Plaisir de la rencontre avec Lubna Azabal. Nous avons eu la chance de parcourir brièvement son histoire, et celle de Rebel. Un film fort, dans lequel elle a pu insuffler son énergie et son talent, avec sa patte personnelle comme elle aime le faire sur chacune de ses collaborations. Le tout, autour d’un thé et de l’amour partagé du Septième Art.
Lubna Azabal - Rebel
Cinergie : C'est quoi pour vous le cinéma
Lubna Azabal : Beaucoup de choses. Je dirais, essayer par le rire, la tragédie et le suspense, d’être au plus proche de ce que l’être humain a de plus beau, mais aussi de plus dégueulasse. Ça, c’est le fond, et pour la forme, on utilise celle qu’on veut. Le cinéma, c’est la vie.
C. : Pouvez-vous nous parler de votre formation ?
L.A. : J’ai fait une école flamande, avant d’entrer au conservatoire de Bruxelles. Pas longtemps cela dit ! J’ai fait une première année avant de rencontrer André Téchiné, avec qui j’ai tourné mon deuxième film (le premier ayant été coproduit par les frères Dardenne). Puis, j’ai fait quelques courts-métrages où j’ai rencontré notamment Olivier Gourmet. Mais c’est ma rencontre avec André Téchiné qui m’a propulsée dans ce qu’on appelle le cinéma français.
C. : Depuis 1990, vous avez tourné dans plusieurs dizaines de films, autant de cinéma français que de cinéma belge, ou d’autres nations, comment choisissez-vous vos projets ?
L.A. : Il faut que cela me fasse ressentir la même chose que lorsqu’on est amoureux, que cela me travaille aux tripes. Après, cela ne veut pas dire que tout est bon. Comme dans toute bonne discographie, il y a certainement 10% de merde, pour tout un tas de raisons. Mais pour accepter un rôle, il faut que cela me parle, que je puisse me projeter. Même si le scénario a l’air bancal, il faut que je sente que je peux y amener quelque chose. Si vous regardez ma filmographie, je joue souvent des personnages “à la Jésus”, qui portent la croix et le poids du monde. L’un des moments charnières, ça a bien sûr été la collaboration avec Denis Villeneuve sur Incendies. On a tous des rencontres comme ça. Pour Audrey Tautou, ça a sûrement été Amélie Poulain. Pour moi, c’était Incendies, mon Amélie Poulain à moi.
C. : Et pour Rebel ?
L.A. : Adil et Bilall, je les connais depuis très très longtemps. Pour l’anecdote, je les ai rencontrés à mon tout premier festival de Namur, à l’époque où je faisais la promotion des Siestes grenadines, au tout début des années 2000. Et déjà là, ils m’avaient dit, “on adorerait tourner avec vous un jour”. À cette époque, c’était deux jeunes qui étaient déjà habités par une envie de faire du cinéma, avec une vraie connaissance, une vraie culture de ce monde. Le projet Rebel est arrivé sur la table il y a à peu près six ans, et j’ai tout de suite dit oui à condition que cela soit réellement bien documenté. Ils étaient absolument et complètement légitimes pour traiter ce sujet, non seulement par leur culture mais aussi parce qu’ils ont un stock de fans très impressionnant. Si eux peuvent faire passer ce message auprès des jeunes, ce sera déjà cela de gagné.
C. : Comment abordez-vous des personnages comme celui de Leila ?
L.A. : Comme tous mes personnages, je l’ai abordée en amont, avec beaucoup de recherches, de réflexions, et une tonne de questions. Je me nourris de documentaires et de rencontres. Ici, avec cette maman, j’ai voulu rencontrer des gens qui sont passés par là, des parents dont les enfants sont partis du jour au lendemain faire un pseudo-djihad. Pour pouvoir comprendre ce qu’elles ou ils ont subi, que ce soit avant le départ des enfants ou après. Le point commun entre avant et après, c’est la solitude dans laquelle on les laisse. C’était important pour moi de montrer ceci dans le film, ce désarroi dans lequel on laisse ces parents. Et quand les enfants finissent par partir, ce sont eux que l’on blâme, alors qu’ils ont remué ciel et terre pour avertir de ce risque, et appeler à l’aide.
C. : Vous parliez de votre implication dans le scénario : vous avez aussi participé à cette écriture ici ?
L.A. : Tout à fait. Mais c’est ce que je fais dans pratiquement tous mes films, c’est quelque chose que j’aime bien. Pour moi, un personnage, cela se retouche, se complète, se clarifie. Aussi parce que l’on donne vie à un personnage, et que l’on plonge dedans, il y a des choses qui surgissent. C’est important de pouvoir avoir cette vision, cette réécriture. Parfois, cela devient illisible, tellement je réécris, je griffonne, mais c’est une étape essentielle du travail. Cela dit, il y a bien sûr des scénarios qui sont déjà tellement précis, tellement pointus, qu’il n’y a quasi rien à adapter de mon côté.
C. : Comment s’est passé votre tournage ?
L.A. : Adil et Bilall, ce sont presque des jumeaux. Même s’ils ont une façon légèrement différente de diriger, ils se complètent tellement bien que ce fut un réel plaisir. Je voyais au fur et à mesure de ce qu’ils construisaient, un ensemble très cohérent et très juste, et cela me convenait tout à fait. Un moment marquant fut la rencontre avec ces parents. L’une de ces mamans venait de perdre sa fille, malgré son combat depuis plusieurs années pour travailler avec les autorités belges, pour la faire ramener. C’est douloureux de se prendre cette souffrance en pleine figure. D’autant que ce sont des victimes collatérales, et cela me met en colère. L’islamisme radical est un fléau qu’il faut combattre par tous les moyens, et nous sommes toutes et tous des futures victimes, ou des proies potentielles. Ces adolescents brisés de l’intérieur, comme Kamal ou Nassim dans le film, sont des cibles faciles pour ces enrôlements sectaires. Il n’y a que le vêtement qui change, sauf qu’ici, c’est une plongée dans la terreur.
C. : Vous avez travaillé à la télévision, au théâtre, au cinéma, avez-vous un moyen d’expression favori ?
L.A. : Mon moyen d’expression préféré, c’est un bon texte. Il n’y a pas beaucoup de différences, la structure est plus ou moins la même. Le théâtre, c’est autre chose, un autre fonctionnement. L’exercice est, selon moi, beaucoup plus difficile, beaucoup plus couillu.
C. : Est-ce que vous vous sentez plus en affinité avec un certain type de cinéma belge, suite à vos différentes expériences chez nous ?
L.A. : J’aime beaucoup le cinéma absurde belge, ce côté décalé. Évidemment, tout le monde aime les frères Dardenne, mais c’est comme dire : “tout le monde aime Mozart”, ce n’est pas révolutionnaire. Je suis très sensible au cinéma de Lukas Dhont, de Bouli Lanners, ou encore de Michael Roskam avec Rundskop. Mais je n’en ai pas fait suffisamment pour pouvoir comparer. Je ne sais pas pourquoi, ils ne m’appellent pas.
C. : Et quels projets avez-vous pour la suite, peut-être envie de passer derrière la caméra ?
L.A. : Oui, j’ai envie de conduire ma propre bagnole. Et puis, peut-être parce qu’il y a des sujets qui m’intéressent moins aujourd’hui, et que j’ai envie de découvrir d’autres choses. Alors, pourquoi ne pas les réaliser moi-même ?