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Ôte-toi de mon soleil de Messaline Raverdy

Publié le 29/01/2024 par Nina Alexandraki / Catégorie: Critique

L'appartement de Joseph, rempli d'objets qu'il accumule au fil des années ainsi que son esprit, riche d'une érudition et d'une imagination impressionnantes, débordent. La réalisatrice aide Joseph à trier ses objets et fabrique ainsi un portrait poétique et étrange d'un homme singulier.

Ôte-toi de mon soleil de Messaline Raverdy

 

Ce qui est fascinant chez Joseph, le protagoniste octogénaire du film, c'est la correspondance entre le monde matériel qui l'entoure et le monde mental qui l'habite. Accumulant des objets de tout type qu'il stocke les uns à côté des autres et avec un esprit rempli de savoirs de nature très différente qu'il fait exister en même temps, Joseph incarne la prolifération. Fardes, cartes postales, piles, bijoux, jeux de société, livres de toute discipline, tous les objets du monde se retrouvent chez lui et se mélangent avec son érudition qui passe du mythe des Danaïdes à une réflexion philosophique sur la volonté humaine, de la définition de la conductibilité à la "vie secrète des chats". Tout coexiste et tout est important pour Joseph.

 

Les choix de mise en scène arrivent, avec une attention particulière au personnage, à rendre concret ce qui habite intimement Joseph et qui est si unique. Le film avance comme un collage de fragments, où chaque fragment devient une porte qu'on ouvre pour accéder à une chambre à l'intérieur de la tête de Joseph. On y trouve des bouts du monde et sur des images de la poussière ou de montagnes et de vagues, on plonge dans les couches de la mémoire du monde.

 

Une tempête traverse le film : l'appartement de Joseph où tous les objets accumulés sont filmés via des filtres liquides, les images sont floues et incertaines, les mouvements de la caméra sont spasmodiques et les vagues remplissent la bande-son. La prolifération qui habite Joseph donne le vertige et le risque de la noyade est omniprésent, c'est ce que suggère la métaphore de l'eau. Des avalanches et d'immenses vagues remplissent les cadres et concrétisent le danger qui menace : que l'accumulation devienne sans contrôle, qu'elle emporte tout, que le trop-plein nous assomme. Chez ce personnage qui, à l'image du vieux Diogène, vit selon ses propres règles et loin de ce qui est attendu, chez ce juif qui a traversé le 20e siècle et porte en lui le trauma de la Seconde Guerre mondiale, c'est une certaine souffrance que cette sensation de vertige évoque. Une force brute qui vient de loin et qui menace de tout envahir guette aux portes du film.

 

Il y a aussi les scènes où la réalisatrice se met devant la caméra en train d'aider Joseph pour trier son appartement. Au milieu des objets, dans le chaos, elle essaie de comprendre. Elle se rend disponible, elle cherche à apprendre comment ça fonctionne chez Joseph comme si elle apprenait tout du début, car avec lui, tout est nouveau et tout est surprise. Comme si faire un film voulait dire se tenir face à l'étendue chaotique du monde et devoir trier, choisir pour bien dire.

 

Si, à l'image de son personnage, le film est rempli de références et de couches de sens, il ne devient jamais lourd conceptuellement, car au cœur de tout, il y a l'amitié entre Joseph et Messaline. La réalisatrice accompagne Joseph et lui, approchant la fin de sa vie, accompagne la venue au monde de l'enfant de Messaline. Ainsi, cette scène qui condense toute la beauté du film, où Joseph, dans le train, récite une liste de prénoms féminins pour l'enfant de la réalisatrice : de Maude à Adolphine, à Chaudière, à Métrique et à Chopin, c'est encore le tour du monde et de l'Histoire que Joseph arrive à faire, pour bien accueillir, en poussant les limites de notre monde, l'enfant de son amie.

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