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La Régate de Bernard Bellefroid

Publié le 05/02/2010 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Tout en contraste

Pour son premier long métrage de fiction, Bernard Bellefroid n'a pas choisi la facilité. Au cœur de la Régate, on trouve la violence familiale, plus précisément celle qui règne entre un père et son fils avec, en filigrane, de douloureuses questions : Qu’est-ce qui fait qu’on accepte de rester dans une relation de cette nature ? Comment sortir de ce rapport pervers à l’autre ? Comment vivre, grandir avec ce poids sur les épaules ? Avec ces ingrédients, là où tout autre que lui aurait accouché d’un film mortifère et étouffant, Bernard Bellefroid nous propose une œuvre éclaboussée de soleil, une ode à la jeunesse imprégnée d’amitié et d’amour,  toute dans l’effort des corps en mouvement, qui  nous fait découvrir le potentiel cinématographique d’un sport d’eau peu connu, magnifiée par un scope qui met superbement en valeur les paysages des bords de Meuse. C'est sur ces bases solides que La Régate a séduit les spectateurs du Festival du Film Francophone de Namur, qui lui a décerné  le prix du public.

La Régate de Bernard Bellefroid

Après son documentaire Rwanda, les collines parlent qui, déjà, traitait d’une violence insupportable et de la nécessité de l’évoquer pour pouvoir la dépasser, Bernard Bellefroid a travaillé avec les frères Dardenne sur ce projet de fiction farci d’éléments autobiographiques. La force brutale, il souhaite la montrer le moins possible, préférant s’intéresser aux ravages qu’elle produit dans la tête et les corps de ceux qui la vivent. Les "frères" devront finalement renoncer à financer le projet, mais leur influence reste bien présente, particulièrement dans la description des rapports qui unissent le fils à son père, et dans les séquences au supermarché.

On trouve une évidente parenté avec leur univers marqué de réalisme social "à la belge", aussi bien dans l’écriture que dans la manière dont ces plans sont mis en scène et filmés. La reprise du projet par Artémis et Patrick Quinet a-t-elle permis de développer une dimension plus optimiste et plus aérée ? Le film est, en tout cas, viscéralement balancé entre ces deux pôles. Le jeune Alex cherche sa voie entre deux univers. Sa relation avec son père, c’est un ciel plombé par le ballet infernal des sentiments : amour, bien sûr, culpabilisation, ressentiment, avec la violence qui explose sans cesse, et dont il faut cacher les effets. Pour le supporter, il y a l’aviron : un sport éminemment physique où il évacue sa hargne et dans lequel il investit tous ses espoirs de devenir un jour autre chose qu'une boule de souffrance. Cette activité au grand air l’ouvre au monde et lui permet d’échapper à l’emprise de son père qui, consciemment ou non, fait tout pour l’en éloigner. Cinématographiquement, le film est tout entier dans ce contraste qui reflète à l’évidence l'état de son personnage principal. Avec son père, Alex vit l’enfermement d’une situation sans issue, dans un contexte social catastrophique. Les plans sont crépusculaires, sombres, abondent en scènes d’intérieur. Son club sportif, pour lui, c’est l’ouverture à la vie. Il s’y défoule, s’y épuise, rencontre la camaraderie et  l’amitié de ses partenaires/adversaires, y découvre l’amour de Murielle, et une forme de relation à une autre paternité avec son entraîneur Sergi. Là, le cinéaste est en liberté, filmant près des corps cette débauche d’efforts, mais n’hésitant pas non plus à laisser filer sa caméra au ras de l’eau et à ouvrir ses plans sur les superbes décors de vallées et de forêts baignés de soleil. Le découpage est incisif, le montage rythmé.

On l’aura compris, ce manichéisme un peu naïf alourdit le film. L'écriture de scénario est académique, on assiste à la mise en œuvre appliquée de règles de dramaturgies cousues de fil blanc. Le père violent est forcément alcoolique et socialement à bout de course. Il est confronté à un patron pourri qui lui en fera voir de toutes les couleurs quand il essayera de protéger son gamin de ses manigances et de le garder sur le droit chemin. Le fils se sentira d'ailleurs obligé de s'investir dans ces manigances pour tirer son père du pétrin. Naturellement, l’entraîneur sportif devient un père de substitution qui s’en voudra à mort de ne pas s’être rendu compte de ce qui se passait dans la vie de son poulain.  Alex, est confronté à un rival avec lequel ce sera la lutte à sang avant qu’ils ne deviennent les meilleurs amis du monde grâce au coach dont la clairvoyance avait discerné, au milieu de la dispute, qu’ils étaient faits pour s’entendre. Heureusement, il y a une jeune fille fraîche et sensible dont l'amour donnera au garçon la force d'aller plus loin… On en passe et des meilleures… jusqu’à la rédemption par le sport qui a de petits airs d’antienne mille fois répétée. 

Cette proximité constante avec les clichés aurait pu couler définitivement un film qui jouait déjà dangereusement sur la corde raide du mélodrame social. Il n’en est rien pourtant. L’œuvre a d’autres qualités qui font qu’elle fonctionne. On l’a dit, le cinéaste possède un sens incontestable de la prise de vue. Il sait utiliser au mieux la lumière, magnifiant les qualités de la photo impeccable d’Alain Marcoen. Il maîtrise le rythme de son film, sachant accélérer le tempo quand c’est nécessaire, et l’adapter aux circonstances. Sa mise en scène est classique, mais sans grands défauts, et il sait exploiter au mieux les qualités de ses comédiens. Parmi ceux-ci, on mentionnera le duo émouvant formé par Joffrey Verbruggen et Thierry Hancisse.

Le premier, en dépit d’un jeu un peu monolithique, garde en lui toute la fraîcheur de l’âge tendre qui rend son personnage crédible. Le second incarne son père avec toute la pesanteur qui sied à un homme miné par l’alcool et le désespoir. Et puis surtout, il y a dans ce film une intensité, une sincérité absolue qui transpire de chaque image et donne à cette histoire, un peu trop convenue, sens et profondeur.

Un film tout en contraste, donc, qui irrite et émeut tout à la fois son spectateur. Il suscite la réflexion sur un douloureux problème de société, mais raconte aussi, avec beaucoup de dynamisme, un apprentissage de la vie nimbée d’amitié et d’amour. Le tout dans un cadre formel et esthétique qui, pour être des plus classiques, n’en est pas moins une belle réussite.

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