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Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot

Publié le 01/03/1999 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Samedi 20 février 1999, 14h30, auditorium du passage 44. Le festival du dessin animé et du film d'animation organisait à l'intention des petiots une projection de Kirikou et la sorcière. La salle, habituellement exubérante lors de ce genre de séance, est absolument calme. Pas un mouflet ne moufte. Un spectacle impressionnant : ils sont bouches ouvertes, les yeux écarquillés rivés sur l'écran, ne perdant pas une miette de l'histoire.

Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot

"En France, m'explique Michel Ocelot, tout réjoui, les enseignants qui amènent leurs petits élèves aux séances pédagogiques ont trouvé un très beau slogan : Kirikou, le film pendant lequel on ne va pas faire pipi. Et c'est vrai. Je suis à chaque fois surpris et émerveillé de l'effet produit. En plus, je pensais que le film serait réservé aux enfants à partir de six ans, mais je m'aperçois qu'il provoque des résonances chez des gosses de trois ans et parfois moins".

Quelle récompense pour un travail de plus d'un lustre qui a mené cet infatigable défenseur du cinéma d'animation à l'européenne de Paris à Dakar, Bruxelles, Luxembourg et jusqu'aux rives de la lointaine Lituanie. Durant tout notre entretien, il ne cessera de transmettre un vibrant enthousiasme et, lorsqu'on lui annonce la fin de la projection, il s'excuse et retourne à l'écoute de ses jeunes spectateurs. Si Kirikou, le personnage, s'enfante tout seul, Kirikou, le film, est le fruit de l'intense implication d'un homme et d'une équipe qui le portent vers un succès assuré, et mérité.

Un conte populaire...

Kirikou vient au monde dans un village terrorisé par une infâme sorcière. Karaba exerce ses pouvoirs maléfiques entourée d'une armée de fétiches exécutant fidèlement ses ordres. Le petit enfant-homme va affronter la sorcière au départ d'une question : pourquoi Karaba est-elle méchante ? Pour avoir la réponse, il devra affronter bien des dangers, courir bien des aventures, mais il pourra alors en connaissance de cause délivrer Karaba de son mal et ramener la paix au village.

...solidement enraciné...

Kirikou et la sorcière est une histoire complexe, qui offre plusieurs angles de lecture différents adaptés à tous les âges et, comme souvent dans l'univers des contes, riches en symboles. "La base en est une histoire d'Afrique occidentale" raconte Michel Ocelot. "Ayant grandi en Guinée, j'avais envie de traiter l'Afrique dans un long métrage d'animation. La culture africaine est un univers fort et original. Par exemple, le thème du bébé qui parle dès le ventre de sa mère et qui s'enfante tout seul, je ne l'ai trouvé que là. Ce conte, je l'ai complètement réécrit en rajoutant des éléments glanés ici et là dans les imaginaires locaux (l'histoire de la source tarie par un monstre qui la boit vient d'un conte alsacien) et des éléments de mon cru."

...tradition et travail du conteur...

"Dans le conte original, Kirikou affronte la sorcière de la manière la plus classique et la tue. Le questionnement de l'enfant, c'est moi qui l'ai apporté parce que cette question, je me la suis posée étant petit. N'est-ce pas plus intéressant de montrer aux enfants qu'il y a une raison aux choses plutôt que de les faire évoluer dans un univers stéréotypé où on tue ce qu'on ne comprend pas ? J'ai aussi voulu que Karaba soit une femme à la très grande beauté physique, pour rompre un autre manichéisme. J'ai encore apporté beaucoup de soin aux personnages qui vont assurer la transition de Kirikou vers le savoir et l'autonomie : sa mère et son grand père".

...une solide assise artistique...


Le film est construit selon des techniques et avec une iconographie qui lui donnent son cachet particulier. Le graphisme assez simple des personnages et l'animation fluide contrastent avec les décors minutieusement élaborés et richement colorés. "En ce qui concerne les personnages, je suis comme la plupart des dessinateurs de ma génération, un enfant d'Hergé, dira Michel Ocelot. Les animaux, eux, sont des intermédiaires entre les humains et leur environnement. Ils interagissent avec les personnages mais restent des animaux, pas des petits Mickeys.
Leur graphisme est donc un peu différent. L'animation a été faite à Riga par une équipe exclusivement féminine. C'est un hasard mais cela convient sans doute bien à un monde dans lequel les hommes ont été mangés par la sorcière et où il ne reste que les femmes, les jeunes et les vieillards.

...et technique...

"Les paysages sont réalisés suivant une méthode de superposition d'éléments qui s'apparente aux techniques de papiers découpés, mais avec les facilités que permettent les moyens modernes, les cellulos et les ordinateurs. Tous les dessins ont été faits à la main mais assemblés et coloriés à l'aide de l'ordinateur, ce qui permet cette étonnante variété de teintes et ces couleurs lumineuses. C'est là qu'est intervenu le studio bruxellois ODEC-Kid Cartoon qui a réalisé plus de 85% de ce travail." Chaque décor est réalisé comme un tableau, avec parfois un contraste chromatique fort mais toujours une dominante marquée qui se décompose parfois en splendides camaïeux. "Un beau tableau a toujours une dominante. Pour les couleurs, j'ai simplement laisser revenir à la surface mes souvenirs d'Afrique."

...un souci d'authenticité...

"Pour l'illustration, c'était autre chose car si l'Afrique a une grande tradition de sculpture et d'art décoratif, il y a peu d'art graphique figuratif. J'ai donc suppléé avec des éléments venant de mes propres goûts et influences : le douanier Rousseau, l'art égyptien.... Enfin, je tenais absolument à ce que les voix et la musique viennent également d'Afrique. Youssou N'Dour a écrit la musique et l'a enregistrée dans son studio de Dakar où ont été également captées les voix des personnages." Avec une saveur qui apporte beaucoup à l'impression d'authenticité du film (on est sûr dès la première seconde que ce n'est pas parisien).

...et aussi un produit de chez nous...

Remarquable sur bien des plans donc, Kirikou et la sorcière est aussi une coproduction européenne où notre communauté française joue un rôle important grâce à la RTBF et au studio Kid Cartoon. Leur intervention est caractéristique de la manière dont le cinéma d'animation se développe dans notre pays, au départ de professionnels solidement formés, avec une tradition artistique marquée et sur base de structures petites et moyennes, souples, adaptables et intégrées dans un environnement européen. Un solide gage d'avenir.

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