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Ruben Desiere et Gerard-Jan Claes, fondateurs de la plateforme Avila

Publié le 20/10/2020 par Dimitra Bouras et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

Un foyer pour un cinéma singulier

Le confinement aura eu cela de bon : les plateformes de vidéos à la demande se sont multipliées au grand bonheur des cinéphiles avides de découvertes. Créée par les réalisateurs Olivia Rochette, Ruben Desiere, Gerard-Jan Claes et le producteur de films Rasmus Van Heddeghem, la plateforme belge Avila, spécialisée dans les films d’auteurs plus ou moins récents, que ce soient des documentaires classiques ou des films de fiction, a dernièrement vu le jour.

L’objectif des fondateurs est clair : offrir une sélection pertinente de films méticuleusement choisis par eux. Grâce à cette plateforme, les productions audiovisuelles significatives continuent leur chemin après avoir investi les premières et les festivals et restent ainsi accessibles au grand public pour 3, 5 euros par film.

À côté de cette sélection pointue, les fondateurs accordent une place d’importance aux qualités techniques des films. Ils entretiennent donc des liens étroits avec les réalisateurs et les institutions responsables de la conservation et restauration des œuvres comme CINEMATEK et ARGOS, centre for audiovisuel arts. Avila, c’est aujourd’hui une sélection d’une vingtaine de films belges qui sont, d’une manière ou d’une autre, liés par des questions esthétiques, techniques, politiques ou historiques. Contrairement aux autres plateformes de vidéos à la demande, on souligne ici une volonté d’éclectisme, de cohérence et de qualité inhérente à Avila.

Cinergie : Le confinement vous a permis de lancer la plateforme Avila mais cette idée germait déjà en vous auparavant ?

Ruben Desiere : L’idée était bien là. On avait ce rêve de plateforme depuis longtemps mais on n’avait jamais eu le temps de s’y consacrer. Grâce au Covid, nos projets de réalisation ou production ont été mis sur pause et nous avons donc eu le temps. Nous qui faisons des films, on s’est rendu compte que la distribution est toujours compliquée. C’est pour cette raison que nous avons commencé cette plateforme.

 

C. : Les films disponibles sur la plateforme sont des films d’auteurs récents mais pas seulement. C’est un choix très éclectique, très personnel.

Gerard-Jan Claes : Oui, il y a un double but : on voulait un endroit pour montrer nos propres films mais aussi les films de cinéastes contemporains que nous admirons. On caressait le rêve d’une culture du cinéma plus profonde. On bénéficie aussi d’une riche histoire du cinéma belge mais ce dernier n’est pas toujours disponible ou difficile d’accès. On voulait créer un espace qui permette à un spectateur de Chantal Akerman de trouver les films de Claudio Pazienza ou, plus récemment, de Nina De Vroome. Ce n’est pas seulement une plateforme qui présente les films et le travail fini, il y a aussi un geste éditorial.

 

C. : Ce geste éditorial n’est pas seulement dans le choix des films mais aussi dans la présentation des films, dans leur mise en contexte.

R. D. : Pour nous, c’est très important. On travaille sur un autre projet, un site web, qui s’appelle Sabzian, où l’on écrit des textes autour du cinéma contemporain mais on y publie également, en néerlandais, des textes plus anciens sur le cinéma. On veut accorder de l’attention aux qualités techniques mais aussi au contexte et on veut créer un nouveau contexte pour le film, le mettre en connexion avec d’autres films. C’est le but de notre site.

 

C. : La plateforme contient uniquement des films belges que vous avez déjà, pour la plupart, présentés dans le cadre de Sabzian ?

G. - J. C. : Non, le point de départ pour Avila, c’était d’avoir un cadre qui met l’accent sur le cinéma belge. On avait déjà écrit sur certains films sur Sabzian mais pas sur tous les films.

 

Ruben Desiere 

C. : Comment faites-vous pour les avoir sur la plateforme ? Êtes-vous en contact avec des boîtes de production et de distribution ?

R. D. : Il y a beaucoup de films qui sont gérés par des boîtes de production qui n’existent plus ou qui font d’autres choses maintenant, il y a des films qui sont vendus à de grandes boîtes de production. Pour tous les films qui sont produits, il y a toute une histoire, un trajet après que le film soit fait. Les pellicules se dégradent, les films sont restaurés. C’est toute une aventure de trouver la meilleure copie d’un film, prendre contact avec le réalisateur, le producteur et de la chercher avec eux. De temps en temps, c’est très facile, la copie est très nette et accessible mais parfois c’est plus complexe de trouver les sous-titres, le meilleur format, le meilleur fichier.

G. - J. C. : Pour quelques films du catalogue, il y a un travail de la part de la CINEMATEK qui a fait beaucoup de restauration du cinéma belge et qui commence maintenant à distribuer les films sur des différentes plateformes et notamment sur Avila.

R. D. : Si on a plus de moyens, on pourrait restaurer les films d’une manière plus artisanale comme le Cinéma Nova a fait avec Jean Harlez.

G. - J. C. : Il y a aussi beaucoup de réalisateurs belges de documentaires qui ont fait des films en numérique et parfois, on les aide à trouver les meilleures copies de leurs films réalisées dans les années 1990. Ils ignorent parfois où elles sont.

 

C. : Il y a plusieurs plateformes qui ont vu le jour mais Avila a cette particularité que vous avez effectué les choix et que la location se fait par film.

R. D.: On peut louer film par film car il y a déjà beaucoup d’abonnements et on n’a pas suffisamment de films pour mettre en ligne un abonnement.

Par rapport aux autres plateformes, nous sommes focalisés uniquement sur le cinéma belge. Les autres plateformes sont, quant à elles, centrées sur le cinéma d’auteur d’un peu partout. UniversCiné travaille pour le Bénélux et ils ont les droits pour cette région. Nous, on essaie de rendre les films accessibles mondialement, c’est un peu notre marque de fabrique.

G. - J. C. : Notre plus, c’est aussi de vouloir donner un contexte aux films, de leur donner une certaine existence. En outre, ce sont tous des films de cinéastes belges qui ont une écriture très singulière et qui portent une grande attention à la forme.

 

C. : Pour présenter la plateforme, vous avez informé sur un film que vous venez d’avoir : Pink Ulysses. Est-ce que ce film est emblématique de votre catalogue ?

R. D.: Je pense que la figure de Eric de Kuyper est très importante dans l’histoire du cinéma belge. C’est un film qu’on apprécie beaucoup et qui vient d’être restauré par EYE, la cinémathèque hollandaise dont Eric de Kuyper était le directeur. C’était l’occasion de faire le lien avec l’exposition présentée à CINEMATEK.

 

Gerard-Jan Claes

C. : Vous cherchez aussi à faire des projections des films que vous avez sur la plateforme ?

G. - J. C. : Avila, c’est deux choses : la plateforme VOD mais il y a aussi le travail de distribution classique de films d’auteurs belges contemporains. On va distribuer 3 ou 4 films dans un an et, on va peut-être, pour des raisons de promotion, organiser des séances de projection des films d’Avila. Mais, ce n’est pas encore mis en place.

R. D.: Ce deuxième objectif de distribuer des films belges contemporains voire des films historiques est quelque chose qui manque aussi. Pour des films plus petits ou plus difficiles, c’est compliqué de trouver un distributeur et d’organiser une distribution avec attention.

 

C. : Quels sont les films emblématiques du catalogue ?

R. D.: Je citerais Le Chantier des gosses de Jean Harlez, restauré par le Cinéma Nova qui a fait un merveilleux travail avec ce film. Je trouve ça chouette que ce film, qui a eu un parcours difficile, soit chez nous aujourd’hui.

Dans quelques mois, on va par exemple lancer deux films de Boris Lehman qui est acteur dans Bruxelles-Transit de Samy Szlingerbaum et qui a travaillé avec d’autres réalisateurs.

 

C. : Votre catalogue, c’est un peu le travail d’une cinémathèque.

R. D. : Le spectre d’une cinémathèque est beaucoup plus large. On aime travailler avec la CINEMATEK qui vient de restaurer plusieurs films qu’on propose. Nous, on ne conserve pas le film, on le présente à un public.

G. - J. C. : Notre geste éditorial est aussi très important. Un spectateur peut reconnaître un certain profil dans le catalogue de films. On propose une sélection plus pointue que celle de la CINEMATEK qui est un peu plus large.

 

C. : D’où vient le nom de la plateforme ?

G. - J. C. : Cela vient d’un entretien avec Orson Welles à qui on demandait où il préférerait vivre et il a répondu Avila, une petite ville du centre de l’Espagne. C’est une réponse absurde mais on aime bien le nom et la connotation mystique qui donne l’idée d’un foyer. C’est ce qu’on voulait : créer un foyer pour ces films singuliers.

 

www.avilafilm.be

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