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Pink Ulysses, le mythe de l'Odyssée sublimé

Publié le 21/01/2021 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Réalisé en 1990, Pink Ulysses du cinéaste belge Eric De kuyper est une réinterprétation sublime du mythe de l'Odyssée. Anticonformiste, radical et pourtant méconnu, le cinéma d'Eric De Kuyper est l'un des plus audacieux du cinéma belge. Restauré par Eye, la cinémathèque d'Amsterdam, Pink Ulysses est le premier film à être mis en ligne sur la nouvelle plateforme belge Avila1. Redécouverte d'une oeuvre inclassable et souterraine.

Pink Ulysses, le mythe de l'Odyssée sublimé

Dans un appartement, un homme repasse son pantalon : plan en noir et blanc sur la chanson Pars d'Yvonne Georges, chanteuse populaire et comédienne féministe belge des années 20. Ulysse se prépare à voyager. Nous aussi, dans un film étonnant, pluriel, vibrant de mille visages et de mille textures. Eric De Kuyper crée du film, du cinéma avec d'autres films et d'autres cinémas. Le récit d'Ulysse tel que conçu par le cinéaste est un miroir aux éclats de films anciens.

Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein (1926) raconte le voyage dans les mers, L'Eternel retour de Jean Delannoy (1943), celui de l'amour qui unit Pénélope et Ulysse ou encore La Caduta di Treia de Luigi Romano Borgnetto, (1911), la chute de Troie. Mais il n'est pas un montage d'extraits de films; ceux-ci s'encastrent dans une puissante mise en scène : l'oeuvre de De Kuyper est libre et d'une force esthétique sidérante, donnant à voir des temporalités bousculées, différents niveaux de narration, notamment via les cartons, et des bonds constants entre couleur et noir et blanc, qui font ressentir l'impatience, l'attente fébrile, et les ensorcèlements. La restauration met en valeur le grain et l'éclat de la pellicule, sa sensibilité et son organicité au service d'une oeuvre totale médusante d'invention et de beauté. Le périple d'Ulysse se déroule en noir et blanc, l'attente de Pénélope et de Télémaque en couleurs ocres, orange et dorées, le réel se noue à l'artificialité. Les décors de la Grèce antique faits de carton-pâte et d'anachronismes rehaussent le sentiment de rêverie, de voyage d'illusion, de quête impatiente et de retour impossible. L'opéra traverse également l'œuvre dans son aspect total englobant le théâtre, la danse, le chant; les musiques de Monteverdi, Bartok, Ravel entre autres participent à l'envoûtement des sens que le film provoque. Mais cette construction, loin d'être absconse ou hermétique s'avère généreuse et émouvante; la forme marquée par la musicalité, l'emphase et les ruptures est sensorielle et prenante.

Enfin, à l'instar de Casta Diva (1982), l'un des films les plus emblématiques du cinéma de De Kuyper, Pink Ulysses se révèle également une ode au corps masculin, sensuel, fétichisé, homoérotisé. Ulysse et Télémaque sont magnifiés, sueur et sexe en érection mais l'obscénité n'est pas conviée, la sexualité devient hypnotique, magique et comme l'ensemble du film, une invitation au voyage, à la rêverie et à la vie. 


 

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