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Paris-Hollywood ou le rêve français du cinéma américain de N.T.Binh, José Moure, Frédéric Sojcher

Publié le 15/04/2013 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

Frédéric Sojcher, réalisateur de Hitler à Hollywood et auteur du Manifeste du cinéaste, continue, dans ses cours à l'Université Panthéon Sorbonne Paris 1, à parler de la boîte à outil du cinéma, en invitant des professionnels autour d'une thématique. Cette fois, nous avons droit à Paris-Hollywood : un thème qui fatigue les non-branchés. D'autant que nous avons droit dans ce dialogue, à des convaincus, mais pas très convaincants. Le vrai dialogue n'est pas entre un système de l'usine à rêve qui s'effondre et un cinéma européen qui a abandonné l'exception culturelle, mais entre le cinéma indépendant étasunien et le cinéma européen qui n'a pas à se soumettre à l'oligarchie financière. José Moure, dans sa préface, nous explique que le premier sous-titre était : rêve ou cauchemar ? Le cauchemar semble avoir disparu (cela dépend pour qui, pas pour l'Europe) et le rêve n'est jamais que le soft power américain vanté par Hollywood (répétons-le, dans les films étasuniens il existe aussi les indépendants qui sont en dehors du circuit impérial).

Paris-Hollywood ou le rêve français du cinéma américain de N.T.Binh, José Moure, Frédéric Sojcher

Marisa Berenson et Michel Ciment nous parlent de Stanley Kubrick et de Barry Lyndon en nous apportant pleins de détails sur le film et son réalisateur. Ciment, par ailleurs, préfère "les films de la Hauteur" que les films d'auteurs qui sont souvent des films de promoteurs sans le marketing déluré de la finance américaine. Eric Gautier offre un témoignage passionnant d'un chef op’ ayant travaillé avec Arnaud Desplechin, Olivier Assayas, Alain Resnais ou Sean Penn. Julie Delpy, qui a joué dans Bleu Blanc rouge de Krzsystof Kieslowski devient réalisatrice aux USA avec des capitaux français.

La partie où certains producteurs français rêvent d'être le 53e état des Etats-Unis d'Amérique, comme si l'Europe n'existait point, nous glace. Penser que le cinéma européen devrait se profiler dans le mainstream de l'industrialisation Hollywoodienne (c’est-à-dire de Wall Street) nous semble farfelu et aberrant (même si Besson veut rester "Français"). Pauline Kael nous a expliqué que les producteurs de cinéma sont devenus des financiers qui cherchent des profits rapides. Leur règle d'or : un maximum de salles en exclusivité en un minimum de temps = un maximum de profit; ne fut-ce que pour rentabiliser les accords préalables avec les télévisions. Comme celles-ci, ajoute Kael, habitue les gens à se contenter de peu, "du fait du système des préventes, ils n'obtiennent pas grand chose." (1) Bref, au plus vous êtes des benêts, au plus on vous domine. Sauf que le cinéma est un vecteur de pensée et non d'ignorance, d'épistémè plutôt que de doxa, disait Alain Badiou. (1)

Dans l'Hollybrol d'aujourd'hui, nous ne sommes plus que dans des scènes dites attractives, inspirées par l'idéologie du marketing : « Nous devons faire glisser les Américains d'une culture des besoins vers une culture des désirs. Les gens doivent être habitués à désirer, à vouloir de nouvelles choses, avant même que les précédentes aient été entièrement consommées. Nous devons former une nouvelle mentalité. Les désirs de l'homme doivent l'emporter sur ses besoins », in Paul Mazur cité par Hervé Kempf. (1) Le problème est qu'actuellement, le modèle américain prend l'eau de partout, contrairement à l'époque de l'âge d'or du cinéma classique.

Mais revenons à Paris-Hollywood. Au début du livre, Frédéric Sojcher semble moins résister que dans son beau livre Manifeste du cinéaste. Il nous rappelle historiquement le parcours d'Hollywood depuis ses débuts lorsqu'il était en compétition en Europe avec la UFA de Berlin (avant qu'Hitler ne fasse sombrer la barque) et aussi en Asie où les films, réalisés à Shanghai, étaient vus partout en Asie. Faut-il créer aujourd'hui une industrie européenne à la UFA comme avant-guerre ? Nous ne le pensons pas. Le monde du cinéma Hollywoodien n'est pas le seul monde possible. À l'intérieur même de l'espace américain, il existe plein d'autres possibilités. Le cinéma européen ferait bien de s'inspirer des petits budgets des indépendants américains plutôt que de la commercialisation à outrance au moment où la société de consommation s'effondre. Ce n'est certainement pas par hasard, si le cinéma documentaire se revivifie parce qu'il est dans le réel et pas au casino du virtuel télévisé.

L'Europe veut-elle devenir un casino ? Mon pauvre Monsieur, me répond-t-on, l'exception culturelle, c'était avant que l'industrie numérique et la connexion du monde ne s'empare de lui. En effet, quelle meilleur façon que de modéliser les films à la Hollybrol afin d'attirer les enfants dans les salles (en famille) et les ados qui viennent en bande, plus les éternels ados, en faisant des films simples et cool qui leurs sont destinés. Bon, cela étant, en dehors de la cour des grands, le cinéma américain se revitalise grâce à ses films indépendants. Venant d'une autre planète, on a pu découvrir Jeff Nichols (Shotgun Stories, Take Shelter), Kelly Reichardt (Wendy and Lucy, Meek's Cutoff), Alex Ross Perry (The Color Wheel), Benn Zeitlin (Beats of the southern wild).

L'avenir du cinéma européen est un système à la "belge". Une certaine pauvreté dans le cinéma de fiction comme les indépendants américains ou le documentaire. Donc le cinéma continuera différemment, sous d'autres formes, et pas seulement grâce à la technique du numérique et des studios babyloniens, mais plutôt au talent de petites équipes qui essaient de comprendre un monde qui a, depuis toujours, été fragmenté.

 

(1) Bien que cela ne soit pas "sexy" dans le "coupé-collé" d'Internet, nous citons nos sources : Chroniques américaines, de Pauline Kael, éd. Sonatine ; Manifeste du cinéaste de Frédéric Sojcher, éditions Klincksieck/poche ; L'oligarchie, ça suffit, vive la démocratie de Hervé Kempf, Points-Essais, Crise de la culture de Hannah Arendt, Essais/poche/Gallimard ; La condition humaine, la connexion permanente de Jean-François Fogel et Bruno Patino, édition Grasset.

 

Paris-Hollywood ou le rêve français du cinéma américain, N.T.Binh, José Moure, Frédéric Sojcher, éditions Archimbaud/Kliincksieck, les ciné-débats.

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