qu’il puisse y avoir un intérêt potentiel au-delà de la simple beauté du monument. Mais je ne voulais surtout pas passer à côté de cette difficulté-là, je voulais l’utiliser, en jouer et trouver l’objet qui me permettrait à la fois de garder cette difficulté et de montrer l’absurdité du sujet. J’avais besoin d’un objet qui me permettrait de trouver beaucoup de poésie, de relater de manière fictionnelle ce que pouvait être le sentiment amoureux grâce au visuel, à la lumière, aux sons, aux mouvements. Une attraction à sensations fortes, à la base, c’est une machine qui nous donne énormément de sentiments. Si je monte sur une attraction, soit j’ai peur, soit je ressens beaucoup de joie, il y a de l’anticipation, de l’adrénaline… Je pouvais donc comprendre que toutes ces émotions soient décuplées et prises au pied de la lettre chez quelqu’un d’autre. Et puis, l’attraction, c’est le domaine de l’enfance, du rêve, de l’imaginaire, cela me permettait beaucoup de liberté et de poésie. Ce manège, c’était le meilleur moyen pour moi de mettre l’accent sur l’histoire d’amour plutôt que sur la bizarrerie sexuelle ou sur la bête curieuse que certaines personnes auraient pu essayer de chercher dans le personnage de Jeanne.

 

Zoé WittockC. : J’imagine qu’il faut une sacrée confiance en soi pour se lancer dans un projet aussi hors-normes et original, particulièrement pour un premier film… 

ZW : Je ne sais pas si c’est de la confiance en soi ou plutôt de l’insouciance ou de l’inconscience. Je dirais plutôt que c’est de l’inconscience ! Je ne sais pas, je suis tombée amoureuse de ce sujet ! Quand je me suis rendu compte que cette femme, dont l’histoire a inspiré le film, était quelqu’un de complètement normal, juste quelqu’un comme vous et moi, qui paie ses impôts et qui ne fait de mal à personne, pas du tout une bête curieuse, je me suis dit que c’était quand même fascinant. J’avais des préjugés, mais ils ont été cassés en quelques secondes par une simple rencontre. Cette rencontre m’a vraiment marquée. Je voulais montrer que oui, c’est bizarre, oui, c’est étrange, mais que si on se pose la question de savoir qui est cette personne, il y a moyen de rentrer en empathie avec elle et de comprendre énormément de choses. Ce cheminement d’aller vers l’autre est une émotion qui m’a portée pendant ce film. Il y avait aussi quelque chose de très jouissif en tant que réalisatrice à l’idée de me dire que je pouvais pousser la réflexion plus loin sur la question de comment rendre une machine vivante à l’écran sans tomber dans l’anthropomorphisme. Ce jeu un peu pop, lumineux, fantastique, surréaliste est très drôle et permet d’emmener le spectateur vers une sorte de… tour de manège ! (rires)

 

C. : Justement, comment avez-vous procédé pour faire exister Jumbo à l’écran ? Comment avez-vous porté votre choix sur un modèle de manège en particulier ? 

ZW : Le modèle, c’est le « Move It-24 ». Et ça a été un casting international, on l’a cherché dans le monde entier ! Nous en avions trouvé un aux États-Unis, mais c’était vraiment impossible de le faire venir en Europe. Puis, par le biais du milieu forain, nous avons reçu un coup de téléphone nous disant que le manège que nous cherchions était en Europe. On l’a finalement trouvé en France et on l’a fait venir en Belgique pour le tournage. Pourquoi le Move It-24 ? Parce que c’est un manège impressionnant, c’est du costaud. Il fait 9 mètres, il pèse 15 tonnes. Il avait quelque chose de l’ordre du grandiose, du fascinant, du beau, très esthétique et en même temps, ça restait à l’échelle humaine. Dans la manière dont il est formé, il a une sorte de « main » qui, quand elle tombe sur Jeanne, rendait le mouvement très impressionnant, engouffrant, étouffant. Quand Jeanne se retourne, tout d’un coup, on ouvre la perspective vers le ciel et cela se transforme en une main de King Kong, qui l’attrape en vol, au milieu de laquelle elle peut se sentir très à l’aise et sécurisée. Cette machine avait donc des traits qui, d’un point de vue émotionnel, me parlaient.

 

JumboC. : Le film s’inspire donc de l’histoire de cette Américaine, Erika Eiffel qui a épousé la Tour Eiffel. Vous en faites une sorte de conte de fée, mais avec également une approche de film social. C’est un mélange assez étonnant, toujours sur le fil. Comment avez-vous réussi ce mélange ? 

ZW : Il y a eu un vrai travail au fur et à mesure de l’écriture du scénario pour trouver ce juste milieu entre le fantastique et le réel. Je préfère parler de surréalisme ou de réalisme magique plutôt que de fantastique. Parler de « fantastique », à l’époque de l’écriture, c’était risquer de donner au lecteur l’attente d’une machine du style Transformers, qui allait commencer à se venger de tout le monde ! Je voulais garder Jumbo ancré dans la réalité, puisque la source d’inspiration était bien réelle. Après, dans la mise en scène, il y avait cette envie d’emmener le réel vers le magique et de garder le magique ancré dans une forme de réalité. C’était tout un travail de mise en scène de contrebalancer le côté fantastique de Jumbo et son univers très visuel, très sensoriel, avec des performances très réalistes, avec des personnages qui vivent cette histoire au premier degré dans une réalité très brute, très authentique : une femme qui tombe réellement amoureuse d’une machine, qui la vit comme une vraie histoire d’amour avec tous les enjeux que cela implique vis-à-vis de son entourage… et une mère qui se retrouve face à l’inacceptable. C’est violent pour une mère d’accepter ça ! Tout ça, je l’ai traité au premier degré. 

 

C. : Le film reste volontairement ambigu. Vous n’affirmez jamais si toute l’histoire se passe uniquement dans la tête de Jeanne, si elle est atteinte de maladie mentale ou si Jumbo est réellement vivant. Était-ce important pour vous de laisser les spectateurs se faire leur propre opinion ? 

ZW : Tout à fait. Garder cette ambiguïté offrait aux spectateurs l’opportunité de se poser plusieurs questions. Cela leur permettait de garder leur part d’imaginaire et cela me permettait de faire la part belle à l’émotion. Je pense que c’est chouette de laisser ce choix aux spectateurs d’être rationnels ou pas. Et je pense que tout ce qui compte, finalement, c’est : « Est-ce que notre personnage y croit ou pas ? » A partir du moment où Jeanne y croit, tout ce qui m’importe c’est de me demander : « Est-ce que j’y crois avec elle ou pas ? »

 

C. : Comment aborde-t-on le tournage d’une scène aussi risquée, délicate, que la scène d’amour entre Jeanne et la machine, avec cette jeune fille nue, recouverte d’huile, qui connaît son premier orgasme ? Avez-vous douté ? N’avez-vous pas eu peur de tomber dans le ridicule ? 

ZW : Non, bizarrement, je n’ai jamais douté. J’étais persuadée que cette scène était indispensable, que ce côté complètement dématérialisé de la scène était important pour faire la part belle à la sensualité et à l’érotisme plutôt qu’à la sexualité. Je voulais laisser la place au romantisme plutôt qu à ce que certaines personnes pourraient appeler une déviance sexuelle – moi je n’appelle pas ça une déviance, c’est une question de choix. Par contre, j’étais consciente du potentiel ridicule d’une telle situation et c’est avec cette conscience-là que nous avons travaillé la scène. Donc, je joue aussi parfois avec ce côté ridicule, parce qu’il y a beaucoup d’humour dans ce film ! On est conscient de l’absurdité ou de l’étrangeté du sujet et ce que j’aime dire aux spectateurs c’est que c’est ok de rigoler, c’est ok de se sentir mal à l’aise, parce que c’est l’inconnu, parce que c’est différent. Ça ne veut pas dire que, malgré ce malaise, on ne peut pas comprendre et entrer en empathie avec Jeanne. Certes, on se pose des questions au fur et à mesure du film, mais il fallait amener les spectateurs à se dire (ou pas) « Je me suis retrouvé en empathie avec ce personnage » et après le film, à se demander « Mais comment ai-je fait pour être en empathie avec elle ? »

 

Zoé WittockC. : Mais cette scène ne prête pas à rire, son côté ouvertement bizarre, au contraire, lui confère beaucoup de poésie et d’érotisme. 

ZW : Non, effectivement. Ce moment-là n’est pas un des moments drôles dont je parlais. Il y a des moments pour rire et d’autres pour être mal à l’aise dans ce film. Dans cette scène, je voulais vraiment ajouter de la poésie et du romantisme, c’est pour ça qu’elle se déroule dans un espace dématérialisé, pour laisser la place à l’imagination, pour ne pas rentrer dans quelque chose de cru, mais juste laisser la place à l’émotion du premier vrai émoi sexuel de Jeanne. C’est une femme-enfant qui, tout d’un coup, découvre le plaisir de la sexualité et l’orgasme. Ce corps de femme, qu’elle a déjà depuis longtemps, c’est comme si elle le découvrait pour la première fois au contact de l’huile.

 

C. : L’autre scène de sexe, entre Jeanne et Marc, son patron, contraste totalement avec celle dont nous venons de parler. Avec Marc, vous adaptez votre mise en scène et cette fois, la scène est froide, brutale, glauque. 

ZW : Ce que je voulais, c’était raconter tout le film à la première personne. Mettre le spectateur à la place de cette jeune femme qui va comprendre et découvrir quelque chose d’elle et tenter, par tous les moyens, soit de s’affirmer soit de se « normaliser ». C’est à travers ce jeu à la première personne qu’il y a quelque chose de très poétique, de très beau, de très doux, de très délicat avec cette machine et, à l’inverse, même si il y a une volonté d’aller vers les hommes, une incapacité d’avoir ce même romantisme avec cet homme-là. 

 

C. : Considérez-vous Jumbo comme un film féministe ? Les hommes dans la vie de Jeanne, à l’exception de celui interprété par Sam Louwyck, sont dépeints comme toxiques et vicieux. Marc, par exemple, entre dans le vestiaire lorsque Jeanne est en train de se changer, il la harcèle de manière subtile, lui fait les yeux doux, mais lui parle violemment après l’amour… Pourtant, le personnage le plus toxique du film est Margarette, la mère de Jeanne, qui rejette complètement sa fille. Elle n’est jamais dans l’écoute, toujours dans le jugement et dans l’égoïsme… 

ZW : Non, je ne dirais pas que c’est un film féministe. Les deux personnages principaux sont des femmes, parce que c’est plus facile pour moi, en tant que réalisatrice, de m’identifier à elles, mais il y avait une vraie volonté de traiter les hommes et les femmes avec autant de douceur et de bienveillance, et après, de laisser la difficulté du sujet prendre sa place chez chacun des personnages. Pour Marc, c’est douloureux de se rendre compte que son concurrent est une machine ! Ça fait mal à l’ego, donc il y a chez lui beaucoup de maladresse. J’aimais l’idée de donner à certains personnages masculins un peu de cette douceur et de cette complexité émotionnelle, de cette sensibilité qu’on a tendance à attribuer aux femmes. Ce qui est le plus intéressant dans le mouvement sociétal du moment, c’est qu’on n’est pas dans une révolution féminine, on est dans une révolution des genres. Tout simplement. C’est une révolution beaucoup plus globale, qui touche les hommes, les femmes, les orientations sexuelles des uns et des autres et je pense que mon film parle aussi de ça, de manière poétique et métaphorique : on peut parler de coming out, de recherche identitaire, de relations mère-fille, de relations entre hommes et femmes… c’est ça que je voulais traiter de manière plus générale. 

 

C. : Noémie Merlant était-elle une évidence ? C’est un film qui demande une très grande implication physique et émotionnelle de la part de son actrice principale. Or, Noémie est une actrice qui n’a jamais froid aux yeux, qui aime les performances extrêmes. Elle a un visage fascinant - très dur un moment, lumineux dans la seconde qui suit - qui correspond bien à la trajectoire narrative de Jeanne… 

ZW : Tout à fait. C’est ce que j’ai trouvé tant chez Emmanuelle Bercot que chez Noémie Merlant : une palette énorme, cette capacité qu’elles ont à être aussi fermées et dures que fragiles, puissantes et lumineuses. Pour répondre à votre question, non, Noémie n’était pas une évidence au début, dans le sens où, à l’époque, elle n’était pas aussi connue qu’aujourd’hui et ce, grâce au succès de Portrait de la Jeune Fille en Feu, qu’elle a tourné APRÈS Jumbo, et qui est donc sorti bien avant. C’est Oriane David, une amie qui travaille dans le cinéma qui m’a conseillé de la voir. Noémie est une des toutes premières actrices que j’ai vues pour le casting. Mais, à ce moment-là, je crois que je n’étais pas encore sûre de qui était mon personnage. Donc, je ne l’ai pas rappelée. J’ai continué le casting pendant des mois et des mois, j’ai vu défiler 150 filles, de très très belles actrices, mais je n’arrivais pas à donner ce « oui » final. Au bout d’un moment, je me suis dit que j’avais dû me tromper à un moment donné ! Noémie me trottait toujours en tête. Je lui ai demandé de revenir et elle a accepté, parce qu’elle adorait le rôle. Quand elle est revenue, après avoir vu beaucoup d’actrices l’interpréter de mille manières différentes, j’avais une idée beaucoup plus précise de ce qu’était le personnage. Je lui ai donc donné beaucoup plus d’indications et j’ai été surprise par sa performance, au point où j’ai pleuré pendant le casting ! Elle est la seule à m’avoir faite pleurer ! Donc, là, c’est devenu une évidence ! Elle a une puissance de jeu assez impressionnante. Elle interpelle la caméra. C’est sûr que c’est très jouissif pour une réalisatrice de travailler avec une actrice qui n’a pas froid aux yeux, qui est courageuse et qui ose se dévoiler sur un plateau.


Entretien avec Noémie Merlant, héroïne de Jumbo

 

Noémie Merlant dans Jumbo Cinergie : L’image qu’on a de vous depuis quelques années est celle d’une actrice qui n’a pas froid aux yeux, qui va rarement vers la facilité, notamment dans des films comme Le Ciel Attendra, Curiosa ou Portrait de la Jeune Fille en Feu. On a l’impression que les rôles extrêmes vous attirent…

Noémie Merlant : J’aime bien sortir de ma zone de confort, aller vers des personnages qui peuvent déranger sur le papier et qui amènent ailleurs, qui ouvrent à un dialogue aussi.

 

C. : Jumbo est un projet hors-normes et Jeanne n’est pas un rôle facile. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce scénario ?

NM : Ça, justement ! Le fait que ce soit une histoire d’amour hors-normes. À la lecture du scénario, j’ai trouvé que le point de vue de Zoé, c’est-à-dire de ne pas regarder Jeanne comme une bête curieuse, était très intéressant. Elle ne regarde pas l’objectophilie de manière trash, avec un jugement. Non, elle se met à la place de Jeanne. On rentre dans cette histoire et on essaie de la comprendre par l’émotion. Je trouve ça puissant. Ça parle aussi du parcours d’une femme qui n’a pas d’âge, qui est extrêmement forte et moderne, qui suit ses désirs, qui sont des désirs particuliers. Elle y va et elle essaie d’amener les autres et sa mère dans cette acceptation-là. Elle va jusqu’au bout de ses désirs et je trouve ça… beau !

 

C. : Pour se lancer dans une aventure aussi audacieuse, il faut avoir une grande confiance en sa réalisatrice. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Zoé Wittock ? 

NM : Avec Zoé, dès qu’on s’est rencontrées, en tout cas de mon côté, il y a eu un truc. Déjà, on se ressemble…...beaucoup de gens nous le disent ! On a le même âge, on a un peu le même caractère. Et toutes les deux, nous avons aussi des points communs avec Jeanne. Zoé transmet beaucoup d’énergie, d’envie, elle nous amène dans son univers… elle a un feu en elle ! Ça fait plaisir. Toutes les trois, avec Emmanuelle Bercot qui joue la mère de Jeanne, nous avons été extrêmement soudées pendant toute cette préparation. Zoé a fait en sorte qu’on soit vraiment concernées par son projet. Ça, c’est la force de Zoé ! 

 

Noémie MerlantC. : Comment se prépare-t-on pour tourner une scène érotique avec une machine ? Dans les mains d’un mauvais réalisateur, une telle scène pourrait paraître ridicule, alors qu’ici, cette scène dans l’huile de moteur est troublante. 

NM : On se prépare, justement, en créant une relation de confiance avec la réalisatrice. Cette scène, nous l’avons tournée le tout dernier jour du tournage, donc, avec Zoé, nous n’avions même plus besoin de nous parler pour nous comprendre et j’étais très à l’aise grâce à elle et grâce à l’équipe. Sur cette scène qui est très technique, je me suis vachement laissée guider par elle. Dans une scène comme celle-là, on ne peut pas faire beaucoup de propositions, dans le sens où tout est vraiment réglé au millimètre près : ma position, les lumières, les gouttes. C’est une scène où il faut juste se laisser guider et avoir une totale confiance. Ce qui est bien dans cette scène de sexe et qui permet aussi de se laisser porter, c’est qu’il y a une vraie vision, une vraie proposition, un vrai regard. 

 

C. : Le film reste volontairement ambigu. On ne sait jamais vraiment si toute l’histoire se passe uniquement dans la tête de Jeanne, si elle est atteinte de maladie mentale ou si Jumbo est réellement vivant. Pensez-vous que c’était important de laisser les spectateurs se faire leur propre opinion ?

NM : Oui, je pense que c’était important pour Zoé de laisser une ouverture là-dessus. C’est une question de point de vue : à partir du moment où on y croit… Ne serait-ce pas cette foi qui a le pouvoir de rendre les choses réelles ? C’est d’ailleurs ce que Zoé amène à la fin du film, avec cette mère qui voit enfin Jumbo s’allumer en plein jour. Moi, j’aime bien cette idée.

 

C. : Que garderez-vous comme souvenirs du succès phénoménal du Portrait de la Jeune Fille en Feu, de toute cette expérience, notamment à Cannes, puis aux Oscars et aux Césars ? Est-ce que ce succès vous a prise par surprise ? 

NM : C’est toujours surprenant quand il y a une vague d’amour, de soutien. Ça fait plaisir, parce que c’est une expérience que j’ai partagée avec toute l’équipe, avec Céline (Sciamma - NDLR), avec Adèle (Haenel - NDLR)… Céline propose une nouvelle expérience dans son film. Pour moi, c’est une nouvelle manière de raconter des choses qui sont essentielles aujourd’hui. Elle ouvre au dialogue et on a vu que les gens avaient envie de dialoguer, qu’ils attendaient ce film. C’est déjà ce que j’avais ressenti à la lecture du scénario. C’est une histoire de représentations qui ont été oubliées, qui n’ont pas été racontées, presque effacées. Pour moi, ce qui est resté, de tout ça, c’est la douceur avec laquelle a été fait ce film. Encore aujourd’hui, il y a beaucoup de douceur entre nous toutes et un accompagnement. La vision de Céline de ces femmes qui vivent leurs désirs, elle essaie de l’appliquer un maximum dans la vie et c’est chouette. D’ailleurs, c’est un des points communs entre Portrait… et Jumbo.

 

Noémie MerlantCinergie : Vous venez de réaliser consécutivement un court, Shakira, et un long-métrage, Mi Lubita. Est-ce que vous pouvez déjà en parler ?

NM : Les deux films se sont faits avec des personnes de la communauté rom, mais ils ne racontent pas du tout la même chose. Ce que je peux dire du long-métrage, c’est qu’il s’est fait vraiment à l’arrache, avec seulement deux personnes dans l’équipe technique ! On l’a tourné en peu de jours en Roumanie, dans un élan de liberté et d’urgence. On est parti comme ça, entre potes. Et là, nous venons de trouver un producteur pour nous aider à le terminer. Donc, je ne sais pas encore ce que ça va donner, on avance petit à petit…

 

C. : Y a-t-il un film au sein de votre filmographie qui, pour une raison ou une autre, n’a pas rencontré le succès escompté ou n’est tout simplement pas très connu et que vous aimez en particulier ? Un film que vous aimeriez défendre ou réhabiliter ?

NM : Les Drapeaux de Papier (2018- NDLR), de Nathan Ambrosioni, qui a écrit ce film à 17 ans et l’a réalisé à 18. C’est un petit film au niveau du budget, mais je trouve que c’est un grand premier film. C’est un film que j’aime énormément. Il a quand même eu quelques présentations en festivals, mais après, c’est toujours compliqué pour ces petits films. Il y en a d’autres, plein d’autres qui n’ont pas forcément marché, mais celui-là fait partie de mes films préférés.

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