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Rencontre avec Marta Bergman et Alina Serban : Seule à mon mariage

Publié le 05/02/2019 par Dimitra Bouras et Serge Meurant / Catégorie: Entrevue

Ce premier long métrage de Marta Bergman s’inscrit dans la continuité des documentaires réalisés vingt ans plus tôt : Un jour mon prince viendra et Clejani
Alina Serban qui interprète le personnage de Pamela est une jeune actrice et une écrivaine de théâtre engagée dans la défense des Roms. C’est son premier rôle au cinéma. Elle crève l’écran par l’énergie solaire qui se dégage de son jeu, son humour et son culot. Cette entente parfaite entre Alina Serban et Marta Bergman a donné au film sa dimension universelle, son humanité. Marie Dumora , au nom de l’ACID qui récompensa le film à Cannes en 2018 et en assure la distribution, écrivait : « Dans ce récit d’apprentissage où, comme chez Renoir, « chacun a ses raisons », le film d’une générosité subtile, laisse sa chance à tous de la saisir, de trouver sa propre voie, d’en sortir grandi, et bouscule dans sa fièvre la bienséance d’un récit classique, d’une vie programmée ».

Cinergie : En 1997, vous réalisiez un documentaire qui, sous le titre de Un jour mon prince viendra, traitait du sujet de votre long-métrage actuel. Trois jeunes femmes roumaines, ayant chacune connu une histoire d’amour douloureuse avec un Roumain, cherchaient à rencontrer un homme européen qui pourrait les aimer pour elles-mêmes...
Marta Bergman : Seule à mon mariage s’inscrit dans cette continuité à la fois thématique de paysages fantasmatiques de mes films documentaires. On y retrouve les éléments de gens qui rêvent, qui fantasment d’un ailleurs. Et ce rêve est toujours très présent en Roumanie bien qu’aujourd’hui les gens soient très informés. Je crois cependant que le rêve persiste parce que les gens ont sans doute besoin d’explorer un ailleurs.
J’ai donc choisi de créer une héroïne, Pamela, qui va au bout de ses rêves. Cela s’inscrit aussi dans le cadre de l’amitié et des liens que j’ai pu nouer, au fil des ans, avec les musiciens roms du village du Taraf des Haïdouks dans lequel Frédéric Fichefet et moi-même avions tourné le documentaire Clejani.
Ces éléments sont liés aussi à un contexte social, bien réel, où beaucoup de monde part à l’étranger pour travailler et pour ramener de l’argent au pays. Tous ces éléments ont donné naissance à Pamela et à son histoire. Elle est issue de cette mer d’informations et de rencontres qui m’ont inspirée.
Je voulais pouvoir écrire l’histoire d’une héroïne romanesque sans la contrainte du réel, bien que je puise mon inspiration dans la réalité. Il est vrai cependant que ma fiction s’enrichit d’éléments qui proviennent de mes documentaires, comme d’ailleurs dans ceux-ci j’aime mettre en scène des personnages en termes d’actions, de narration. Les deux éléments se complètent. Je les perçois comme complémentaires.

Cinergie : Pourquoi cette passion pour la Roumanie et les Roms ? Sont-ce vos origines ?M . B : Je suis née en Roumanie, j’y suis retournée souvent. C’est un pays qui m’inspire, riche en histoires. Les Roms constituent une minorité en Roumanie. Je n’ai jamais voulu réaliser un film généraliste sur les Roms. Sous cette appellation, il y a plein de peuples différents, de personnalités différentes. Il est vrai qu’il y a sans doute des récurrences qui me plaisent : un esprit non conventionnel, une sorte d’énergie positive, dans le marasme négatif. Des qualités qui m’ont inspiré le personnage de Pamela : elle est solaire, énergique, douée d’humour et d’un sens de la dérision. Elle a du culot. Ce sont là des choses qui m’ont inspirée, mais cela sans vouloir faire un film sur les Roms.
Mais cette femme est Rom, en même temps que mère, amante, fille et petite-fille. Cela fait partie de sa personnalité complexe. Et en choisissant Alina Serban qui est une actrice et une écrivaine de théâtre engagée dans la défense des Roms, j’ai intégré cette dimension à mon projet de film.

C. : Comment se sont effectués les choix de lieux et de casting du film ?
M. B. : Nous avons effectué des repérages dans plusieurs villages en Transylvanie et aux alentours de Bucarest. Mais pour le rôle de Pamela, nous avons réalisé un casting d’actrices avec nos coproducteurs roumains qui nous ont énormément épaulés. Nous avons travaillé avec une équipe roumaine en Roumanie. Les postes importants ont été répartis entre nos deux pays.
Pour le rôle de Pamela, j’ai choisi immédiatement Alina Serban. Cela me semblait une évidence. Quand au rôle de la grand-mère, il est joué par une chanteuse qui se produit encore avec certains membres du Taraf des Haîdouks, Viorica Rudareasa. C’est une femme que j’adore.

C. : Quelque chose a-t-il changé depuis la réalisation du documentaire en 1997. Les femmes ont acquis davantage de possibilités de pouvoir contracter des mariages à l’étranger ?
M.B. : Ce qui a beaucoup changé aujourd’hui, c’est la libre circulation des Roumains en Europe. Mais ce qui demeure toujours présent, et que j’ai pu constater au cours de mes repérages, auprès des jeunes filles et des jeunes hommes rencontrés, c’est le rêve de pouvoir construire leur vie ailleurs. Parce que dans ces villages, il n’y a pas beaucoup d’espoir. Les femmes sont toujours tenues à leur rôle traditionnel de s’occuper des petits, d’aider à la maison. Bien que cela ne soit pas une contrainte, ni une loi. Mais cela fait partie de la tradition à la fois des villages et des Roms. Et cela bien qu’il n’y ait pas d’interdiction d’aller à l’école. Mais la libération des femmes ne s’impose pas comme quelque chose de naturel et d’évident.
Mon film adopte un point de vue formel et cinématographique. J’ai choisi de traiter d’un rêve, sans pourtant m’éloigner de la réalité. Il naît de l’idée que c’est ailleurs qu’en Roumanie que les hommes ont davantage de qualités humaines en Europe. C’est un fantasme qui n’appartient pas qu’aux femmes et que partagent également les Roumains.
Mon film s’inscrit dans la suite de Clejani où une jeune fille, à la fin du film, part à l’Ouest travailler dans un bar, peut-être se prostituer, bien que cela ne soit pas clairement dit, parce qu’elle appartient à une communauté très pudique où on ne nomme pas tout. Et je me suis toujours demandé quelle serait sa destinée une fois partie. Et à partir de toutes ces interrogations, je me suis imaginé son destin. Je ne me suis pas posé davantage de questions que Pamela. Comme celle-ci j’ai suivi mon intuition en écrivant mon scénario.
Pour moi, il s’agit d’un film d’amour... au pluriel. Bruno, rencontré sur skype, est un homme fragile, un peu mal dans sa peau, qui a besoin du regard des autres pour se faire une opinion sur lui-même. La relation avec Pamela va l’épanouir, lui apporter des choses qui lui manquent, notamment la vie, l’audace, l’humour. Mais je n’ai pas envie d’en révéler davantage au spectateur.

Les langues

Je tenais à ce que chacun des personnages du film parle sa propre langue. Et j’aime beaucoup ce mélange d’accents et de langues. Je crois que le langage – le flamand pour Bruno et le roumain pour Pamela – explique une partie de l’incompréhension entre l’un et l’autre. Si l’incommunicabilité est profonde entre eux, c’est là que réside pour moi la véritable rencontre.C’est une relation qui les transforme tous les deux.
Lors de repérages, j’ai demandé aux jeunes filles rencontrées : « Quel est ton rêve le plus profond ? » et toutes m’ont répondu : « Faire des études » … C’est là quelque chose qui me touche profondément et qui m’a inspiré le personnage féminin de mon film.

C. : Il y a aussi à la fin du film un épisode où l’on voit une communauté Rom en Belgique et où Pamela se fait mal recevoir. Et on ne peut s’empêcher de faire le lien entre la condition des Roms ici et en Roumanie.
M.B. : Mais il s’agirait pour moi d’une autre thématique : celle de l’identité. Car Pamela n’appartient plus vraiment à cette communauté Rom. À quel monde appartient-t-elle alors ? En cela réside un changement. C’est une question complexe qu’exprime son personnage.

Les acteurs

On ne peut pas parler de répétition au sens traditionnel du terme, mais j’ai travaillé avec les acteurs de façon surtout corporelle, sur différents thèmes, sur les dialogues, la manière de parler et de bouger. Il en résulte une grande implication des acteurs dans leur interprétation des personnages. Alina Serban qui interprète le rôle de Pamela est une actrice née dans une famille Rom en Roumanie. Elle a joué et écrit pour le théâtre et est très engagée pour la cause de la communauté Rom. C’est ici son premier rôle dans un long-métrage de fiction. Je l’ai choisie pour son charisme, sa forte personnalité.


Alina Serban, comédienne

Cinergie : Expliquez-nous votre travail au théâtre, et pourquoi êtes-vous autant investie dans la question de l’identité rom ?
Alina Serban : Je suis née en Roumanie et j’ai grandi sans jamais avoir vu d’histoires auxquelles je pouvais m’identifier, ni à la télé, ni au cinéma, et j’ai traversé de nombreuses épreuves pour avoir accès à l'éducation. Quand je suis sortie de l’école de « théâtre », je ne voyais que des histoires qui nous caricaturaient, nous les Roms. Alors j’ai commencé à raconter ma propre histoire. Et j’ai écrit une pièce appelée « I declare at my own risks » et c’était un pas très timide, pour dire publiquement « Je suis Rom, je suis ici pour vous dire que je ne suis pas inférieure ni supérieure à vous, mais je n’ai pas autant de ressources que vous; et pas seulement moi mais nous tous, les Roms». C’est comme cela que je suis devenue la pionnière du « théâtre politique » en Roumanie.
J’ai commencé il y a 10 ans en 2009, avec le théâtre et des performances de rues contre les discriminations sur les
Roms. C’était nouveau et bizarre, parce que je n’étais pas là pour divertir et être exotique, mais pour mettre un visage humain sur les stéréotypes.

Je continue sur cette voie, j’écris des pièces, j’en ai écrites trois : « I declare at my own risks » (que j’espère faire en français cette année), « Home » (que j’ai écrite à Londres) sur ce que c’est de travailler dans un pays quand on n'a pas de permis de travail. Mon dernier projet s’intitule « The Great Shame » (la Grande Honte) sur l’histoire de l’esclavage des Roms dont on ne connait pas grand-chose (même en Roumanie) mais qui expliquerait beaucoup de choses quant aux discriminations que les Roms subissent, qu'on les accuse d'être des gens qui ne veulent pas travailler et qui font la manche dans la rue. On ne se demande jamais pourquoi les Roms sont une des minorités les plus détestées en Europe. C’est pourquoi j’ai commencé avec ma propre histoire et puis je me suis intéressée à mes ancêtres et je me suis demandée comment en est-on arrivé là ? Méritons-nous cette haine ? Non bien sûr ! Nous avons eu l’esclavage, l’holocauste et nous n’avons jamais été sur le même pied d’égalité. « La Grande Honte » parle de cette souffrance et honte de l’histoire, de l’identité. C’est un acte presque insignifiant mais pour moi c’est incroyable de voir une pièce de théâtre jouée par des Roms et des non Roms sur ces questions.

Et en attendant je suis une actrice mais je préfère le terme « raconteuse d’histoires ».

Cinergie : Comment avez-vous rencontré Marta Bergman ? Aviez-vous déjà vu ses projets ?
A. S. : Je jouais dans une pièce de Shakespeare et quelqu’un m’a appelé pour dire qu’elle voulait me rencontrer. Elle m’a dit qu’elle savait que c’était moi dès le moment où elle m’a vue, que je devais jouer Pamela et c’était génial car elle avait vu tellement d’autres actrices avant !
Seule à mon mariage m’a ramené vers beaucoup de souvenirs car nous avons tourné dans le village d’où vient ma maman et c’était un pur hasard car nous ne devions pas tourner là-bas à l’origine. Et quand nous sommes arrivés, j’ai rencontré pour la première fois Rebecca, ma nièce, qui joue ma fille dans le film. Et c’est Marta qui a demandé à ce qu’elle joue ma fille, c’était une surprise ! Et c’était vraiment incroyable de retourner là-bas et de tourner entourés de Roms.

C. : Avez-vous travaillé avec Marta sur le scénario ?...
A. S. : D’abord j’adore le fait que Pamela Soit Rom mais ce n’est PAS la chose qui la définie, elle est comme toutes les autres filles, c’est une histoire universelle. La productrice et la réalisatrice m’ont écoutée, en tant que Rom. J’étais très honnête, je disais : « Je ne crois pas à ça, ce n’est pas quelque chose que je reconnais ». Et j’insistais car quand on est une des premières figures roms à l’étranger, on représente son pays qu’on le veuille ou non, donc j’insistais vraiment pour ne pas faire de nous des victimes ou des anges, mais des êtres humains.

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