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(N)iemand de Patrice Toye

Publié le 06/11/2008 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Avez-vous déjà ressenti le désir de changer de vie ? De disparaître complètement sans laisser de trace ? De sortir faire un tour et ne plus jamais revenir ? De remettre le compteur à zéro en abandonnant vos proches, votre travail, votre maison et la routine ordinaire, direction un pays ensoleillé, exotique, excitant, en quête d’aventures ?...

(N)iemand de Patrice Toye

Il tape sur des bambous…

He's a real nowhere man,
Sitting in his Nowhere Land,
Making all his nowhere plans
for nobody.”

Le nouveau film de Patrice Toye (Rosie) aborde le cas de Tomas (Frank Vercruyssen), la quarantaine, heureusement marié et salarié, qui un beau jour voit son bonheur et son intégrité menacés par la routine, le manque d’authenticité, l’absence de prise de risques… Insatisfait au sein de cette société qui l’étouffe malgré le soutien de sa jolie femme, la sécurité d’un emploi qui l’endort et sa maison proprette en banlieue pavillonnaire, Tomas décide d’aborder une réalité nouvelle et de « quitter » sa vie. Profitant d’un incendie il se fait passer pour mort, laissant derrière lui cette existence trop tranquille qu’il traînait comme un poids mort. Il se rend dans une petite station maritime des Caraïbes écrasée par le soleil tapant où il va tenter d’ouvrir un bistrot et ainsi se la couler douce pour le restant de ses jours… Une fois disparu pour de bon, Tomas va pourtant réaliser que son rêve n’allait pas plus loin… et découvrir que comme le veut l’expression « The grass is always greener over the sceptic tank ». Ainsi, si l’herbe est toujours plus verte chez le voisin, le voisin lui, n’accueille pas Tomas à bras ouvert et s’avèrera extrêmement hostile à l’arrivée de ce citadin blanc comme une aspirine. Tomas fera la douloureuse expérience de la solitude, de l’errance, de l’incompréhension, du chômage et la queue entre les jambes, devra finalement faire demi-tour 5 ans plus tard et tenter un douloureux mea culpa.

Chapitré en trois actes bien distincts (l’abandon / l’aventure / la tentative avortée de rédemption) le film de Patrice Toye fonctionne le mieux lors de son premier acte intriguant et terriblement fédérateur : qui en effet, en faisant le bilan d’une vie n’a jamais souhaité revenir en arrière ou repartir à zéro ? Qui n’a jamais culpabilisé d’avoir laissé tomber certaines ambitions et d’avoir laisser le temps passer à une vitesse folle ? Tomas en est arrivé à se demander si sa vie « c’est juste ça… » Ca et rien d’autre ? Et maintenant, quoi ?... On attend la mort en silence ? Patrice Toye entame ainsi son film dans l’esprit des meilleures comédies de mœurs américaines : avec humour ainsi qu’une certaine légèreté. Une réflexion sur le port de la barbe entre Tomas et un collègue peu concerné est à n’en pas douter la meilleure scène du film. Les thématiques font penser à American Beauty ou encore au chef d’œuvre méconnu de Melvin Frank et Neil Simon, The Prisoner of Second Avenue dans lequel Jack Lemmon en pleine crise existentielle pètait un plomb au grand dam d’Anne Bancroft, son épouse. Le film bien engagé, Toye décide pourtant de changer de ton du tout au tout dans un deuxième acte qui nous emmène aux Caraïbes.

Paysages magnifiques, ciel et mer bleus, short et lunettes de soleil, Tomas fantasme d’abord sa nouvelle existence comme un vidéoclip des Beach Boys, du style «  We’ll get there fast and then we’ll take it slow… » : palmiers, vahinées et noix de coco, les doigts de pieds en éventail à siroter des cocktails fruités au bord d’une plage de sable fin. Tomas va pourtant vite déchanter et découvrir une version cauchemardesque de son fantasme infantile, une version des clichés précités dignes d’un Samuel Beckett. Il devient alors malgré lui ce « nowhere man », référence évidente à la chanson des Beatles. Car malgré sa volonté farouche d’échapper à sa vie, Tomas va s’avérer incapable d’échapper à lui-même… En quête de sa propre identité, celui qui pensait avoir commis un acte héroïque va bientôt se rendre compte de sa lâcheté, de son égoïsme et finalement de ses limites. Abandonné de tous, rejeté par des voisins particulièrement hostiles, Tomas devient une espèce de Robinson Crusoé pestiféré sur sa propre île avec pour seul compagnon un indigène dont il ne parle pas la langue, un Vendredi de fortune bien encombrant qui confère encore davantage à Tomas son statut d’homme perdu, englué dans propre solitude et à qui le monde extérieur commence à manquer terriblement.  

Patrice Toye prend pour modèle et comme source d’inspiration principale les antihéros de Michelangelo Antonioni dans sa manière d’illustrer la solitude et l’isolement total de l’espèce humaine, des thèmes qui confèrent à (N)iemand une universalité qui va donc bien au-delà des frontières du cinéma flamand. On pense notamment beaucoup à Profession : Reporter, un des modèles ayant fortement inspiré le film et auquel il est fait référence. On pourra cependant regretter l’abandon en cours de route du thème du lâche qui se prend pour le héros, un thème très intéressant de prime abord mais malheureusement sous-exploité. En cela, le troisième acte, dont il ne vaut mieux pas révéler la teneur risque de dérouter, de provoquer le rejet et de laisser une partie du public sur le carreau… Difficile d’en dire plus, mais ce troisième acte mystérieux convoque une imagerie et des thématiques entre David Lynch et Park Chan-Wook.

Un final mystérieux, qui risque de diviser très fort et qui tranche fortement avec le ton guilleret du début… Tortures physiques et mentales, enfermement physique et mental, (N)iemand prend une tournure pour le moins déroutante, fable sur l’enfermement, la rédemption, le pardon… et en fin de compte sur l’amour indéfectible qui unit les êtres. Mélange de réalisme social et de rêve, (N)iemand ne fera donc pas en fin de compte l’unanimité. Si certains y verront un final lourd d’emphases et moralisateur, d’autres pourront trouver là une alternative flamande et auteurisante aux films de torture à la Saw qui encombrent nos écrans depuis quelques années. Une alternative visuellement réussie, mais qui laissera totalement froid si l’on n’est pas près à se laisser aller totalement à l’abandon, si l’on n’est pas prêt comme Tomas à faire le grand saut dans l’inconnu…

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