La Vierge à l’enfant, deuxième film de Berivan Binevsa, nous plonge dans une quête de justice et de vengeance. L’histoire d’Avesta, incarnée par Hêvîn Tekîn, qui fuit Daech pour se venger des monstruosités qu’elle et sa famille ont subies. En arrivant en Belgique, Avesta, enceinte d’un enfant, preuve des violences sexuelles de son « séquestreur », cherche à se venger en tuant le frère de celui-ci. Malgré sa tentative, elle échoue en trouvant refuge dans un centre d’accueil pour réfugiés. Très vite, l’histoire tourne autour de l’injustice, du besoin de se faire entendre et de l’obligation d’être la mère d’un enfant non désiré.
La Vierge à l’enfant, de Berivan Binevsa, 2024
Avesta nous rappelle combien l’occupation et les violences que Daech a propagées dans toute la Syrie est loin d’être finie. Il y a encore tant de femmes qui sont kidnappées pour devenir les esclaves des partisans de Daech. Qu’importe l’âge ou la religion, ces femmes se font enlever leurs droits et se retrouvent presque toujours sans aucune perspective d’espoir ou de liberté jusqu’à leur mort. Avesta nous sensibilise à toutes ses histoires inconnues ou oubliées du monde.
L’image biblique de la « Vierge à l’enfant » ou plus généralement l’image divine de la « femme à l’enfant » nous renvoie aussi à cette récurrente thématique en peinture et en sculpture. Ce symbole évoque la nativité du Christ et la maternité de la Vierge Marie. Le film fait référence à cette iconographie à de multiples reprises dans des scènes comme l’allaitement ou l’attention sur les mains du bébé et de la mère, jusqu’au titre. Mais la Vierge à l’enfant nous renvoie aussi à ce besoin de devoir oublier son passé, afin de « redevenir » vierge des violences. Cette nécessité de continuer à vivre malgré ces cicatrices qui ne disparaîtront jamais. Marquée à vie, il ne lui reste que son avenir et son histoire.
Cette question est continuellement travaillée tout au long du film entre le besoin de justice, le pardon, l’obligation et la mort. Comment continuer à vivre alors qu’elle ne pourra plus se venger personnellement, comment continuer à aimer en devenant la mère de l’enfant de son bourreau ? Ainsi sa langue arrive à se dénouer et avec le temps, elle rend justice de son histoire en embrassant la figure de la rébellion, c’est ce que la fin peut nous laisser supposer.
Une histoire croisée avec son interprète, Yassemine, interprétée par Laëtitia Eïdo, qui, prise par l’injustice, s’accroche à tout faire pour l’aider. Yassemine trouve son propre combat en faisant exister ses histoires terribles.
Avec la Vierge à l’enfant, Berivan Binevsa signe un film d’une rare intensité, mêlant l’intime au politique pour nous confronter à des questions universelles : comment survivre à l’insoutenable, comment se reconstruire sans trahir son passé ? Hêvîn Tekîn, magistrale, incarne une Avesta déchirée mais résiliente, portée par une force qui dépasse la douleur. En jouant avec l’iconographie sacrée et les réalités brutales de notre époque, le film transcende son sujet pour devenir un cri universel, une œuvre aussi poignante qu’indispensable. Une leçon d’humanité qui hante bien après le générique.
Le film prend une place significative par sa reconnaissance par les nombreux prix remportés, notamment par le Prix du Public et Prix des Grenades au festival du cinéma Méditerranéen, 2024.