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Odette Toulemonde de Eric-Emmanuel Schmitt

Publié le 09/06/2006 par Anne Feuillère et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Odette Toutlemonde

Eric-Emmanuel Schmitt, écrivain, essayiste, auteur de pièces de théâtre tourne en tant que réalisateur de cinéma, son premier film en Belgique. La production, estimant qu’il fallait réserver au futur spectateur que vous êtes la surprise d’un film au ton singulier, a interdit toutes prises de vue des acteurs et du décor. Vous découvrirez donc quelques aspects du film en lisant les entretiens que nous ont accordés Eric-Emmanuel Schmitt, réalisateur d’Odette Toutlemonde et Henry Ingberg, Secrétaire Général de la Communauté française de Belgique sur l’ouverture du cinéma belge francophone au monde.

1. Eric-Emmanuel Schmitt

Auteur dramatique lettré, génial touche-à-tout, romancier français le plus vendu dans le monde et le plus lu en France, Eric-Emmanuel Schmitt est l'enfant terrible des Lettres françaises. Loin de tous les scandales littéraires, il est celui par qui la surprise arrive, celui qui réinvente sans cesse la littérature, le seul écrivain véritablement populaire. En tout cas, il se définit lui-même comme "un conteur" pour qui la fiction est "le lieu pour toucher les gens et éventuellement raconter quelque chose sur le monde et réfléchir". Il a cette très belle phrase pour parler des questions philosophiques : " des questions de chaires et de sang, […] qui habitent notre quotidien. J'ai toujours pensé que les meilleurs cadres pour réfléchir étaient ceux du roman, du théâtre et maintenant du cinéma. " Et le voilà donc juste à côté de là où on aurait pu l'attendre : un plateau de cinéma. Dans le studio où se tourne son premier long métrage, Odette Toutlemonde, Eric-Emmanuel Schmitt porte avec décontraction et élégance un complet veston. L'homme, grand et imposant, évolue comme un chat : le geste délicat mais l'œil aux aguets. Dans l'appartement un peu suranné d'Odette, entre kitch usé des années 80, papier peint à fleurs et mélancolie rêveuse et romantique, il dirige ses deux acteurs Catherine Frot et Albert Dupontel. Il les regarde, les écoute, leur parle si doucement qu'il est difficile, à quelques mètres, de saisir ce qui se joue dans cette pièce intime. De son producteur au petit soin (Olivier Rosin de Climax Films), jusqu'au second assistant réalisateur qui veille avec cérémonie à ce que la porte du plateau ne claque pas trop, tout respire la concentration, la délicatesse mais aussi le plaisir. L'équipe s'est regroupée autour du réalisateur lors des répétitions de cette scène dans laquelle on rit beaucoup. Eric-Emmanuel Schmitt donne donc le ton, il prend son temps, et Catherine Frot, après quelques répétitions et quelques filages, sera, en quelques répliques, bouleversante.

Cinergie : Vous avez déjà mis en scène des pièces de théâtre ?
E.-E. S. : « Jamais, non. On me l'a demandé plusieurs fois, mais je n'ai jamais voulu. J'aime beaucoup le rôle d'auteur au théâtre, c'est une place assez rare, et je suis très heureux d'écrire des pièces, qu'elles soient jouées ou mises en scène par d'autres, qu'elles portent leurs imaginaires. Cette place me convient parfaitement. Chaque fois qu'on m'a proposé de mettre en scène, je trouvais que j'avais déjà fait ce que j'avais à faire, c'est-à-dire inventer l'histoire, écrire le texte dialogué… J'avais fait ma part. Au cinéma, je n'avais pas encore de place. La télévision m'a appelé pour adapter les œuvres patrimoniales, sachant que si j'en faisais le scénario, les acteurs diraient oui. J'ai donc fait Les Liaisons dangereuses, Volpone, et Aurélien d'Aragon qui est l'un de mes romans préférés… J'étais ravi de travailler sur des œuvres littéraire, ce qu'on ne fait pas d'habitude pour la télévision. Mais je faisais ça avec une idée derrière la tête, celle d'arriver là (rires). Je m'entraînais à l'écriture de scénario pour approcher les plateaux. Dès que j'ai à peu près compris comment on faisait, j'ai arrêté, et je me suis dit que si j'y revenais, ce serait pour faire mon film, voilà. Il est beaucoup plus logique, quand on pense un film, qu'on l'écrit, de le réaliser. Un scénario, ce n'est rien. Tant qu'il n'est pas mis en scène, pas incarné, qu'il n'a pas de partis pris esthétiques très clairs, un scénario n'existe pas. Je trouvais que la cohérence consistait à aller jusqu'au bout. Je suis donc allé jusqu'au bout.

Cinergie : Comment abordez-vous l'image, vous qui êtes un homme de mots et de lettres ?
E-E.S. : Je me suis amputé : j'ai décidé que je n'utiliserais pas d'éventuelles qualités de romancier ou de dramaturge. J'ai mis de côté mon sens de la réplique par exemple. C'était pour moi le piège dans lequel on m'attendait et dans lequel plus jeune, j'aurais pu sauter tout nu. J'ai vraiment essayé de me servir de la caméra comme d'un stylo, d'un outil narratif. Si une métaphore vient sous ma plume, elle est à la caméra. Alors, quand Odette est heureuse, elle s'envole, au-dessus de Bruxelles, au-dessus de Charleroi… et cela fait des plans extraordinaires. J'incarne les métaphores. Pour moi, c'est ça me servir de la caméra comme d'un stylo. Je ne suis pas devenu metteur en scène. Je suis un auteur qui choisit le cinéma comme moyen d'expression. Après, est-ce que je vais y arriver ou pas, c'est autre chose (rires). On fait tout pour m'y faire arriver. Et moi-même, je fais tout pour y arriver.

Cinergie : On retrouve votre univers féerique de conteur.
E.-E. S. : Je parlerais plutôt d'un univers enchanté. Mais oui, il y a constamment des passages entre le réel et l'irréel. Ce personnage d'Odette qu'incarne de manière magistrale Catherine Frot, a une richesse intérieure qui fait qu'elle ne voit pas le monde avec des yeux sordides ou cyniques. Elle a gardé une candeur. Elle a ainsi un panorama dans sa chambre avec des amants en ombres chinoises, elle les voit bouger, ils lui font des signes, lui racontent des trucs… Enfin tout est comme ça. C'est l'histoire d'un écrivain parisien déprimé (Albert Dupontel), connu, riche, qui a tout pour être heureux, mais qui est incapable de l'être parce qu'il a perdu pied dans cette vie qu'il a bâti sur beaucoup de clichés. On lui a dit que le bonheur, c'était d'être célèbre, riche, d'être ceci et cela. Et soudain, désarroi : ce n'est pas son truc. Tout à coup, il se rend compte que les repères qu'il s'est construit ne lui conviennent pas. Il est dans une forme de dépression active. Il a perdu son centre, ce pourquoi il a envie d'habiter son existence. C'est un personnage à la dérive de lui-même. Elle, Odette, qui n'a rien, y arrive. Elle a le secret et elle pense qu'elle le lui doit parce qu'elle adore cet écrivain. Elle va lui donner des cours de bonheur. Mais Odette est un personnage plus complexe qu'il n'en a l'air. Si elle connaît la joie de vivre, elle ne l'a pas toujours connu, elle a vécu des choses très difficiles qu'on va découvrir dans le film. Il y a un moment où vous décidez de transformer le cuivre en or. C'est le regard qu'on porte sur les choses qui font qu'elles apparaissent. Tout le monde a les deux personnages en soi, je pense : la vague dépressive, sombre, et puis la capacité de s'émerveiller, d'être joyeux, d'avoir les pieds qui dansent.

Cinergie : Au travers de ces deux personnages, vous travaillez autour d'une structure dialogique ici comme dans vos romans ?
E.-E.S. : Oui, sans doute… Je n'en avais pas conscience. J'essaie de penser par images, j'intellectualise beaucoup moins. C'est d'ailleurs ce qui me fatigue (rires) ! Je suis loin de mes bases. C'est plus facile d'intellectualiser que de parler en terme d'images.

 

 

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