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La Ruche de Christophe Hermans

Publié le 20/05/2022 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Comment sortir d’une ruche ? Un labyrinthe où les portes s’entrechoquent, espace confiné, secret, obscur gouverné par la reine, la mère, l’omnipotente, centre névralgique qui dirige sa colonie à l’amour et à la baguette. Les abeilles œuvrent, agencent, nettoient, construisent, réparent sans jamais s’arrêter. Toujours veiller au bon fonctionnement, toujours satisfaire les besoins de la Reine.

La Ruche, un film de Christophe Hermans

Christophe Hermans transpose cette ruche dans un appartement d’un centre-ville. La reine, Alice, y vit avec ses trois filles : Marion, Claire et Louise. Pour son premier long-métrage de fiction, le réalisateur, scénariste, directeur de casting adapte le roman éponyme d’Arthur Loustalot et puise, dans le même temps, dans sa propre histoire en mettant en scène une famille dont la mère bipolaire fait vaciller l’équilibre fragile.

La Ruche, c’est surtout une histoire de femmes et d’actrices. C’est Marion, l’aînée, qui mène la barque. Interprétée subtilement par Sophie Breyer, qui a d’ailleurs reçu le Prix d’interprétation au dernier Festival International du Film de Mons et le Rising Star Award au Festival de Rome pour ce rôle, cette jeune adulte oscille entre le dedans et le dehors, entre l’enfermement dans un huis clos asphyxiant et la liberté exaltée du monde extérieur, entre son rôle de substitution, celui d’une mère avant l’heure et sa volonté d’émancipation de jeune adulte. Marion est un personnage tiraillé entre ses propres décisions, ses envies, sa vie et celles de sa mère instable. Un personnage complexe dessiné par le réalisateur pour cette jeune actrice qu’il avait découverte lors d’un stage de jeu face caméra.

Marion n’est pas seule. La Ruche, c’est un flux d’énergies qui s’influencent et qui se rééquilibrent constamment, celles de Marion, de Claire, de Louise et de leur mère, Alice. Chacune d’elles sont les parties d’un tout, de la ruche. Alors que Claire, interprétée par Mara Taquin, apparaît comme une tête brûlée explosive à fleur de peau, Louise, la cadette, est encore l’enfant qui parvient à édulcorer la réalité. La reine mère, c’est Ludivine Sagnier qui manipule, désoriente, culpabilise, sabote ses filles sans retour arrière possible.

La caméra de Christophe Hermans s’est immiscée dans cette ruche en perpétuel mouvement. Malmenée, à l’instar des protagonistes, la caméra suit ces allées et venues, ces gestes à la fois tendres et violents, cette danse des abeilles qui, en étant toujours ensemble, tiennent le cap pour rester debout. Cette caméra instinctive, presque animale, engage le public dans cette quête acharnée d’une tendresse maternelle inaccessible.

Leur secret est bien gardé dans cet appartement dont les fenêtres s’ouvrent et se ferment constamment comme si elles voulaient elles aussi crier au monde le drame quotidien qui se joue à l’intérieur, dure réalité partagée dans de nombreux foyers aujourd’hui. Christophe Hermans fait résonner ces voix qui hantent, celles de parents malades qui, en omettant d’être bienveillants, détruisent à petit feu celles et ceux qu’ils ont mis au monde. C’est un cercle vicieux inextricable, les enfants qui portent ce fardeau voudraient s’enfuir, ici, c’est le père parti qui tente timidement de convaincre ses filles, en vain.

Sortir d’une ruche est presque impossible.

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