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Main basse sur le film de Frédéric Sojcher, réédition

Publié le 16/05/2021 par Solenne Deineko / Catégorie: Livre & Publication

À l’occasion de la sortie du nouveau livre de Frédéric Sojcher Je veux faire du cinéma, un manuel de survie en terrain hostile il est intéressant de faire un bon quelques années en arrière et de lire (ou relire) Main basse sur le film. Réédité et augmenté en 2021 aux éditions Genèse, le livre relate l’histoire rocambolesque du tournage du premier vrai long-métrage du réalisateur belge. Une histoire aux allures romanesques ou cauchemardesques, presque irréelles.

 

Tout commence en Grèce, à Symi. Là, sous le soleil d’été, démarre le tournage du premier long-métrage de Frédéric Sojcher, Regarde-moi. Enfin, plutôt son deuxième premier. Après quelques courts-métrages, le réalisateur avait déjà décidé de se lancer dans l’aventure d’un film de longue haleine, A comme Acteur. Mais celui-ci n'a pas vu le jour faute de financements. La pression pour réussir ce nouveau bébé qu’était Regarde-moi n’était alors que grandissante. 

Regarde-moi s'était la découverte par l'amoureux que son aimée avait été abusée sexuellement. Intrigue qui a dû se réinventer mais qu'on découvre en fin d'ouvrage comme étant la douloureuse blessure que porte le réalisateur. Ce film est donc un moment clef pour Sojcher, tant d’un point de vue cinématographique que d’un point de vue plus personnel.

La petite île de Symi concentre les souvenirs heureux des vacances de son enfance. Pourtant, le petit paradis du réalisateur va rapidement se transformer en enfer. Un enfer subtil, qui ne se crée pas d’un coup dans un grand chambardement, mais qui s’insinue petit à petit dans les esprits, dans les gestes, dans les ambiances, pour finir par être partout.

 

Bien sûr, l’enfer que nous décrit l’auteur est le sien. Celui qu’il a vécu, de son point de vue, de sa propre subjectivité et de ses propres susceptibilités. Néanmoins, les actes auxquels il a dû faire face semblent bien trop gros pour être inventés. C’est un véritable effet boule de neige qui a eu lieu sous le soleil grec. Et il suffit parfois de rien pour déclencher l’avalanche.

Dans sa préface, Bertrand Tavernier explique la première erreur de Sojcher sur le tournage : il ne partage pas le même hôtel que le reste de l’équipe. « Les premières heures d’un tournage sont primordiales. C’est là que naissent les rumeurs, les impressions » et il est donc nécessaire pour le réalisateur d’être présent pour pouvoir les contrer. Les intentions de Sojcher, en se séparant du reste de l’équipe en dehors des heures de tournage, étaient pourtant louables. Vouloir se ressourcer dans ses souvenirs, seul. Vouloir, selon ses mots, « ne pas imposer [sa] présence » aux techniciens et aux acteurs à qui il demande beaucoup de travail et d’énergie toute la journée. Or, c’est là que pourra se former la rébellion.

 

Dès le premier jour, les commentaires des techniciens vont bon train, ne comprenant pas toujours les intentions artistiques du réalisateur. Sa légitimité est directement remise en cause, notamment par l’ingénieur du son et sa remarque cinglante : « est-ce qu’on tourne un vrai film ? », après un accrochage entre la scripte et le réalisateur. Le manque de communication parfois, les rumeurs, les frustrations étouffées, tout cela est propice au putsch. Ce qui ne manquera pas d’arriver. Les techniciens vont faire front, les acteurs vont tourner le dos à Sojcher, l’acteur principal va prendre sa place, du haut de toute son arrogance. Une tension va grandir de jour en jour entre le réalisateur et le reste de l’équipe. Ses alliés sont moindres et généralement éphémères sur le tournage. Et les situations absurdes vont s’enchaîner, jusqu’au moment où il sera demandé à Sojcher de ne pas s’approcher des membres de l’équipe à moins d’un mètre cinquante, de ne pas leur adresser la parole, pour au final être contraint de partir de son propre tournage pour se réfugier à Bruxelles et préparer la suite du film. Mais les péripéties ne vont pas s’arrêter là pour Sojcher, dont on va essayer de voler le film dans son ensemble et non plus simplement sur son plateau.

 

Dans Main basse sur le film, Sojcher nous livre donc son expérience, ses angoisses. Il nous livre le récit de ce qu’il peut se passer sur un tournage, bien que celui-ci ait été particulièrement violent. Une réalité à laquelle on est confronté sans ménagement. Une expérience à mettre dans les mains de tout futur cinéaste.

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