L’esprit des lieux
Comment éveiller un regard et la pensée qui l'accompagne, à une autre sensibilité, une autre compréhension ? Comment faire voir et saisir ce qui jusqu'alors se tenait enfoui sous les évidences du quotidien ? Certains cinéastes continuent d'expérimenter des façons de mettre en scène ces questions comme autant de chemins de traverse qui vont du connu vers l'inconnu. Avec son dernier film, La Corde du Diable, Sophie Bruneau rejoint ceux là qui réussissent à nous faire vivre le cinéma comme une aventure où le risque de changer prend toute son importance.
Au point de départ du film, la proposition semble claire : raconter la Conquête de l'Ouest à partir de l'usage du fil barbelé, ou autrement dit, faire du fil barbelé, la métaphore de ce large mouvement qui, d'Est en Ouest, a civilisé les terres sauvages qui allaient devenir les États-Unis d'Amérique. Pourtant très vite ce qui apparaissait comme un sujet à traiter, va se faire littéralement phagocyter par quelque chose d'autrement plus vaste, plus complexe, plus difficile à cerner. Ce qui va surgir est la figure du monde qui autorise et le fil barbelé et la Conquête, et la fin de l'autochtone et la domination du civilisé. Rien de moins.