Muidhond, La Tanche en français, est un poisson d’eau douce que l’on trouve en Eurasie mais c’est aussi le titre du dernier film de la réalisatrice flamande Patrice Toye tiré du roman éponyme de la psychologue judiciaire Inge Schilperoord. Muidhond, c’est l’histoire de Jonathan, un jeune pédophile libéré de prison faute de preuves. En retournant vivre chez sa mère, il rencontre Bes, une fillette du voisinage et ses pulsions remontent à la surface. Jonathan est aussi, comme ce muidhond dans son aquarium, enfermé dans son propre corps, tentant de refouler ses propres désirs, luttant constamment entre le bien et le mal, se déchaînant avec lui-même, celui qu’il ne veut pas être.
Rencontre avec Patrice Toye, réalisatrice de "Muidhond"
Cinergie : Pourquoi avoir choisi le sujet de la pédophilie ?
Patrice Toye : Tout est parti du livre d’Inge Schilperoord. En le lisant, je me suis sentie concernée car je suis maman de deux filles. J’avais, comme beaucoup de gens, des a priori sur les pédophiles. Je pensais : ce sont des monstres, des gens pas bien. Au fur et à mesure que je me renseignais, j’ai découvert qu’ils ne sont pas tous heureux de souffrir de cette orientation sexuelle avec laquelle ils sont nés et qu’ils n’ont pas choisi d’avoir. Et puis, dans le monde dans lequel on vit, qui est devenu très polarisé, où tout est noir ou blanc, je trouvais qu’il fallait continuer à faire des nuances, à montrer que le monde est complexe. Il faut nuancer avant de juger.
Ce n’est pas parce que je veux essayer de comprendre quelqu’un qui souffre de cela que je l’approuve. Et, s’il passe à l’acte, il faut punir. On ne peut pas s’en prendre aux enfants. Il y a entre 1 et 3% des hommes qui ont ce penchant et nombreux ne passent pas à l’acte. Il y a des monstres, mais il y a aussi de nombreux êtres humains qui ont besoin d’aide. Il est prouvé que les prédateurs potentiels passent plus vite à l’acte quand ils n’ont personne à qui parler et qu’ils se sentent isolés.
Je n’approuve rien et ce n’est pas parce que j’essaie de comprendre ce jeune homme que je cautionne son acte. Jonathan n’a pas choisi d’être comme cela. Il n’ose en parler à personne, il se sent isolé, il ne peut pas chercher de l’aide, il est seul avec son problème. Et, c’est là que réside le danger. Déshumaniser et culpabiliser ne sert à rien. Il faut en parler et tenter de trouver des traitements pour les aider.
C. : Il semble que vous vous êtes bien renseignée sur le sujet.
P.T. : Je suis cinéaste et je ne voulais pas parler de la pédophilie, je voulais parler d’un jeune homme qui souffre parce qu’il a, en lui, un bon et un mauvais côté. Il souffre beaucoup de cette lutte intérieure constante. Je me suis renseignée sur le sujet car je ne voulais pas raconter n’importe quoi.
Et depuis l’affaire Dutroux, la façon de regarder un enfant et la sexualité a totalement été bouleversée et beaucoup de parents, surtout les papas, n’osaient plus prendre leurs enfants dans les bras. C’est difficile de parler de façon nuancée de ce problème. Le plus grand anti héros est probablement un pédophile. Cela reste un grand tabou et c’est important de montrer la réalité : ce ne sont pas tous des monstres.
C. : Quelle a été votre relation avec l’autrice Inge Schilperoord ?
P.T. : Dès le début, le contact est bien passé. Elle m’a donné son livre et elle m’a fait confiance. J’ai changé beaucoup de choses, je ne voulais pas être l’esclave du livre qui est un long monologue intérieur, avec une autre fin, avec des flashbacks, des passages très explicites que je ne voulais pas utiliser dans le film. Je préférais travailler avec l’imagination du spectateur plutôt que de lui montrer et lui imposer des images.
C. : Comment s’est passée la collaboration avec elle ?
P.T. : Elle n’a pas écrit le scénario avec moi mais on s’est souvent tournés vers elle car elle travaille avec des gens qui ont ce problème. Elle nous a donné des conseils et nous a expliqué ce que faisaient les psychologues pour travailler avec ces personnes. Elle-même travaille avec des criminels en tant que psychologue, souvent des criminels qui ont commis des délits sexuels et un de ses patients était un homme qui souffrait de cela, qui se détestait lui-même, qui voulait se tuer.
C. : L’image du film est recouverte d’une sorte de voile, ce qui provoque un effet d’irréel, d’immatériel tout en étant bien incrusté dans un paysage industriel bien réel. Cela provoque une sensation étrange.
P.T. : Cette contradiction a été amenée de manière consciente. Être proche tout en gardant de la distance. Je me suis inspirée du travail du photographe Todd Hido qui crée de l’intimité tout en gardant de la distance.
Je voulais aussi que les images parlent d’elles-mêmes, avec peu de dialogues, et je voulais prendre le temps, faire un cinéma où l’on sent le temps qui passe.
C. : Parlez-nous de la mère de Jonathan qui est très proche de lui mais qui a aussi une réaction de rejet.
P.T. : Elle aime son enfant, mais elle ne sait pas communiquer avec lui. Je peux très bien la comprendre et je me suis demandé ce que je ferais dans une situation pareille. Ne pas parler d’un problème, c’est un peu comme s’il n’existait pas. Elle souffre aussi de l’image de mère de pédophile que la société lui renvoie.
C.: Comment s’est passé le travail avec Tijmen Govaerts ?
P.T. : J’ai d’abord fait la connaissance de Tijmen qui est très doué. Il a été courageux d’accepter de jouer un rôle pareil et je l’en remercie. Il a osé montrer son côté vulnérable. On s’est beaucoup interrogés parce qu’on savait qu’on marchait sur un fil et on a fait attention de ne pas tomber dans certains pièges. C’était merveilleux car il avait une totale confiance en moi.
J’ai aussi passé un très bon moment avec Julia Brown, la fillette, dont j’étais très proche et avec laquelle j’ai partagé les inquiétudes.
C.: Cela devait être très intense comme relation et comme environnement. Le tournage n’a pas dû être très léger.
P.T. : C’est vrai, mais j’ai adoré ça. Je voulais garder une fragilité autour de ce que l’on faisait et je voulais que les acteurs se sentent bien pendant le tournage pour pouvoir incarner leur personnage. Je demandais toujours à Tijmen s’il voulait aller aussi loin. Il y avait des limites pour moi, pour lui et pour Julia. Je ne voulais pas qu’ils se sentent utilisés. On a demandé l’aide d’une psychologue pour aider la fillette pour ne pas qu’elle ait de trauma après le tournage. Je ne voulais pas qu’elle se sente comme un objet de désir, mais comme une enfant. Ce n’est pas de sa faute à elle s’il a des sentiments de désir pour elle, c’est de sa faute à lui.
C.: Comment s’est passée la rencontre entre les deux comédiens ?
P.T. : Elle s’est faite petit à petit, un an avant le tournage. D’abord, tous les mois puis toutes les semaines, ils se sont vus pour qu’il y ait une confiance entre eux, un bon sentiment. C’était aussi important d’avoir un bon dialogue avec la maman et le papa. Ils avaient lu le scénario et savaient très bien ce qui allait se passer. Tout était très délicat.
C.: Les rencontres n’étaient pas des répétitions ?
P.T. : Non pas vraiment parce que je crois que si on fait des répétitions, on perd la spontanéité, surtout avec les enfants. Mais, on allait se promener, on allait au cinéma, au théâtre, au zoo.
C.: Les animaux occupent une place importante dans votre film.
P.T. : Oui. Cela me permet de montrer le côté humain de Jonathan. Il aime les animaux, il aime parler au poisson et lui dire ce qu’il pense. Des études démontrent que la tanche est un poisson qui aurait des propriétés curatives pour les autres poissons. Cette tanche qu’il veut soigner est son ami et son miroir. Comme elle, il est dans une prison sans jamais pouvoir prendre sa liberté.
C.: Dans tous vos films, on peut observer cette fragilité entre l’enfance et l’adolescence où l’être humain n’est pas encore défini, où il se cherche.
P.T. : Cela m’intrigue et je me sens proche de cela. C’est un moment important dans la vie : quand on n’est pas encore tout-à-fait adulte, qu’on a des espoirs, qu’on se demande qui l’on est, pourquoi on n’est pas quelqu’un d’autre. L’homme a ses limites, ses défauts et ses qualités.