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Philippe Vandendriessche, ingénieur du son

Publié le 10/03/2009 par Antoine Lanckmans et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Métiers du cinéma

La prise de son.


Le cinéma muet est devenu parlant lors du triomphe, en salles, du Chanteur de Jazz, un film sonore lancé par les frères Warner. Depuis lors, le son, désormais lié à l'image, n'a cessé de prendre de l'importance dans la fabrication d'un film.
Au début, la prise de son de cinéma s'opère en studio, souvent avec 3, 4 ou 5 micros. La première révolution sera l'avènement du son magnétique qui va permettre la cuisine du doublage en auditorium et du mixage. Par ailleurs, le son magnétique rend possible l’enregistrement sur un magnétophone portable du genre Stellavox et Nagra 1. Ce dernier, inventé par le prodigieux Kudelski, se porte en bandoulière et utilise des bobines sur bande lisse de 6,25 mm de large.
Dans les années 60, on découvre le son direct type avec la caméra portable 35 mm (25 kg) ou les caméras légères en 16 mm (6 kg). Actuellement détrôné, malgré l'apparition de modèles multipistes, le Nagra se voit remplacé par des appareils à cassettes DAT (analogiques et digitaux).
Philippe Vandendriessche a connu ce passage du Nagra au DAT. Ajoutons que notre ingénieur du son photographie, sur les tournages auxquels il participe, avec différents Leica M et R qui sont passés de la pellicule 35 mm aux possibilités d'y ajouter de l'image numérique. Enfin, passionné par les caméras ayant intégré le son, il prépare la réalisation d'un film sur Jean-Pierre Beauviala, l'inventeur des caméras légères Aaton en 16 mm ou 35 mm mais également de la Pénélope (2006), une Caméra 35 mm avec capteur numérique pouvant tourner au format 1.85 ou 2.35 et de l'incroyable Cantar X, enregistreur de sons multipistes sur disque dur.
Nous avons demandé à Philippe Vandendriessche de nous expliquer les différents parcours d'un métier qui l'a vu opérer dans beaucoup de films, D'eau de Dominique Standaert à Odette Toulemonde d'Eric-Emmanuel Schmitt, en passant par Une chambre pour la nuit de Philippe Elhem, Tous à table d'Ursula Meier, Fragments sur la grâce de Vincent Dieutre, son dernier film étant Séraphine de Martin Provost qui vient de recevoir plusieurs Césars.



Cinergie : Commençons avec Jean-Pierre Beauviala puisque tu vas réaliser un film documentaire sur cet inventeur infatigable de caméras et désormais d'un magnétoscope. Le son et la photo sont tes deux amours.
Philippe Vandendriessche
: Oui. J'espère commencer le film sur Beauviala cet été.

C. : Le Nagra a révolutionné le son au cinéma ?
P.V. : En effet. Le cinéma est né d'une invention d'images enregistrées puis projetées. L'aspect sonore est arrivé bien après, mais il a permis la naissance d'une nouvelle esthétique de l'image, totalement différente d'une esthétique basée seulement sur l'image. L'invention de l'enregistreur portable a donné une impulsion vitale au cinéma documentaire. Notamment en libérant le son du câble qui le reliait à la caméra. Le portable a permis de déporter l'oreille par rapport à l'œil. Actuellement, beaucoup de gens travaillent avec des caméras équipées d'un microphone. Pour moi, c'est une espèce de cyclope : un œil et une oreille. L'exploration du réel doit se faire en libérant l'œil et l'oreille. Je me pose souvent la question : quel est mon point de vue d'écoute et quel est mon point de vue visuel, comment les faire fonctionner ensemble ou les faire dysfonctionner ? Il est intéressant, dans une construction sonore, de ne pas entendre ce que l'on voit, de ne pas montrer la source, mais de suggérer les choses, de jouer sur le hors champ. Tout cela va de soi lorsque la caméra et l'enregistreur sont dissociés. Ils peuvent fonctionner en synchronisme, mais n'ont pas forcément le même point de vue sonore ou visuel. Toute cette technologie du son et de l'image donne des modes différents d'expression. Il faut essayer de ne pas se faire duper par les nouvelles technologies. La conscience du technicien est une chose à laquelle je tiens beaucoup. C'est un peu le sujet du documentaire que je suis en train de préparer.

C . : Comment fais-tu pour enregistrer le timbre de la voix des comédiens ? Celui-ci peut évoluer d'un jour à l'autre ou du matin au soir ?
P.V. : La voix n'a pas la même texture d'une journée à l'autre. On ne peut rien y faire. Lorsque le comédien est enroué, on lui donne du thé. Le mixeur peut, éventuellement, corriger le timbre de voix, en agissant sur les graves, mais au niveau de la prise de son, on évite de poser des actes qui soient définitifs. Le filtrage n'est pas conseillé, on peut le faire plus tard. Sur le tournage, on essaie d'éviter d'appliquer un traitement immédiat. On ne tourne pas dans la continuité, on risque donc de tomber sur un problème plus grave que ce que l'on imagine sur le plateau. Mieux vaut attendre l'étape finale.

C. : Es-tu un défenseur d'un seul micro par rapport aux micros émetteurs ?
P.V.
: Pour Séraphine, on a décidé de faire du son direct. On a travaillé avec des micros émetteurs installés sur le corps des acteurs. Cette technique à deux microphones qui bougent permet de faire un travail très fin. Si on est présent lors des repérages, avec le décorateur, on peut exploiter la couleur des lieux dans une ambiance intéressante. Par ambiance, j’entends ce qui a lieu avant ou après les dialogues. Les méthodes qui consistent à utiliser de nombreux microphones sur les acteurs ne permettent pas d'obtenir la même vérité que le principe d'un minimum de micros ouverts. Sur Odette tout le monde, par exemple, j'avais été piégé, le premier jour de tournage, par Catherine Frot qui avait refusé qu'on lui installe ce petit artifice qu'est le micro émetteur. Afin de régler le problème, il faut avoir un directeur de la photo et un cadreur qui comprennent qu'on a besoin d'aide à certains moments de prise de son quand nous sommes privés du petit truc magique qu’est le micro scotché au revers de la chemise de l'acteur ou dans le décolleté de la comédienne. Je viens de terminer deux films en son direct dans lesquels l’utilisation d’un minimum de microphone a été adoptée.

C. : Sur le tournage du téléfilm Le facteur chance, on t'a vu travailler avec une perche et des micros émetteurs.
P.V. :
On avait deux caméras, c'est-à-dire deux points de vue visuels distincts. On avait une seule perche pour des raisons budgétaires, et on nous a demandé d'installer systématiquement le microphone sur tous les acteurs parce que, dans certaines scènes, il y avait un chevauchement de dialogues et de l'improvisation. Quand il y a deux points de vue visuels, il y a deux points de vue sonores, mais on ne peut assumer qu'une perche à la fois. Donc, le fait d'installer des micros sur les comédiens nous permet d'avoir un plan sonore proche, quels que soient la dimension du plan et le nombre de caméras. Comme ce son est trop proche, la perche donne de l'air et permet au réalisateur de donner des plans sonores un peu plus larges après le montage image. Le fait de travailler avec un enregistreur multipistes, comme l'Aaton Cantar par exemple, permet d'inscrire et de séparer les différents microphones et la perche. Les choix sont reportés, on ne les fait pas sur le plateau, mais au montage image. Cela devient le travail du mixeur qui organise le choix des pistes. Les choix sont donc tout simplement reportés. Tu imagines bien que c'est un travail différent que lorsque j'ai débuté, dans le métier, avec un Nagra mono. Les choix devaient se faire lors de la prise de vue, et on avait intérêt à avoir un minimum de microphones car si on loupait un micro, c'était définitif. Il fallait recommencer la prise ! Avec le son numérique, on ne prend plus le temps de la durée. Sur un téléfilm, on tourne en 21 jours. Autrefois, lorsqu'on tournait avec une caméra, il fallait une trentaine de jours. La technologie des micros émetteurs n'était pas praticable à la fin des années 70 et au début des années 80, alors que maintenant elle s'est banalisée. Ce système est performant, la qualité est relativement bonne, si ce n'est qu'on est condamné à utiliser un micro à petite distance. Disons que c'est une méthode très pratique de travail pour les produits télévisuels, mais que je n'aimerais pas appliquer dans un film destiné au cinéma. C'est un style très différent de celui que l'on applique sur un long métrage dans lequel il y a davantage l'expression d'une sensibilité que la recherche du vite fait au moindre coût. On fait un long métrage en une cinquantaine de jours. On met donc deux fois plus de temps.

C. : Est-ce que tu participes au montage son ?
P.V. :
Pendant des années, j'ai été assez présent au moment du montage et au moment du mixage. Mais ensuite, je me suis rendu compte que c'était bien de déléguer. La matière gagne à être redécouverte par d'autres que soi. Et donc, cette relecture du monteur son et le travail du mixeur ne me donne pas envie d'y participer. En revanche, il est très important pour moi d'avoir un contact humain préalable, c’est-à-dire de leur donner l’esprit dans lequel j’ai fait la prise de son, afin qu'ils reçoivent un peu l'héritage de ce que j'ai vécu comme élucubrations avant le tournage. On se voit de temps en temps. Je ne trouve pas intéressant d'aller regarder au-dessus de l’épaule de quelqu'un. En général, j'ai d'excellentes surprises lorsque je découvre le travail du monteur son. Je regrette de ne pas avoir rencontré plus tôt les mixeurs d'Odette tout le monde et de Séraphine. Il fallait me payer le transport et le logement et c’était compliqué. C'est un regret que j'ai par rapport aux producteurs qui ne jouent pas leur rôle. Ce n'est pas le seul. Par exemple, le fait d'avoir des équipes du son composées de trois personnes permettrait d'avoir un chef opérateur du son, un perchman et un stagiaire assistant du son qui pourrait être sur le plateau, faire une seconde perche, vivre une expérience de tournage sans être en première ligne et essuyer les difficultés ou les échecs. Cela permettrait à un jeune d’entrer en douceur dans la profession. En fait, les producteurs pourraient jouer ce rôle de formation car les écoles de cinéma ne peuvent pas le faire. Pourquoi ? Parce qu’il est impossible d'apprendre le comportement à adopter sur un plateau, apprendre à trouver sa place sans en faire l’expérience. Malheureusement, les producteurs ont tendance à dire : « on va faire des économies, on va faire le film avec une équipe de deux personnes pour le son. » Résultat : à un certain moment, je me retrouve à faire la deuxième perche parce qu'on a pas de second perchman ou je demande à un accessoiriste ou à un électro qui n'ont rien à faire. Ce qui ferait avancer les choses, ce serait qu'un producteur prenne la responsabilité de la formation des futurs professionnels. C'est un appel du pied. On tournerait avec une équipe son à trois. Je ne comprends pas pourquoi, lorsqu'on tourne avec deux caméras, on ne tourne pas avec deux points de vue sonores, en offrant au preneur de son et au mixeur une matièrebeaucoup plus complète que ce que l'on peut faire à deux personnes. Là aussi, il est intéressant que le chef opérateur puisse rencontrer le mixeur lors d'une opération de préparation et de direction artistique et qu'elle soit prise en charge par un budget. Au moment où l'on décentralise les choses, on devrait permettre aux gens de se rencontrer physiquement sur un lieu, de façon à se parler, d'avoir un rapport humain nécessaire pour faire une création collective. Comme c'est le cas dans un film. Le monde virtuel n'est pas très intéressant, même si l'on peut s'envoyer des mails. Aller boire un café avec le mixeur parisien apporte beaucoup au film. Cela ne rapporte pas d'argent au producteur, mais cela donne du sens à une vie professionnelle.

Cinergie : L'ingéniosité de Jean-Pierre Beauviala l'a conduit à créer un système de synchronisation du son à l'image qu'on appelle time-code. Pourrais-tu nous expliquer en quoi consiste cette invention et ses conséquences ?
Philippe Vandendriessche : Au moment où apparaît le cinéma sonore, l'enregistreur de son était un grand camion dans lequel était placée une caméra qui écrivait en flèche lumineuse sur de la pellicule le son optique. On disposait d'un matériel excessivement lourd. La caméra et l'enregistreur devaient être reliés par un moteur électrique de manière à ce que les moteurs tournent à la même fréquence. Il n'était pas question de filmer en extérieur, et si on le faisait, il fallait mettre en œuvre des moyens techniques gigantesques pour faire de l'image et du son synchrones. Les techniciens ont vécu ce problème des années 30 jusqu'aux années 50.
Le matériel portable est arrivé au milieu des années 50. On a commencé à créer de petits enregistreurs comme le Nagra 1. Cette machine ne permettait pas encore de faire du son synchrone, mais elle pouvait être déplacée plus facilement. On pouvait faire des prises de son simultanément aux prises de vue.
Dans les années 6o, il y eut l'invention du câble-pilote, c'est-à-dire que la caméra-film envoyait des impulsions qui étaient écrites sur la pellicule son et, au moyen d'une claquette, on pouvait resynchroniser le son à l'image.
Au début des années 70, Jean-Pierre Beauviala a eu l'idée d'écrire le temps. Ce qui permettait d'enregistrer l'heure qu'il était, la minute, les secondes, le numéro de l'image et de s'affranchir de la claquette. C'est ce qu'on appelle le time-code. En régulant la vitesse de défilement du moteur de la caméra à celle de l'enregistreur au moyen d'un quartz (comme les horloges électroniques), on n'avait même plus besoin du câble reliant l'enregistreur à la caméra. On pouvait donc enregistrer en même temps qu'on captait le son, tout en multipliant les possibilités par de multiples caméras et de multiples enregistreurs.
Actuellement, le time-code est utilisé dans tous les enregistrements et dans toutes les caméras, ce qui permet de synchroniser de multiples appareils et d'archiver l'instant pendant lequel sons et images ont été captés.

C : Tu possèdes, comme d'autres ingénieurs du son, une sonothèque… Cela signifie que tu parcours le monde avec ton micro et ton enregistreur, que tu prends des sons et qu'ensuite, tu en fais une bibliothèque sonore...
PVD : Oui. J'ai classé 75.000 sons. C'est un travail de bénédictin qui a commencé lors du tournage d'un film. Nous étions à proximité de Spa, la nuit. Le tournage a été interrompu par un orage d'été. L'équipe s'était arrêtée de travailler, mais moi j'en ai profité pour enregistrer un objet sonore extrêmement intéressant.
Petit à petit, comme notre travail est discontinu – en France, ils appellent cela intermittent - dans les périodes d'inactivité, je suis parti à la pêche aux sons : les chants d’oiseaux au printemps, le merle après la pluie, les différents sons d'une rivière, le train pacific 231 qui va d'Anvers à Bruxelles, etc. De plus, cela crée une complicité avec des tas de gens surpris que j'enregistre des vibrations de l'air avec un microphone. Le machiniste d'un train à vapeur qui me voit avec mon micro fait siffler sa locomotive. Ces sons atterrissent comme des petites pastilles sonores.
Ce métier est une exploration du paysage sensible, il me permet de rencontrer des gens ou de me retrouver face à des situations auxquelles la plupart des gens ne sont pas sensibles.
Certains traversent la vie sans avoir senti, touché, entendu, vu. Parfois, ils voient, mais n’entendent pas. Sortir avec un appareil photo et un microphone nous réveille. Il y a plein de choses qui se passent autour de nous et auxquelles on peut être sensible. Je suis l'un des maillons d'une chaîne qui fait découvrir le monde à d'autres personnes. Lorsque je vais tourner un film au Cambodge, j'y vis pendant un mois, et je ramène des images et des sons qui sont donnés à des gens qui les regardent sur leur écran de télévision, mais je peux transmettre aussi un autre contenu. Je trouverais dommage de n'être là que pour le boulot qu'on me demande de faire.
Je me promène avec mon appareil photo et je découvre l'histoire de ce pays. J'aime archiver des atmosphères sonores et en parler en dehors du film : le génocide, l'absence de ceux qui ont mon âge et ont été exterminés. Je ne peux pas être insensible à tout cela.
Le fait de travailler dans le cinéma éveille la conscience, puisqu'on est de l'autre côté du décor. On voit et on entend aussi ce qui n'a pas été mis dans l'image et dans la bande son.
Le fait de capturer tous ces sons et de les classer permet ensuite de construire des bandes sons ainsi qu’un témoignage des époques.
Lorsque j'ai commencé à enregistrer les ambiances de villes dans les années 80, elles étaient différentes de celles d'aujourd'hui. Le trafic n'est plus le même. Lorsqu'on fera un documentaire sur les années 80, on aura des éléments sonores justes.
Collectionner les enregistreurs et les sons, ce n’est pas collectionner les timbres postes. Je ne vais pas les échanger. Chaque son est un moment unique.
Lorsque je fais une recherche dans ma sonothèque, je fais une solide thérapie, parce que je me promène dans mon passé, dans les sensations que j'ai eues, dans les choses que je trouvais intéressantes et que j'ai essayé de capturer. Je retrouve des gens qui n'y sont plus ou plus les mêmes, comme les pleurs et les rires de mes enfants, petits. On peut avoir cette exploration avec des images, mais ça touche beaucoup plus lorsqu'on a des instants sonores, parce qu'il y a la vibration, la voix, l'atmosphère. Dans les années 80, j'ai enregistré les plus jolies voix d'oiseaux que je n'ai jamais enregistrées au printemps, ces oiseaux ont tous disparu aujourd’hui.

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