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Rebel de Adil El Arbi et Bilall Fallah

Publié le 04/10/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Partir un jour, sans retour…

La radicalisation islamique vécue de quatre points de vue différents : une recrue, son petit frère, leur mère et une esclave sexuelle. Voilà le programme du cinquième film du tandem Adil El Arbi / Bilall Fallah (celui qui n’a pas été annulé cette année), qui abordent un sujet de société sulfureux sans se départir de leur style très personnel, flashy et tape à l’œil.

Rebel de Adil El Arbi et Bilall Fallah

2014. Kamal Wasaki (Aboubakr Bensaihi), rappeur, mais surtout trafiquant de drogue et délinquant notoire de Molenbeek, n’a plus le moindre avenir dans notre pays. Recherché par la police, au pied du mur, il se rend en Syrie afin de venir en aide aux victimes de la guerre, jurant de rendre sa mère « fière de lui ». Mais dès son arrivée à Raqqa, ville en flammes, Kamal est contraint de rejoindre un groupe armé qui le renomme Abu-Bakr al-Belgiki. Il vient de se faire enrôler par l’Etat islamique, qui a pris possession du territoire et dont le credo est d’« égorger les soldats de l’ouest ». Son rôle sera d’immortaliser leurs atrocités - auxquelles il est forcé de participer - en filmant des vidéos de propagande. On lui enjoint une esclave et épouse, Noor (Tara Abboud). Le bon sens salvateur de cette dernière va aider Kamal à se rebeller contre ses nouveaux « amis ». Mais un mutin au sein de Daech n’est rien d’autre qu’un mort en sursis… Dans un autre enfer, Molenbeek, Nassim (Amir El Arbi, petit frère d’Adil), 12 ans, vénère son aîné et ne rêve que de le rejoindre. Mais quand une vidéo où l’on voit Kamal exécuter un otage fait grand bruit dans les médias, Nassim est ostracisé par ses camarades de classe. Seul réconfort du gamin : dans la rue, certains lui répètent que son frère est un héros. Nassim devient donc une proie facile pour les recruteurs belges de Daech… Quant à leur mère, Leïla (Lubna Azabal), désemparée, sachant que, pour l’aîné, il est déjà trop tard, elle va tout faire pour soustraire Nassim à ces influences néfastes. 

Film le plus engagé du tandem, Rebel frappe de prime abord par la virtuosité de sa mise en scène, notamment lors d’un long plan-séquence en pleine fusillade filmé caméra à l’épaule, inspiré de Children of Men. Une autre brillante séquence sans coupe décrit l’entraînement des recrues dans le désert, se préparant pour le djihad. Plus surprenantes sont ces ruptures de ton lors d’une poignée de scènes musicales dansées, sur du rap, dans lesquelles les protagonistes résument en chanson les thématiques du film, comme si le drame de Kamal, Nassim, Noor et Leïla était une fable. Selon l’humeur, on trouvera ces « clips » dans le film audacieux ou de mauvais goût. Quant à la radicalisation de Kamal, elle est décrite dans ses détails les plus brutaux et sordides. On a beau connaître par cœur les marottes de ces gens pour qui l’Islam est un prétexte à la barbarie, mais une piqûre de rappel ne fait pas de mal : les « mécréantes » (les femmes impures) doivent être violées 12 fois avant d’être converties. La détention ou la vente de magazines de charme ou de la musique décadente de l’Occident sont passibles de la peine de mort, sans procès. Une balle dans la tête en pleine rue suffit. Ce cercle infernal de la violence est décrit sans fard, lors d’une poignée de scènes insoutenables.

Rebel, c’est trois ou quatre films en un et la tâche semble parfois trop ambitieuse pour les épaules d’Adil et Bilall. Ainsi, quelques ellipses handicapent la partie consacrée à Leïla, la mère-courage. La résolution, avec son « twist » sorti d’un épisode de 24 Heures Chrono, s’avère également un peu trop attendue. C’est la partie consacrée au lavage de cerveau progressif dont est victime le jeune Nassim qui fonctionne le mieux : les cinéastes se livrent à une analyse clinique de l’engrenage vicieux du terrorisme et de la propagande idéologique qui plongent un gamin sans repères dans le piège de Daech par étapes : colère, ignorance, résignation, obéissance, barbarie, folie.

Le récit s’inscrit finalement dans la grande tradition du polar, avec l’ascension, la fascination, puis la chute inévitable au sein d’une entreprise mafieuse, avec son lot de trahisons, de suspense et de retournements de situation. Si ce style narratif « à l’américaine » ne laisse que peu de place à l’ambiguïté et la subtilité (on est à des années lumières, stylistiquement, de Le Ciel attendra, de Marie-Castille Mention-Schaar, sur le même sujet), Rebel reste, dans le carcan du film de genre à grand spectacle, une indéniable réussite, pétrie de bonnes intentions. Un pamphlet utile contre l’islamisme radical, qui, par certains de ses choix les plus créatifs et audacieux – un film musical sur le djihad ? -, ne manquera pas de provoquer le débat.

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