L'art est-il soluble dans le cinéma ?
Le Centre du Film sur l'art, situé à Bruxelles, qui achète et diffuse des films d'art et d'artistes, n'a pas d'équivalent. Rencontre avec son heureuse secrétaire générale, Nicole vander Vorst.
Le Centre du Film sur l'art, situé à Bruxelles, qui achète et diffuse des films d'art et d'artistes, n'a pas d'équivalent. Rencontre avec son heureuse secrétaire générale, Nicole vander Vorst.
Paradoxal et pourtant logique. Notre communauté possède une asbl unique au monde, dont la fonction essentielle est d'acheter et de diffuser des films et vidéos dont l'art est le propos et réalisés par des artistes: le Centre du Film sur l'Art. Paradoxal dans un pays qui, c'est peu de l'écrire, ne s'est jamais beaucoup soucié de ses artistes, ou alors après leur mort, avec retard, et n'a jamais fait réellement grand cas de son patrimoine culturel.
Et pourtant logique d'un point de vue cinématographique: ce type de films n'est-il pas, avec le documentaire et le court métrage, celui au sein duquel le septième art belge a trouvé ses plus beaux accomplissements ?
Henri Storck, lui-même auteur de courts métrages, de documentaires et de films artistiques, le sait lorsque, à la fin des années 70, il parvient à faire exister cette idée fixe qu'est la création d'un centre qui aurait pour tâche d'acquérir, de conserver et de diffuser des films et vidéos d'art. Un chaînon manquant entre, en amont, les producteurs et, en aval, le public.
Le Centre du Film sur l'Art (CFA), principalement subventionné par la Communauté française, mais aussi par la Commission communautaire française et la Loterie nationale, voit le jour fin 1979. Pour que se constitue une cinémathèque digne de ce nom des prospections tous azimuts sont menées, tant en Belgique qu'à l'étranger, en vue de l'achat des droits non commerciaux de ces films d'un genre étrange.
A l'étranger, deux manifestations sont particulièrement privilégiées: la Biennale Internationale du Film sur l'art, qui se déroule à Beaubourg, et le Festival International du Film sur l'art de Montréal. Ces événements permettent, d'une part, de découvrir des productions actuelles et favorisent, d'autre part, des rencontres et des contacts multiples et précieux. " Mais ce n'est pas tout, explique Nicole vander Vorst, Secrétaire générale du CFA, le bouche à oreille fonctionne très bien, nous sommes tenus informés des films qui passent à la télévision, sur Arte principalement, et des réalisateurs viennent spontanément nous montrer leurs films. C'est le Conseil d'Administration de l'asbl qui, après vision de la cassette, décide de son éventuelle acquisition. Huit à dix films sont ainsi achetés annuellement. "
Durant ses premières années d'existence, le CFA co-produisait lui-même des films - et il reçoit toujours de nombreuses demandes allant dans ce sens. Aujourd'hui, son budget ne le lui permet plus.
" Mais n'allez surtout pas croire que nous nous plaignons, insiste la responsable : dans la crise financière que connaît la Communauté française, notre situation est plutôt enviable. "
Le CFA s'est recentré sur sa principale fonction qui reste, outre, bien sûr, la conservation des films achetés (deux copies, dont l'une est confiée à la Cinémathèque royale de Belgique) et l'information dispensée, la diffusion de son patrimoine filmique auprès d'écoles, d'universités ou de centres culturels. Location quasi exclusivement de films 16 mm, les vidéos pouvant être uniquement consultées sur place car l'association n'en a pas, faute de moyens, négocié les droits.
Il s'agit d'un court ou long métrage dont l'objet est une oeuvre d'art, quelle qu'elle soit, riche d'une forme cinématographique elle-même artistique. " Ce doit être une rencontre entre deux artistes, poursuit Nicole vander Vorst. Il faut qu'il y ait, dans le chef du cinéaste, un véritable point de vue sur la chose filmée."
Et de citer l'exemple de Je sais que j'ai tort, mais demandez à mes copains, ils disent la même chose, réalisé par Pierre Levy, le plus court film (9' 30") du catalogue, Palme d'Or du court métrage à Cannes en 1983, où l'on voit une classe d'enfants dresser un portrait iconoclaste de Picasso.
Ce n'est guère surprenant, se sont les plasticiens et sculpteurs qui occupent la plus large part des quelques cent-septante films conservés rue Joseph II. Pourtant, à côté d'artistes tels Giacometti, Alechinsky, Le Tintoret, Braque, Picabia, Duchamp, Ensor, Bacon, Dali, Cézanne, Matisse, Magritte, Man Ray ou Géricault, de mouvements comme le surréalisme, le futurisme, le cubisme ou Cobra, l'on trouve les noms de Victor Horta, Ionesco, Kantor, Pina Bausch, Beckett ou Ghelderode - mais, par exemple, rien sur Simenon ou Hergé.
Désormais, il ne s'organise plus en Belgique une activité autour du film d'art sans qu'y soit associé le CFA.
C'est Ecran d'art, organisé ponctuellement au Botanique; ce sont Les Midis du Cinéma présentés tous les quinze jours au Musée d'art ancien à Bruxelles et auxquels le CFA collabore étroitement; c'est le premier Festival International du Film sur l'art qui s'est tenu au casino de Knokke en mai 1995 à l'initiative de l'asbl Art Faces Art.
" La demande est énorme de la part du public, se réjouit Nicole vander Vorst. Les Midis accueillent en moyenne trois cents personnes, davantage encore lorsque le film projeté concerne un artiste dont les oeuvres sont exposées au même moment. " Et l'offre est toujours importante : les trente-cinq films proposés en compétition à Knokke ont été retenus parmi les deux cent vingt inscrits, dont huit étaient produits par la BRTN, un par la RTBF.
Présidé actuellement par André Delvaux, le CFA se trouve bien dans sa dix-septième année, son catalogue est riche et varié, le pari d'Henri Storck est réussi. Un pari pourtant non gagné d'avance, tant par la réputée confidentialité du sujet que par la rencontre dite à haut risque du cinéma et de l'art "que tout, techniquement, sépare, écrit Jacqueline Aubenas dans la présentation du catalogue, le mouvement et l'immobilité, le silence et le son, le cadre et l'écran, l'espace et la temporalité. Mais, a contrario, cet antagonisme apparent force le cinéma à se réinventer, à réfléchir sur ses éléments définissants, à devenir un territoire de stimulation, d'invention. Le film d'art est un terrain de recherche active qui interroge la dramaturgie, la fiction, le documentaire et oblige le cinéaste à se révéler. "
Michel Paquot