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Les Enfants ouvriers de Marta Bergman

Publié le 14/05/2019 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Un jour, mon grand oncle, gros bonhomme d'ordinaire taiseux, m'a raconté comment il avait commencé à travailler. Il avait 16 ans. Pas un job d'étudiant de quinze jours pour se payer un billet bon marché pour le soleil, non. Un vrai travail, un travail dur, un travail d'homme. Ce n'était pas un choix mais une obligation. Il aurait probablement préféré jouer au football après l'école, faire les 400 coups avec ses copains, mais non. Son père l'a emmené aux tubes de la Meuse et a demandé au contremaître si le petit pouvait travailler. Et le lendemain, le petit commençait. C'était le début d'une routine de plusieurs dizaines d'années. Routine qui m'a toujours échappé. "L'important, c'était d'aller travailler" qu'ils répétaient les grands parents.

Les Enfants ouvriers de Marta Bergman

Mon grand oncle aurait pu témoigner dans le film de Marta Bergman. La réalisatrice a rencontré des hommes et des femmes belges qui ont commencé leur carrière d'ouvrières et d'ouvriers alors qu'ils avaient entre 10 et 14 ans. Des petits mineurs, des verriers au Val Saint-Lambert, des trieuses de laine, des apprentis, des servantes, autant de professions qui échappent à la majorité des petits Belges d'aujourd'hui. Et, pourtant. C'était monnaie courante à l'époque.
Diplômée de l'INSAS, Marta Bergman a réalisé plusieurs documentaires autour et avec les communautés rom abordant ainsi ses propres origines. Dans Les Enfants ouvriers, elle se concentre sur l'enfance perdue de ces hommes et femmes, belges, qu'elle rencontre une cinquantaine d'années plus tard. Entre hier et aujourd'hui, entre images d'archive et scènes quotidiennes actuelles, la réalisatrice tente de faire parler ces enfants vieillis trop vite, eux qui ont été abusés et désabusés, sans piper mot à l'époque. Aujourd'hui, ils parlent, se confient, se souviennent de ces patrons qui ne les nourrissaient pas, de ces contremaîtres qui avaient les mains baladeuses, de ces journées harassantes, de ces paies dont ils ne jouissaient pas.
Un documentaire qui rend hommage à ces gamins qui ne regrettent rien, qui n'avaient pas vraiment d'autres perspectives. "Après mon père, mon oncle, mon frère, c'était mon tour." Et ils ne regrettent rien. À refaire, ils recommenceraient. Une carrière qui forge une vie, une raison de vivre. Comme le chante Lavilliers, "Je voudrais travailler encore, travailler encore. Forger l'acier rouge avec mes mains d'or". Difficile d'imaginer une autre vie quand on a les mains dedans et que cela semble normal pour tout le monde.
À l'heure des Masters interminables, des carrières scolaires à rallonge, des "Tanguy" qui s'éternisent à la maison, des jeunes qui veulent vivre tranquillement faisant du travail une occupation sympathique et rémunératrice non énergivore, la réalité de nos grands parents nous échappe. Et pourtant, cette réalité est loin d'être désuète. Aujourd'hui encore, des gamins travaillent dans des conditions exécrables aux quatre coins du globe. Un documentaire réalisé en 1999 qui prend encore tout son sens à l'heure actuelle.

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