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Noces de Stephan Streker

Publié le 11/04/2017 par / Catégorie: Critique

« L'histoire s'inspire librement de faits réels. » Cette histoire est celle de Zahira, une jeune belgo-pakistanaise, amoureuse de la vie et de sa liberté. Complice de son grand frère Amir, elle est divisée entre les traditions culturelles et sa soif d'indépendance. Un paradoxe que sa meilleure amie ne peut pas comprendre et qui, bientôt, la place dans une situation sans retour : un mariage traditionnel qui sauverait l'honneur de la famille. Cette histoire, contée par Stephan Streker, est une foudroyante tragédie contemporaine. Un voyage sans retour.

noces de Stephan StrekerD'entrée de jeu le réalisateur nous confronte à la protagoniste dont nous percevons la voix – Est-ce qu'il a une âme ? – avant d'en voir le visage. Le temps d'un plan séquence fixe, frontal, Stephan Streker observe le désarroi d'une jeune femme qui dialogue avec une gynécologue en vue de mettre en place un avortement. Ses questions trahissent son trouble tandis que les réponses, cliniques, témoignent de la neutralité de l'intervenante qui, comme nous, demeure hors-champs. L'échange se clôt sur les mots durs de Zahira : « Moi, je trouve ça grave ».

Témoins de sa confusion, nous découvrons son quotidien, nourri d'une pleine effervescence familiale, avant de devenir ses complices. Fait-elle croire qu'elle pose la décision d'une IVG que, dès lors qu'elle perçoit l'embryon comme un enfant pakistanais et musulman, nous savons qu'elle répond à sa passion. Fort de nous fondre au ressenti de Zahira, le réalisateur expose l'ensemble des points de vue afin de, parallèlement, nous confronter au regard des parents de la protagoniste comme à celui de son frère.

À l'image d'une tragédie classique, Stephan Streker construit son scénario en tableaux, enchaînant les actes et les mouvements tout en nous invitant à mettre en perspective toute lecture hâtive des intentions des différents intervenants au fil de leurs interactions et de leurs dialogues (soient-ils de sourds). Il tend à un juste équilibre entre les personnages et leurs intentions en ne les critiquant pas et en nous offrant cette position ultime de juge. Si quelques notes romanesques brisent la radicalité de la prime épure dramatique, elles offrent à Zahira quelques respirations et permettent au réalisateur de souligner la difficulté qui existe à répondre aux logiques inverses d'une culture individuelle (voire individualiste) et d'une culturelle traditionnelle.

Noces de Stephan StrekerOptant pour une approche frontale, le réalisateur ancre la dramaturgie de son récit en mettant en place un point de vue observant qui devient le nôtre. Il focalise ainsi notre attention sans pour autant être dictateur. Il nourrit notre regard au fil d'un découpage étudié qui semble guidé par les réactions et les intentions des personnages dont il exacerbe le ressenti en filmant l'indicible au-delà (et à travers) leurs visages. Si quelques passages peuvent paraître « clipés » (notamment les rares scènes surplombées par une musique a priori diégétique) comme certaines tirades trop écrites, il trouve un équilibre entre la représentation – il s'agit après tout d'une histoire – et la sensation (la scène finale en est le plus bel exemple).

Enfin, est-il écrit et orchestré avec panache que Noces ne serait rien sans les interprétations, magistrales de Lina El Arabi et de Sébastien Houbani. Donnant respectivement vie à Zahira et à Amir, ils transcendent littéralement la passion qui les anime et les déchire, tout en excellant dans l'exercice périlleux d'exprimer les dialogues les plus intimes en ourdu (une langue qu'ils ont découverte et travaillée à l'occasion du tournage).

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