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Rencontre avec Christophe Hermans autour de l’asbl AnotherLight

Publié le 03/12/2019 par Nastasja Caneve / Catégorie: Entrevue

AnotherLight, c’est quoi ? C’est une équipe de cinéastes, d’artistes et de techniciens professionnels de l’audiovisuel qui conjuguent leur expérience, leur talent, leur force pour permettre à tout un chacun d’accéder au monde du septième art. Ensemble, ils proposent des activités diverses allant de la création de courts-métrages et de documentaires, à la formation aux métiers du cinéma dans le secteur social en passant par l’organisation d’ateliers éducatifs sur l’image et l’expression cinématographique pour tous les âges sans oublier une intervention dans divers projets cinématographiques notamment via le prêt de matériel. AnotherLight, c’est une autre lumière sur le cinéma, c’est permettre à des gens, qui n’en auraient pas la possibilité, d’atteindre leurs rêves en sortant des sentiers battus.

Cinergie : AnotherLight, c’est qui ? C’est quoi ?
Christophe Hermans : Au départ, c’était une association de trois réalisateurs : Xavier Seron, Jacques Molitor et moi ainsi qu’un storyboarder pour le cinéma, Pascal Degrune. On a créé cette asbl à Huy dans le but de proposer des stages de jeu face à la caméra pour des non comédiens. Notre objectif était de permettre à quiconque d’avoir accès au cinéma, de s’essayer à la caméra pour dénicher de nouveaux talents mais surtout pour que ces personnes puissent vaincre leur timidité et affronter le regard des autres. On a réalisé des ateliers dans des écoles pour handicapés, des enfants autistes, des réfugiés politiques, des personnes qui sont loin de ce milieu-là mais qui ont toujours eu, dans le fond, l’envie d’essayer. C’était notre envie première. Progressivement, l’équipe a changé et on a développé plusieurs créneaux : la formation, les activités, la production, les trois grands pans de notre structure.

C. : Que proposez-vous comme formations ?
C. H. : On collabore soit avec Technifutur à Liège ou avec l’IFAPME pour proposer des formations de jeu face caméra, le fondement de l’asbl, des formations écriture de scénario de type court et type long, une formation réalisateur qui s’étend sur 6 mois avec Technifutur, une formation postproduction qui s’attache aux différents métiers de la postproduction (monteur son, monteur image, mixeur, étalonneur, titreur) et d’autres petites formations comme celle sur le reportage. Depuis trois ans, on a développé avec la société WAHOO toutes ces formations qui répondent plus à une demande globale.

C. Ce sont chaque fois des réalisateurs différents qui encadrent les formations jeu face caméra. Comment les choisissez-vous ?
C. H. : On choisit des réalisateurs qui ont de l’expérience et on tente de sortir des sentiers battus. Le prochain stage sera organisé par Mathias Desmarres, un réalisateur de documentaires qui a fait une fiction. Son approche est beaucoup plus tournée vers le réel. Il se demande comment on peut être un acteur du réel et, souvent, on est face à des acteurs qui viennent d’un conservatoire et on doit gommer leur jeu théâtral pour que leur jeu devienne le plus simple possible. De manière générale, ce sont des réalisateurs qui sont dans des genres différents. On prendra quelqu’un qui vient du cinéma fantastique comme Banu Akseki, du drame social comme Raphaël Dethier ou moi-même, de la comédie noire comme Xavier Seron, de l’absurde comme Jacques Molitor. Ce sont des réalisateurs avec qui on a déjà collaboré d’une manière ou d’une autre, des réalisateurs trentenaires qui sont de notre génération. On voudrait, par la suite, s’ouvrir à d’autres grands réalisateurs comme Frédéric Fonteyne, Benoît Mariage. Le but, c’est de s’élargir, d’aller plus loin. L’idée sera toujours de s’adresser à des gens qui n’ont pas accès au cinéma dans leur vie de tous les jours.

C. : Après avoir suivi ces différents ateliers, les participants ont toutes les cartes en main pour se lancer professionnellement ?
C. H. : Pour la formation de réalisateur suivie par une dizaine de personnes, on est obligé de s’assurer que les participants trouvent un travail dans les six mois qui suivent la formation. La formation de cette année a permis à 90% des participants de trouver un boulot dans le cinéma, pas forcément comme réalisateurs. Ils ont pu se tourner vers le jeu comme Vincent Overath, vers la production, vers le son comme Christopher Hohenheim Von Bouts. Notre objectif est que ces personnes trouvent de l’emploi. Par rapport à la formation scénario, une de nos anciennes étudiantes vient de réaliser son premier court-métrage avec le scénario qu’elle avait écrit pendant sa formation.

Ces personnes, qui sont déjà occupées par un autre métier, une autre vie, n’ont pas toujours la possibilité d’arrêter tout pour suivre une formation sur quelques années dans une école. Elles sont intéressées par des formations courtes ou de quelques mois. On ne s’adresse pas uniquement aux demandeurs d’emploi. On tente de s’adapter à la demande.

C. : Vous effectuez aussi des prestations pour des projets en cours ?
C. H. : Oui, on apporte une aide non seulement logistique, via le prêt de matériel, mais aussi humaine. Les techniciens qui travaillent sur le film sont aussi dans la structure. Il y a aussi un apport financier. Notre but est de produire plus et surtout de jeunes réalisateurs, notamment ceux qui ont suivi nos formations. On a envie de les suivre. Cela fait deux ans qu’on organise la formation réalisateurs avec le Pôle Image et Technifutur et, depuis lors, on a collaboré à la production de deux films avec les moyens qu’on a.

C. : Quels sont ces moyens justement ?
C. H. : On n’a aucun financement. C’est seulement par le bénévolat des membres et des administrateurs qu’on arrive à survivre. Notre objectif est de nous faire reconnaître par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans une aide pour la jeunesse ou l’éducation permanente, par exemple. Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore reconnus alors que l’asbl a plus de dix ans. On survit grâce à toutes les activités que nous proposons. C’est beaucoup de bénévolat.

C. : Vous faites aussi de la sensibilisation auprès des jeunes ?
C. H. : On organise des ateliers d’initiation au cinéma, d’écriture cinéma. On a de gros ateliers cinéma qui se font à Virton. On aide les jeunes à réaliser un documentaire pendant 15 jours sur des sujets de société importants. On développe ce qui est écriture, réalisation. Par exemple, aujourd’hui, trois des jeunes qui avaient suivi ce projet viennent de terminer l’IAD. On a ouvert des voies.

C. : Comment s’organisent ces projets avec les jeunes ? Ils sont réalisés à la demande des professeurs ?
C. H. : Cela dépend. On a reçu une demande du Lycée Martin V à Louvain-la-Neuve qui nous avait rencontrés lors du FIFF Campus. On a remis un budget puis c’est à eux de le trouver, même s’il n’est pas conséquent, pour faire l’activité. On peut aussi démarcher des écoles avec qui on aime collaborer et qui ont une option Art d’expressions. À partir de là, on tente de monter un projet et trouver le financement pour le réaliser. C’est un long processus mais c’est très intéressant aujourd’hui d’aborder l’éducation à l’image avec les jeunes.

N. C. : Travailler avec autant de publics différents ne vous fait pas peur ?
C. H. : Nous sommes une grande équipe et chacun a sa spécificité. Nous avons des profils qui sont plus adaptés à travailler avec tel ou tel public. Ils ont été formés pour cela, ce ne sont pas que des techniciens, ils sont aussi pédagogues. C’est une diversité qui est extraordinaire pour moi de pouvoir travailler avec des enfants, de jeunes adultes, des personnes qui ont un handicap léger. C’est là qu’est la grande richesse. C’est d’ailleurs pour cela que j’affectionne autant le documentaire car je peux suivre des personnes qui ont des chemins de vie qu’elles n’ont pas choisis. C’est formidable de permettre à ces personnes de s’ouvrir pour raconter quelque chose.

C. : Vous êtes les seuls sur Liège à proposer ce type d’activités ?
C. H. : Il existe une structure à Huy qui s’appelle Loupiote de Christophe Istace qui est plus centrée sur le jeune public et qui propose surtout des projections de cinéma, des ateliers de jeu face caméra et de l’éducation aux médias dans les écoles. On est basé à Liège parce qu’on est originaires du coin mais on aimerait faire voyager nos activités dans toute la Belgique. On tente de s’agrandir, c’est pour cela qu’on tente de trouver des partenariats avec des centres culturels un peu partout. De manière générale, on avait observé un manque d’ateliers et de stages face caméra, par exemple, qui se remplissent assez vite.

C. : Vous intervenez aussi au FIFFCampus ?
C. H. : Oui, pendant une dizaine de jours après le festival, on fait des ateliers de réalisation de courts-métrages en une journée. Cela va de l’écriture à la mise en place technique, au tournage jusqu’à une vision de rushes. Tout cela en moins de 7 heures et on fait une école par jour. On travaille sur des thématiques choisies par le professeur comme le harcèlement, le racisme. La diffusion se passe dans les écoles par la suite.

C. : Vous organisez aussi un ciné-club ?
C. H. : On a un ciné-club itinérant ouvert à tous dans des lieux improbables qui ont un rapport avec le film. On va projeter Split de M. Night Shyamalan dans une cave, la Course aux jouets dans un magasin de jouets. On prend des blockbusters mais on les détourne parce qu’il y a toujours des thématiques très intéressantes abordées. Par exemple, on peut faire un parallèle entre la Course aux jouets et Les Simpsons, on peut faire un lien entre Robocop et la police moderne et les médias. L’idée, c’est de proposer un film et susciter un débat, une réflexion par la suite. Beaucoup de spectateurs voient ces films au premier degré, c’est pourquoi on essaie d’organiser un événement festif tout en dégageant une thématique intéressante à développer. On veut ouvrir la culture à tous, pas seulement dans les centres culturels ou les cinémas, lieux qui peuvent parfois freiner certaines personnes. On observe que les personnes qui vivent dans de petits villages n’aiment pas trop se déplacer, on va donc vers elles.
À côté de ce ciné-club itinérant, on essaie de développer le ciné-club de Jean-Claude. On veut revenir au cinéma des années 1970- 80. On s’est inspiré du ciné-club de Jean-Claude à Liège qui organise des séances chez lui. Il diffuse des courts métrages anciens, des publicités, des journaux télévisés de l’époque avant de proposer le grand film et il organise un débat après. L’idée, c’est de revenir au cinéma de l’époque qui s’est perdu. L’objectif est de permettre aux gens de se rassembler. Jean-Claude, véritable érudit de cinéma, s’adresse plutôt à un public plus âgé qui appartient à sa génération. On veut faire coïncider le public à celui qui présente les films. Par exemple, on demandera à Sophie Breyer de présenter un film à un public d’adolescents.

C. : Vous avez encore d’autres projets pour la suite?
C. H. : On voudrait organiser une master class avec Pierre Richard sur une péniche autour de la comédie. Comme il a été réalisateur et acteur, on voudrait jouer sur ces deux facettes. Travailler sur la comédie est assez complexe et on voulait choisir un représentant. Avec Pierre Richard, on est dans la tradition de Keaton, de Chaplin, du comique de situation.

C. : Avec Thomas Xhignesse et Lucien Gabriel, vous êtes en train de créer une nouvelle structure de casting, Fugitif casting, en lien avec les ateliers face caméra d’AnotherLight.
C. H. : Oui, ce sera une structure qui ne veut pas être en concurrence avec les autres structures de casting comme ADK, Kadija Leclere, Sebastian Moradiellos. On veut aller dénicher ce comédien non acteur sur le terrain dont rêve un réalisateur. Cela va d’une façon de parler, d’un accent, d’un geste, d’une démarche. On veut compléter l’offre des autres structures de casting avec cette démarche singulière d’aller trouver ces perles du quotidien sur le terrain. C’est pourquoi les ateliers de jeu face caméra permettent de découvrir de nouvelles têtes qu’on pourrait reprendre dans notre future agence de casting.

C. : En sortant d’une école de cinéma, tu deviens toi-même formateur dans une asbl qui offre des formations parallèles. Comment pourrais-tu comparer les deux types d’enseignement ?
C. H. : Je n’avais pas vraiment envie d’être professeur, je voulais surtout accompagner des auteurs, des comédiens. Pendant longtemps, j’ai été assistant réalisateur. La direction de casting, c’est accompagner le réalisateur dans sa démarche artistique. Pour moi, c’est une continuité. En demandant à d’autres intervenants pour les ateliers et les stages, j’apprends beaucoup sur leurs pratiques et sur le cinéma. C’est en observant le travail des autres que j’apprends beaucoup. Quand on fait une école de cinéma, je pense qu’il y a un moment où on doit désapprendre parce qu’il n’y a pas de vérité. J’ai plus appris la direction d’acteurs après l’IAD que pendant. Les films de Pialat, Loach, Arnold sont constitutifs de ce que j’avais envie de faire dans mes films. J’ai beaucoup appris sur la technique, sur comment se battre pour y arriver parce que, quand on a la chance d’entrer dans une école de cinéma, on doit se battre pour aller jusqu’au bout. C’est aussi un lieu de rencontres incroyables. C’est là que j’ai rencontré les techniciens avec qui je travaille aujourd’hui. J’étais très jeune parmi des gens plus âgés et j’ai appris beaucoup d’eux comme Xavier Seron, Valéry Rosier, Jacques Molitor.

Je suis convaincu qu’il ne faut pas sortir d’une école de cinéma pour travailler dans ce milieu. Si je prends l’exemple de Bouli Lanners qui s’est formé seul pour arriver là où il est. C’est essentiel pour moi. Grâce à l’asbl, je fais des rencontres incroyables avec des personnes qui viennent d’autres horizons et qui ont une personnalité influencée par leur éducation, leur milieu et pas spécialement par une école de cinéma. On apprend sur des plateaux, en se prenant la vie en pleine face. J’ai toujours recherché des personnes qui ont du vécu, qui ont des choses à dire. Quand je suis entré à l’IAD à 18 ans, Philippe Vismara, un de mes professeurs m’avait interdit de faire de la fiction pendant mon cursus parce que j’étais trop jeune et trop éloigné du réel. C’est pourquoi il m’a mis en documentaire pour m’approcher au plus près du réel. Faire du cinéma, c’est parler de la société soit avec un décalage, soit avec humour, etc. Les films doivent venir nous chercher quelque part. Si j’arrive à me rattacher à quelque chose de la société, c’est là que le film a un impact.

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